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Billet de blog 24 février 2013

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Face aux discours xénophobes, gardons vivante la mémoire du groupe Manouchian

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A Montreuil hier matin, comme dans de nombreuses villes de France tout au long de la semaine, des commémorations ont eu lieu afin d’honorer la mémoire du groupe Manouchian. Il y 69 ans, le 21 février 1944, l’arménien Missak Manouchian et 21 de ses compagnons de la résistance intérieure française, issus de la Main-d’œuvre immigrée, étaient fusillés au Mont-Valérien, à l’ouest de Paris. Étrangers pour la plupart, ils ont fait partie des rares personnes à s’engager dans la résistance et dans la lutte contre l’occupant nazi. En effet, en cette heure sombre de l’histoire de notre pays, bien plus nombreux étaient les français qui, directement ou indirectement, privilégiaient la collaboration avec l’occupant. Face à la montée des discours xénophobes en Europe, dont le Front national est le porte-voix en France, il est primordial de garder vivante la mémoire de ces hommes et femmes qui, au prix de leur vie, se sont battus pour défendre la France, la liberté et la démocratie.

Le groupe Manouchian, des étrangers dans la résistance française

A partir de 1940, une grande partie de la France est occupée par l’Allemagne  nazie (l’ensemble du pays le sera à partir de 1942). Partout sur le territoire, des groupes de résistants se constituent dans la clandestinité afin de lutter contre l’occupant.

C’est en 1942, que des groupes de FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans – Main-d’œuvre immigrée) s’organisent en région parisienne.Ils sont essentiellement composés de jeunes communistes, liés à une organisation syndicale regroupant des travailleurs immigrés, appelée la Main-d’œuvre immigrée. Nombreuses sont donc les nationalités qui s’y côtoient. On y trouve des arméniens, des polonais, des hongrois, des espagnols, des italiens, des roumains ou encore des français. Un certain nombre de juifs ayant décidé de contribuer à la libération de la France s’y engageront aussi.

Après l’arrestation de Manouchian et de ses camarades, la propagande de Goebbels insistera avec vigueur sur ce point, afin de présenter la résistance comme étant uniquement le fait de quelques étrangers. C’est dans ce but qu’en 1944, les nazis font placarder et diffuser dans toute la capitale et dans certaines grandes villes du pays, l’Affiche rouge (voir ci-dessus). Ce document visait à faire passer les membres du groupe Manouchian et plus globalement les résistants, pour des criminels et des terroristes dont les agissements étaient dirigés contre la France et les français.

On peut lire à l’arrière de cette affiche : «Si des Français pillent, volent, sabotent et tuent… Ce sont toujours des étrangers qui les commandent. Ce sont toujours des chômeurs et des criminels professionnels qui exécutent. Ce sont toujours des juifs qui les inspirent. C’est l’armée du crime contre la France. Le banditisme n’est pas l’expression du Patriotisme blessé, c’est le complot étranger contre la vie des Français et contre la souveraineté de la France ».

Cependant la campagne de propagande ne bénéficiera pas des effets escomptés. En effet, plutôt que d’être répugnée par ses hommes, l’opinion publique va être séduite. Certains honoreront même les résistants présentés l’affiche (Manouchian et neuf de ses compagnons) en déposant des gerbes de fleurs au pied des murs où elles seront placardées.

En 1943, Missak Manouchian intègre la FTP-MOI. Rapidement, des groupes d’hommes se retrouvent sous son commandement.  Jusqu’à leur arrestation, ils vont mener une lutte armée active contre l’occupant (attentats, déraillement de convois…), allant même jusqu’à tuer l’officier SS et responsable du  Service du travail obligatoire en France, Julius Ritter.  Pendant plusieurs mois, ils feront trembler l’occupant nazi.

Cependant, en novembre 1943, un coup de filet est mené par la  police française (très bien informée) dans les sections de FTP-MOI parisiennes dont celle de Manouchian. L’arménien est arrêté avec 23 de ses camarades. Après l’emprisonnement et la torture s’en suit un simulacre de procès. Ils sont 23 à être condamnés à mort. Le 21 février 1944, sur le Mont-Valérien, 22 d’entre eux sont fusillés (Olga Bancic, seule femme du groupe, sera guillotinée à Stuttgart, le 10 mai 1944).

Aujourd’hui plus que jamais, honorons la mémoire de ces résistants étrangers morts pour la France

A l’heure où, en France comme en Europe, les discours xénophobes se banalisent, où l’on ne cesse que d’opposer les peuples entre eux, où la défiance envers les autres se renforce et le rempli sur soi s’intensifie, garder vivante la mémoire de ses résistants étrangers morts pour la France est un devoir.

Rendons hommage à ses hommes et ses femmes, qui par leur engagement, ont fait preuve d’un courage sans faille, afin de défendre leurs idéaux et de défendre la France. Du courage, Missak Manouchian en aura jusqu’à son dernier souffle. Face au tribunal militaire allemand qui le condamna à mort le 19 février 1944, il déclara : « Vous, je n’ai rien à vous dire. J’ai fait mon devoir qui était de vous combattre. Je ne regrette rien de ce que j’ai fait ».

Malgré la violence des tortures qu’ils lui infligèrent, les nazis ne parvinrent jamais à faire de Missak Manouchian,  l’homme haineux et agressif que la propagande présentait sur ses tracts. Preuve en est, cet extrait de la lettre qu’il écrivit à sa femme Mélinée, quelques heures avant d’être exécuté. « Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps ».

Au-delà de leur courage, de leur sens de la fraternité et de leur humanisme, les membres du groupe Manouchian doivent être honorés partout en France, tant leur dévouement pour défendre ce pays fut grand. Alors qu’à l’époque des français privilégiaient la collaboration à la lutte contre l’occupant, ces résistants, pour la plupart étrangers, ont fait preuve, par le sacrifice de leur vie, d’un patriotisme et d’un sens de la nation sans faille. Face aux journalistes de la presse collaborationniste, qui lui faisaient face lors de son procès, Missak Manouchian délivrera ce qui restera comme la grande leçon de cette histoire: « Quant à vous, vous êtes français. Nous, nous avons combattu pour la France, pour la libération de ce pays. Vous, vous avez vendu votre conscience et votre âme à l’ennemi. Vous aviez hérité de la nationalité française. Nous, nous l’avons méritée ».

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