A. Kettani, ambassadeur à Abidjan : "Le Maroc va regagner sa place de premier investisseur dans le pays"

Entretien avec Abdelmalek Kettani, ambassadeur du Maroc en Côte d’Ivoire. Un pays où le Maroc a vocation à être le premier investisseur étranger, et où la relation bilatérale est marquée par des séjours réguliers de Mohammed VI.

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Abdelmalek Kettani présente ses lettres de créances au président ivoirien Alassane Ouattara en décembre 2016. Crédit : Présidence ivoirienne / FB

Abdelmalek Kettani est l’ambassadeur du Maroc en Côte d’Ivoire depuis 2016. Au lendemain de la clôture du sommet UA-UE, nous le retrouvons au Sofitel d’Abidjan en tenue décontractée, dans un lobby où la veille encore s’affairaient les membres de 83 délégations africaines et européennes.

Ce quinquagénaire né à Dakar s’est toujours senti à l’aise en Afrique de l’Ouest. Avec une arrière-grand-mère sénégalaise et une mère qu’il entend parler wolof, c’est proche de la communauté subsaharienne qu’il a grandi lorsqu’il rentre au Maroc alors que lui était âgé de six ans. Pas pour longtemps. Ses études se dérouleront outre-Atlantique, entre le Canada et les États-Unis, avant d’entamer une carrière dans le privé entre le Royaume-Uni et le Moyen-Orient et de revenir une seconde fois au Maroc en 1990. Là, il occupe des responsabilités au sein de la CGEM et préside le conseil d’affaires Maroc-USA. Avant donc, d’être nommé ambassadeur dans la capitale économique Abidjan, où résident 90 % des 5000 Marocains enregistrés en Côte d’Ivoire. 

Telquel.ma : Quand on pense aux relations Maroc-Côte d’Ivoire, on pense tout de suite au fait que le Maroc a été à un moment le premier investisseur étranger dans le pays. Ce n’est plus le cas depuis 2016, le Maroc est désormais en 6e place. Comment l’ile Maurice peut-elle investir plus que le Maroc en Côte d’Ivoire ?

Abdelmalek Kettani : Depuis 2013-2014 et les premières visites de Sa Majesté le roi en Côte d’Ivoire, beaucoup d’entreprises marocaines se sont intéressées à ce marché, à juste titre. Elles y ont investi massivement dans les premières années jusqu’à 2015. 2015 a été caractérisée par le rachat par Maroc Télécom d’une entreprise de télécoms ici et qui a fait passer le Maroc en première place. Maintenant, d’autres investissements arrivent et vont refaire gagner au Maroc sa première place. Il faut bien se rendre compte que les grandes entreprises sont déjà là, Attijariwafa Bank, BMCE, Banque Populaire, Maroc Telecom, le groupe Palmeraie, le groupe Richbond… Aujourd’hui, il s’agit d’intéresser la communauté des affaires marocaine à la Côte d’Ivoire encore davantage. Nous avons un programme avec Madame la ministre ivoirienne du Plan pour peut-être une visite dans quelques mois au Maroc, afin de promouvoir la destination Côte d’Ivoire en termes d’investissement.

Est-ce que les investissements de Marchica Med pour l’aménagement de la baie de Cocody sont déjà comptabilisés dans les investissements ?

Ils se font au fur et à mesure. Ils ne sont pas comptabilisés comme tels, parce que ce ne sont pas des investissements industriels ou immobiliers par exemple. C’est un investissement international dans l’infrastructure et qui est financé par un montage assez complexe avec des banques des pays du Golfe et des banques marocaines, etc.

Pour le coup, c’est un très gros projet. On a du mal à s’en rendre compte quand on lit les dépêches depuis le Maroc, mais sur place, on voit bien que les travaux de terrassement ont commencé et on imagine à quel point ça va transformer le centre d’Abidjan.

Oui, c’est extraordinaire. Ça va transformer durablement la physionomie de la baie de Cocody et de la ville d’Abidjan. Tous les terre-pleins qui sont en train d’être construits actuellement, la marina, vont devenir le lieu de villégiature par excellence pour les gens d’Abidjan. Ça va créer un écosystème touristique et économique très important qui va dynamiser toute la ville et ses alentours.

Et il se trouve que l’ambassade du Maroc surplombe la baie de Cocody. Depuis la baie, on peut d’ailleurs voir la devise « Allah, Al Watan, Al Malik » écrite en grosses lettres rouges. N’est-ce pas un peu impérialiste comme symbole ?

Pas du tout. C’est exceptionnel, et cela traduit notre joie et fierté pendant les visites de Sa Majesté, mais ça n’est pas toujours comme ça.

Y a-t-il d’autres gros projets en préparation, à l’image de l’aménagement de la baie de Cocody ?

De cette ampleur pas encore, mais il y a d’autres grands projets sur Bassam. Il y a un projet de canal pour alimenter la lagune en eau fraiche, pour renouveler cette eau de pluie et permettre à la lagune de se renouveler. On continue à avancer avec les entreprises qui sont déjà installées, ou celles qui vont venir. L’ambassade travaille avec les investisseurs tous les jours en termes de conseil, de suivi, et même de résolution de problèmes.

Est-ce que vous parlez aussi de gazoduc ouest-africain avec vos interlocuteurs ivoiriens ?

