Attentat à Charlie Hebdo : Sigolène Vinson, rescapée, raconte le drame

Epargnée par Saïd Kouachi, l'un des auteurs de l'attentat contre Charlie Hebdo, la journaliste du journal satirique raconte, entre pleurs, silences et consternation, le drame auquel elle a assisté.

Attentat à Charlie Hebdo : Sigolène Vinson, rescapée, raconte le drame

    Dix de ses amis ont été assassinés sous ses yeux mercredi. Elle, a été épargnée. Six jours après l'attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo, Sigolène Vinson, chroniqueuse judiciaire au journal satirique, a raconté l'effroyable scène au «Monde» et à «Marianne». «On a entendu deux pop (...) Je me suis jetée au sol», confie-t-elle au quotidien du soir.

    La jeune quadragénaire, plutôt du genre réservée se souvient précisément de chaque seconde. De l'ambiance joyeuse de la conférence de rédaction de rentrée, où chacun avait apporté du jambon, un marbré, des chouquettes... Puis de la terreur, celle qui dépasse les scénari de films. Car le réel s'invite sous une forme brutale, glaçante et inattendue. Sigolène Vinson entend la porte d'entrée de la salle de rédaction «sauter» et un homme crier «Allahou akbar». Puis cette question : «Où est Charb ?». Elle rampe au sol, et entend des coups de feu. «Je ne veux pas me retourner pour ne pas voir la mort en face», dit-elle au «Monde».

    Réfugiée derrière un muret, la journaliste entend la scène. «Ils tiraient balle après balle. Lentement. Personne n'a crié. Tout le monde a dû être pris de stupeur». Les pas se rapprochent, le correcteur Mustapha tombe. Elle voit ses pieds au sol. Saïd Kouachi, cagoulé et «habillé comme un type du GIGN», contourne lentement le muret et la met en joue. «Je l'ai regardé. Il avait de grands yeux noirs, un regard très doux. J'ai senti un moment de trouble chez lui, comme s'il cherchait mon nom (...) J'ai compris qu'il n'avait pas vu Jean-Luc, sous son bureau».

    «Il venait de tuer tout le monde et me braquait avec son arme»

    L'homme lui parle. «N'aie pas peur. Calme-toi. Je ne te tuerai pas. Tu es une femme. On ne tue pas les femmes. Mais réfléchis à ce que tu fais. Ce que tu fais est mal. Je t'épargne, et puisque je t'épargne, tu liras le Coran.» A cet instant, Sigolène Vinson ne sait pas qu'Elsa Cayat a été exécutée dans la pièce d'à côté. «Je me suis demandé pourquoi il me disait ça. Je pensais que mes chroniques judiciaires étaient jolies. Je trouvais assez cruel de sa part de me demander de ne pas avoir peur. Il venait de tuer tout le monde et me braquait avec son arme. Je l'ai trouvé injuste. Injuste de dire que ce qu'on faisait était mal, alors que le bien était de notre côté. C'est lui qui se trompait. Il n'avait pas le droit de dire ça.» Saïd Kouachi se tourne vers la grande pièce et crie : «On ne tue pas les femmes». Trois fois. Puis il disparaît.

    Le tireur ne lui a pas fait réciter le coran comme l'ont rapporté certains. Juste après le drame, la journaliste s'était brièvement confiée à RFI, mais elle était en état de choc et ses propos n'étaient pas très clairs.

    Car ce que Sigolène Vinson découvre quand les tueurs ont quitté les lieux est une véritable vision d'horreur. Elle aperçoit Philippe Lançon, la joue arrachée par une balle, qui lui fait signe. Il a deux corps au-dessus de lui. «Je n'ai pas pu lui tenir la main. Je n'ai pas réussi à l'aider. C'était trop». Elle enjambe les corps pour attraper son portable et appelle les pompiers. Elle hurle : «C'est Charlie, venez vite, ils sont tous morts.» L'attente des secours est interminable. Soudain Patrick Pelloux apparaît. «Je l'ai vu se pencher sur le corps de Charb. Il lui a pris le pouls au niveau du cou. Puis il lui a caressé la tête et lui a dit : Mon frère.»

    Puis elle découvre des survivants. «Je m'aperçois qu'il y a Cécile, Coco et Luce. C'est là que je me rends compte qu'il y a des vivants. Que toutes les femmes, en dehors d'Elsa, sont vivantes.»