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Internet, bouc émissaire du marché du livre

Une adoption par l’Assemblée nationale de la loi « anti-Amazon » enverrait un signal très préoccupant : la France signerait une fois encore, face au corporatisme triomphant, sa réticence à être une société ouverte.

Publié le 20 mars 2014 à 14h12, modifié le 20 mars 2014 à 14h12 Temps de Lecture 4 min.

Les stocks de livres d'Amazon en Allemagne.

L’adoption par l’Assemblée nationale de la loi « anti-Amazon » interdisant aux distributeurs en ligne la gratuité des frais de port a été repoussée : en cause, une erreur de notification à la Commission européenne. Les sénateurs devront donc revoter. Objectif du texte ? Renforcer la loi Lang sur le prix du livre de 1981 en limitant la « concurrence déloyale » dont feraient l’objet les libraires de l’Hexagone. Une adoption définitive enverrait un signal très préoccupant pour la France : elle signerait une fois encore, face au corporatisme triomphant, sa réticence à être une société ouverte.

La loi Lang avait pour but de garantir la diversité et le pluralisme des librairies en maintenant un réseau dense de détaillants indépendants sur l’ensemble du territoire. Les bonnes intentions ne garantissent, hélas, jamais les bons résultats. En effet, la crise de la librairie en France tient à des facteurs indépendants et antérieurs à l’arrivée du web : elle sonne en réalité comme un aveu d’échec de cette politique. Beaucoup de petites librairies sont en mode de survie depuis plus de trente ans. Elles réduisent leurs stocks et leurs effectifs, mais coincées entre les frais fixes et le haut prix du livre, elles peinent à résoudre l’équation — et ce malgré des aides publiques déjà importantes.

Ironiquement et en dépit des idées reçues, c’est aujourd’hui encore l’innovation qui sauve une industrie ancienne. Dans un marché du livre en repli depuis plus de quatre ans, les ventes à distance ont progressé de 6% en 2013. L’Internet a démultiplié l’offre accessible aux consommateurs tout en réduisant les coûts. Autrefois un réseau de librairies permettait aux lecteurs de s’informer sur quelques dizaines de nouveautés par an et de commander des livres dans des délais d’une semaine à dix jours. Aujourd’hui le lecteur a accès nuit et jour à un vaste catalogue (des centaines de milliers de livres) dans des délais extrêmement rapides (24 à 72 heures, selon la formule). Le web, une nouvelle technologie, permet de mieux servir la demande culturelle comme l’électricité le fit en son temps pour l’éclairage avec la lampe à incandescence. La preuve par Amazon, sacrée en 2013 « marque préférée » des Français.

Alors, si les offres en ligne rendent un service important aux consommateurs, pourquoi parler de « concurrence déloyale » ? La conception classique de la concurrence est celle de la liberté de faire mieux que son voisin en respectant les règles de l’échange (contrats et propriété) : est libre qui veut entrer sur un marché pour fournir un produit ou un service nouveau. C’est ainsi qu’ont agi les offreurs en ligne. Dès lors, vouloir changer en cours de route les règles du jeu pour éviter cet état de fait revient à donner des privilèges à certains (les acteurs historiques) aux dépends des autres (les nouveaux entrants). Du colbertisme au dirigisme moderne, l’histoire économique regorge d’exemples de ce type.

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Fort bien, dira-t-on, mais comment les acteurs traditionnels du livre peuvent-ils être en mesure de résister dans un contexte fortement concurrentiel ? La réponse est complexe, mais limiter la concurrence ne résoudra pas, in fine, les problèmes du secteur. En rendant le livre plus onéreux, la réglementation de 1981 a réduit la capacité de consommation des lecteurs, accroissant ainsi la précarité du marché. Loin d’être indépendants, les détaillants sont devenus plus dépendants de l’Etat et moins enclins à évoluer. Malgré tout, l’adaptation dont ont fait preuve beaucoup de librairies montre que ce canal de distribution peut proposer des services que les acteurs en ligne ne peuvent offrir (relation personnelle avec le client, conseils de lecture, etc.). L’an passé, leurs ventes se sont d’ailleurs quasiment maintenues (-0,5% pour les grosses librairies). Mais les grandes surfaces culturelles (Fnac, Leclerc, etc.), qui peuvent réduire les coûts grâce à des volumes importants (et de ce fait limiter l’impact du contrôle des prix), semblent souffrir de ce manque de service et enregistrent la plus forte baisse de ventes de livres en 2013 avec -5,5%.

En empêchant la concurrence par les prix (y compris du côté des frais de port), le remède du législateur nuit aux consommateurs qui perdent les bénéfices des économies réalisées en ligne — solution inacceptable pour des budgets familiaux serrés. Une telle réglementation réduit aussi la productivité, fruit de l’innovation incessante des entreprises (y compris celles du web), et génère ainsi du chômage. Au final, s’opposer à l’évolution concurrentielle de la réduction des coûts et de l’accroissement de l’offre sclérose et bloque la société. S’ils légifèrent de nouveau contre les acteurs du web, les parlementaires feront preuve d’une vision étriquée du monde, favorisant les intérêts particuliers, comme le Syndicat de la librairie française, aux dépends d’une économie dynamique et créatrice de valeur pour tous. La meilleure chose à faire pour aider les librairies indépendantes serait d’abroger la loi de 1981 et d’affronter les vraies difficultés : coût du travail et autres freins à l’ouverture dominicale.

Frédéric Sautet, professeur d’économie à l’Université Catholique de Washington D.C. (Etats-Unis)

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