A contre-courant. A qui appartient la monarchie ?

Par Omar Saghi

« A qui appartient le Maroc ? » est le genre de titre qui fait fureur en librairie. Qui en profite ? Où va notre richesse nationale ? Dans quelles poches, par quelles mains, sous quelles tables passent-elles ? Questions légitimes, populaires, mais hélas de peu d’emploi tant que la question n’est pas réglée, n’étant même pas soulevée : qui est souverain au Maroc ?

Il fut un temps où les Marocains étaient naturellement monarchistes. Cela a été notre force. Dans un monde arabo-musulman souffrant de manque de légitimité structurelle de ses pouvoirs, la force seule faisant la différence, la chance du Maroc fut d’avoir, dès les Idrissides, développé une culture monarchiste profondément intériorisée. Elle évita les dérives dictatoriales et l’oscillation entre le despotisme et l’anarchie que connaissent nos voisins et frères.

Mais les choses changent. Nos branchies monarchistes ont muté en poumons républicains, en quelques décennies. Processus invisible à l’œil nu, et qui passe par des canaux microscopiques : manuels scolaires égyptiens importés, livres d’histoire française traduits, culture médiatique massivement républicaine, qu’elle vienne de Hollywood ou du Caire, le tout accompagné du développement socioéconomique habituel (urbanisation, individualisme, scolarisation de masse…). Notre dictionnaire des synonymes a subtilement changé : « sujet » n’est plus équivalent de membre de la communauté des Marocains, mais d’individu soumis, « baisemain » n’est plus signe de respect mais d’obséquiosité, « roi » ne signifie plus arbitre garant, mais autocrate. Notre monarchisme naturel est devenu un monarchisme de raison… On reste monarchiste en attendant que, en l’absence de, vu que, avant que… La vraie question marocaine aujourd’hui, celle que les politiques ont rarement le courage de poser, et que les militants tout à leur enthousiasme marxisant ignorent, n’est plus « à qui appartient le Maroc ? », mais « à qui appartient la monarchie ? » Si on souhaite éviter au Maroc qu’il verse dans un aventurisme nébuleux sous couvert de démocratie, il faudrait, au plus vite, mettre à plat les mécanismes de l’appartenance monarchique.

La monarchie est un patrimoine national. Tel est la proposition fondamentale. Le roi incarne ce patrimoine. Il en est la cristallisation culturelle et historique. En lui, en sa personne, en sa parole, s’incarnent plus de mille ans d’histoire, et nos générations précédentes, et notre effort collectif. Le mouvement national, dans les années 1950, et jusqu’à récemment, essaya de jouer la patrie contre le roi. Echec. Depuis quelques années, les islamistes essayent de jouer Dieu contre le roi. Plus récemment, une myriade d’organisations démocratiques veulent donner corps à quelque chose comme « le peuple contre le roi »… Aucune de ces solutions ne va marcher. Aucune n’intéresse intimement les Marocains, mais tous sentent qu’il est temps de formuler une nouvelle opposition. Peut-être le temps est-il venu de formuler clairement le roi – patrimoine national – contre le roi – la politique actuelle, de tel ou tel roi, à tel ou tel moment. La monarchie n’est pas l’histoire d’une famille, ou l’empilement de biographies de personnalités tour à tour exceptionnelles ou falotes. La monarchie est ce qui fait que le Maroc est. Elle appartient à tous.Ce n’est pas un paradoxe : être plus royaliste que le roi est la meilleure voie pour démocratiser le Maroc dans la fidélité à son histoire institutionnelle. Une opposition monarchiste à la monarchie est possible. Et souhaitable.