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5 Mondes, une série de SF féministe entre Star Wars et Harry Potter

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- - Copyright Gallimard, 2017 -

ENTRETIEN - Mark Siegel, éditeur de Joann Sfar et de Pénélope Bagieu, raconte les dessous de sa nouvelle création.

Mark Siegel est l’éditeur américain aux Etats-Unis de Pénélope Bagieu, de Lewis Trondheim et de Joann Sfar. Avec son frère Alexis Siegel, il a écrit la série 5 Mondes, dont le premier tome, Le Guerrier des Sables, est paru le 9 mars. Ils se sont alliés à trois jeunes dessinateurs fraîchement diplômés d’une école d’art de Baltimore: Xanthe Bouma, Matt Rockfeller et Boya Sun. Ensemble, ils racontent le récit initiatique d’une jeune magicienne, Oona, dont les pouvoirs pourraient sauver le monde d’un grand désastre. Les couleurs vives et le trait rond de ce récit de SF adressé à la jeunesse rappellera aux lecteurs aussi bien les films du studio Pixar (Les Indestructibles) que ceux de Hayao Miyazaki (Le Château dans le ciel). Mark Siegel raconte à BFMTV les dessous de sa nouvelle création.

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- © Copyright Gallimard, 2017

La genèse

"C’est une histoire qui me hante depuis longtemps. La première ébauche remonte à presque vingt ans. Je travaillais alors seul et j’avais commencé à dessiner moi-même les planches. Lors de la parution de Sailor Twain [son précédent album, inspiré par les romans américains du XIXème siècle, NDLR], j’ai passé une nuit blanche avec mon frère Alexis à discuter de ces 5 mondes. On a discuté de l’histoire, des personnages. Cela a duré quelques semaines. C’est en travaillant avec Alexis que l’histoire a vraiment pris de l’intérêt. Mon frère est passionné de langues, de politique et de géopolitique. Les 5 mondes ne sont pas calqués sur des pays ou des continents particuliers, c’est un mélange. Un des mondes, qui est un peu l’ancien continent, est par exemple un peu un mélange de la France, de la Chine et de l’Angleterre. Les mondes ont fini par devenir singuliers au fil de l’écriture. Chacun possède une culture ancienne, son histoire, sa géographie, plusieurs climats. Dans les premiers chapitres, on est dans un état de dépaysement. C'est ce qui me plaît en science-fiction. J’aime bien me retrouver dans un monde où je dois essayer de me débrouiller pour piger ce qui se passe."

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Le club des cinq

"Quand notre récit a pris de l’envergure, je me suis dit que je ne pourrais pas dessiner seul. Je voulais avoir comme un petit studio d’animation. Et on a trouvé par un coup de chance ces trois jeunes: Matt [Rockfeller], Xanthe [Bouma] et Boya [Sun], qui ont 22-23 ans. Ils n’étaient pas encore sortis de leur école d’art, qui est située à Baltimore. Chacun des trois dessinateurs possède un style particulier. Matt a un côté un peu Moebius: il créé des lieux, des espaces très crédibles; Boya s’occupe des vaisseaux et des modes vestimentaires; et Xanthe traite les émotions, les expressions des visages, les poses des corps. Chacun réalise des crayonnés de scènes particulières. Dans les crayonnés, le style flotte entre trois styles différents. Matt s’occupe de l’encrage et Xanthe des couleurs. Elle a une approche très personnelle et se sert très rarement du blanc. Elle a des gammes chromatiques pour chaque monde et pour chaque chapitre, comme dans les films d’animation. Chacun des trois dessine des scènes choisies. Au départ, je leur ai donné des petites aquarelles que j’avais réalisées dans mes cahiers. Ils s’en sont inspirés et les ont réinventées. Il y a une culture, ainsi qu’un passé très ancien dans les 5 mondes qu’il a fallu développer avant de pouvoir se lancer. Et nous avons beaucoup travaillé les personnages. Je m’occupe du storyboard. Le scénario est retravaillé à chaque étape, comme les dialogues. On est constamment en train de les raffiner. Souvent, les crayonnés sont d’ailleurs meilleurs que mes storyboards parce que nous avons résolu toutes sortes de problèmes narratifs."

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Les influences

"Ursula K. Le Guin [l’autrice des Contes de Terremer, NDLR] est, pour moi, l’inspiration la plus importante. Moebius et Miyazaki ont aussi beaucoup compté, comme Philip Pullman [l’auteur de A la Croisée des mondes, NDLR] et même J.K. Rowling, notamment pour l’idée de suivre l’évolution d’un personnage sur quelques années. On discute entre nous de ces références. On se demande comment tel auteur aurait résolu tel problème. Dans le premier livre, nous sommes en train de poser des jalons pour l’ensemble de l’histoire. Ce voyage initiatique ressemble au début au Seigneur des anneaux et à Star Wars. On en sort de plus en plus au fur et à mesure que notre histoire se déroule. Nous avons décidé de jouer avec le syndrome de l’élu, du "chosen one" comme en anglais. Il y a dans notre histoire un élu, mais il se fait dégommer tout de suite. Et notre personnage principal, Oona, ne va pas forcément devenir cet élu, mais c’est elle qui prend sa place et s’empare de sa mission. C’était important d’avoir un personnage principal féminin. Enfant, je lisais surtout des BD franco-belges. Je me souviens que l’arrivée de la schtroumpfette m’avait troublé: je me suis rendu compte qu’il n’y avait que des garçons! On commence à sortir de ce modèle paternaliste. Par certains côtés, la vieille garde essaye de reprendre le dessus. On voit des monstres de misogynie au pouvoir, comme Trump. Même si c’est cauchemardesque pendant quelques temps, ils vont perdre parce que cela ne va pas dans la direction du monde. On pense à tout cela. Un fil féministe traverse l’histoire. Dans le deuxième tome, il va s’accentuer. La misogynie, ainsi que les tensions raciales, seront évoquées plus directement."

5 Mondes, tome 1: Le Guerrier de sable, Mark Siegel et Alexis Siegel (scénario), Xanthe Bouma, Matt Rockfeller et Boya Sun (dessin), Gallimard, 256 pages, 19,90 euros.
Jérôme Lachasse