On en a parlé. Les gens ont compris l’importance stratégique de cet ouvrage qui devrait voir le jour dans les années à venir. Pour l’instant, c’est en phase d’études. Je n’ai pas tous les éléments à mon niveau pour en parler. C’est une très bonne idée, car en plus de relier tous ces pays, ça va créer des écosystèmes intégrés qui apporteront l’énergie suffisante pour produire et développer l’industrie et par ricochet l’emploi. Le gazoduc contribuera à résoudre beaucoup de problèmes de la région. 

Au-delà des grosses entreprises, comment se développe le tissu de PME marocaines en Côte d’Ivoire ?

Il y en a quelques-unes, pas encore beaucoup. Aujourd’hui, des callcenters s’installent ici et plusieurs PME prospectent pour s’installer sur le marché ivoirien, mais aussi sur le marché de la sous-région. Car la Côte d’Ivoire est un pays important, mais aussi un pays à partir duquel on peut réexporter vers d’autres pays, comme le Mali, le Liberia, le Ghana, le Bénin, le Togo, etc. Comme il faut bien avoir une base industrielle, il vaut mieux s’installer dans le pays le plus porteur, donc ici. Il y a quelques semaines, se tenait un salon organisé autour du « Made in Morocco ». Beaucoup de PME sont venues, de bons contacts ont été pris, et certainement qu’ils aboutiront à des résultats probants.

On croise aussi beaucoup de commerçants marocains à Abidjan qui sont là de longues dates. Qui est le Marocain le plus ancien en Côte d’Ivoire ?

Nous avons notre doyen, Monsieur Lazrak, qui est là depuis plus d’une soixantaine d’années. Il a fait toute sa vie entre Bouaké et Abidjan. D’autres, plus jeunes, sont là depuis 30-35 ans. Ils sont arrivés à 10, 15 ou 20 ans avec leur famille de Fès, Rabat ou Casablanca, et ils sont restés ici. Ils ont investi dans le commerce et ils ont très bien réussi pour certains.

Sur le volet politique, l’amitié entre le Maroc et la Côte d’Ivoire est flagrante quand on constate l’accueil qui y est réservé au roi. En quoi consiste exactement votre travail pour que la relation ne soit pas en pilote automatique, et qu’elle reste dynamique ?

Ça n’existe pas une relation qui reste en pilote automatique. Même pas une relation de mariage entre un homme et une femme [Rires]. Il faut à chaque fois travailler pour séduire l’autre. Ce travail de fond, c’est le rôle de la diplomatie, c’est mon rôle sur le terrain tous les jours. Il y a aussi des relations à d’autres niveaux qui sont excellentes. 

C’est une relation multidimensionnelle, très riche et qui demande beaucoup d’application au quotidien.Il y a la dimension économique dont on vient de parler, mais il y a aussi la dimension académique. Nous avons doublé, grâce à l’AMCI, le nombre de bourses accordées à la Côte d’Ivoire. Nous étions à 50 bourses, nous sommes désormais à 100 annuellement. Il y a des formations pour les hauts cadres ivoiriens qui ont lieu toute l’année dans les différents ministères au Maroc. Il y a des partenariats dans différentes villes du royaume et celles de Côte d’Ivoire. Nous avons une collaboration spirituelle, avec la Fondation Mohammed VI des Oulémas qui va installer ce qu’on pourrait appeler une antenne sur place avec les grands oulémas ivoiriens. Nous avons aussi une influence au niveau culturel et spirituel.

Et le foot n’y change rien ?

Le foot n’y change rien. C’est un épisode, mais ce n’est pas significatif. Sur le coup, il y a eu un peu de stress, mais ça va. Il faut rendre hommage au peuple ivoirien qui est sympathique, affable et ouvert et qui aime franchement le Maroc et Sa Majesté le roi en particulier. Quand ils parlent de Sa Majesté, ils disent « notre roi ». C’est incroyable.

Au-delà de l’image du roi, comment est-ce que les Marocains sont perçus par les Ivoiriens ?

La communauté marocaine est bien intégrée. Elle est là depuis longtemps. Et elle est bien perçue parce que les Marocains sont proches des Ivoiriens. On vit ensemble, dans la paix et la quiétude. Il y a beaucoup de mariages entre nous et des familles bi-nationales. Depuis un an que je suis là, je n’ai jamais entendu d’incident. 

On l’entend tout de même ici, ce discours selon lequel les Marocains seraient les « nouveaux colons » en Côte d’Ivoire.

C’est une vue de l’esprit, des discussions de café parce que certaines parties ici font la promotion de ce genre de discours. Mais nous sommes très sereins, nous savons ce que nous faisons. Il y a aussi d’autres grands pays qui investissent ici, la France, la Chine, la Turquie. Nous sommes peut-être plus visibles parce que Sa Majesté vient régulièrement, et tant mieux, ça donne un éclat supplémentaire à notre relation. Ses visites créent une dynamique dans la ville et dans tout le pays.

Le 1er décembre est aussi férié en Côte d’Ivoire, pour Aid Mawlid. Est-ce que l’ambassade du Maroc participe aux célébrations ?

Il y a une soirée à la mosquée Riviera, avec Boikary Fofana le président du Conseil supérieur des imams en Côte d’Ivoire (COSIM), où seront aussi présents les ambassadeurs des pays musulmans. 

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