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À Sarcelles: «Tu leur montres une carte, ils ne savent même pas où est la Palestine!»

Scène d'émeutes, ce dimanche, à Sarcelles. Thibault Camus/AP

REPORTAGE - À Sarcelles, tous les jeunes, jusqu'à la génération âgée de 25 ans ont fréquenté les mêmes écoles. Le repli communautaire concerne les plus jeunes, ceux qui ont pris part aux émeutes de dimanche.

Dans la cour, à l'arrière de la grande synagogue de l'avenue Paul-Valéry, des enfants jouent et rient. Ils se courent après. Il est presque midi, ils mangent à pleines mains des chips casher en forme de frites. C'est le centre aéré qui accueille pour l'été les gamins juifs du quartier. La veille, la synagogue était prise d'assaut par des jeunes décidés à en découdre. Ce lundi, des fourgons de CRS postés devant l'entrée du lieu de culte témoignaient de ces affrontements.

Sarcelles, ville de 60 000 habitants dans le nord de Paris (Val-d'Oise), est parfois surnommée «la petite Jérusalem». Après l'indépendance de l'Algérie, beaucoup de Juifs d'Afrique du Nord (Algérie, Maroc, Tunisie) sont arrivés en France et se sont installés là car les logements étaient bon marché. Puis les premiers Juifs ont attiré les autres et ont élu domicile à Lochères avec ses barres grises de HLM. Aujourd'hui, quatre communautés cohabitent: les Juifs d'Afrique du Nord, les Noirs notamment de Côte d'Ivoire, les Chaldéens (avec les Turcs) et les musulmans d'origine maghrébine. À Sarcelles, que l'on soit arabe, israélite, noir ou blanc, tout le monde naît au même endroit, à l'hôpital privé nord-parisien (Alexis Carrel), situé juste derrière la grande synagogue. Tous les jeunes, jusqu'à la génération âgée de 25 ans aujourd'hui, ont fréquenté les mêmes écoles. Le repli communautaire concerne les plus jeunes, ceux qui ont pris part aux émeutes de dimanche.

Laurent Berros, le rabbin de Sarcelles, est fatigué, la nuit a été longue pour tout remettre en place. Il nous reçoit dans son bureau. Derrière lui au mur, il a placardé cette inscription: «La langue est comme une épée à double tranchant. Elle peut apaiser, éduquer, aimer et faire aimer mais elle peut aussi bien irriter, abrutir ou détruire.» La semaine dernière, on l'informe de l'existence d'une manifestation pacifiste de soutien au peuple palestinien. Les habitants découvrent que des Abribus de Garges ont servi de tracts à des inscriptions au marqueur. «Palestine: venez équipés, mortier, extincteur, matraques, dimanche 20 juillet. Venez nombreux: descente au quartier juif de Sarcelles», pouvait-on lire dès le mercredi. Le vendredi, le préfet décide alors d'interdire la manifestation. Les événements de Barbès du samedi ne viendront que renforcer cette décision.

«On va vous mettre à feu et à sang»

Mais certains vieux habitants juifs du quartier savaient dès samedi soir que la situation allait dégénérer le lendemain. C'est pourquoi ils se sont calfeutrés chez eux. Le rabbin a demandé aux jeunes du service de sécurité d'être sur place le dimanche. Étaient présents devant la synagogue aux côtés des forces de l'ordre les ultras du Betar, de la Ligue de défense juive (LDJ) auxquels s'ajoute le service de protection de la communauté juive. À 13 heures, l'ambiance est électrique. Des voitures passent à toute allure et les passagers baissent leurs vitres en en croisant les Juifs rassemblés devant le lieu de prières: «On va vous mettre à feu et à sang.» Ce qui frappe les habitants de Sarcelles, c'est la forte présence de Turcs. «C'est la première fois que je vois des manifestants avec des drapeaux turcs dire mort aux Juifs», explique François Pupponi, député maire (PS) de la ville.

« Nous ne sommes pas seulement attaqués parce que nous sommes juifs mais aussi parce que nous sommes français : la preuve, les émeutiers ont sifflé La Marseillaise »

Laurent Berros, le rabbin de Sarcelles

«Les renseignements généraux disaient qu'il n'y aurait pas beaucoup de monde», raconte le rabbin. À 14h40, une vingtaine de jeunes est attroupée devant le lieu de culte. À 15 heures, ils sont 150 et à 15h30, 500, selon Laurent Berros. «Les jeunes Juifs qui étaient venus nous protéger ont entonné La Marseillaise car ils étaient heureux de voir les CRS ne pas se laisser déborder devant la synagogue, ajoute le rabbin. Nous ne sommes pas seulement attaqués parce que nous sommes juifs mais aussi parce que nous sommes français: la preuve, les émeutiers ont sifflé La Marseillaise.» Un Juif d'une quarantaine d'années soupire: «Le joli coup de pub de la LDJ! Ils savaient très bien que la scène était filmée et qu'il y aurait des images, c'est pourquoi ils ont chanté La Marseillaise.» Un membre du Crif estime que «quand on attaque le commissariat de Garges, ce ne sont pas les Juifs que l'on vise mais tout ce qui représente la République. On a dépassé le stade de l'antisémitisme. Quand une station de tramway, des cabines téléphoniques, une agence de Pôle emploi sont pris pour cible, quel rapport avec Israël?».

Au milieu du grand centre commercial les Flanades, on retrouve symboliquement la place de France. La pharmacie a été complètement incendiée dimanche par des émeutiers. L'odeur de tôle carbonisée est encore présente. Renée Banon, une petite femme juive, tient le commerce depuis 42 ans. Elle est traumatisée d'autant que les images de sa pharmacie dévastée passent en boucle à la télévision du restaurant casher où elle est attablée. Quasiment toute son équipe est venue la réconforter. «Il y a un Tunisien, un Kabyle. Des gens de partout, explique-t-elle. Pourquoi m'a-t-on fait ça?» Elle habite à Neuilly mais vient travailler tous les jours ici.

« C'est la première fois que je vois des manifestants avec des drapeaux turcs dire mort aux Juifs. »

François Pupponi, député maire (PS) de sarcelles

On ne quitte jamais vraiment Sarcelles quand on y est né, même si l'on est parti vivre dans les beaux quartiers. La pizzeria à côté, elle aussi tenue par un Juif, a vu sa devanture saccagée. À côté, la boucherie halal La Ferme d'Afrique est intacte. Même chose pour le supermarché Istanbul. Une agence Western Union et un magasin de pompes funèbres ont également été pris pour cible. Renaud, un grand Black, raconte: «Je suis ami avec des Juifs, on joue ensemble au rami le dimanche soir. Quand j'ai vu la tournure des événements, je leur ai dit de ne pas venir, ça allait éviter les embrouilles.» Michaël, un Juif de 45 ans, travaille dans une entreprise de vitrerie et de serrurerie. Dimanche soir, il a été appelé par la police de Sarcelles pour sécuriser les vitrines des commerces pris pour cible. La veille, il avait été appelé à Barbès. «Remercie les casseurs, ça te donne du boulot!», rigole son cousin. «Oui, grâce à Dieu, je travaille», répond Michaël.

Sur la place, des Sarcellois discutent. «Attention, planque-toi, voilà un Arabe», lance en riant une femme juive à une autre en voyant arriver un ami commun. «Dimanche, ils sont allés taper des clopes dans le bureau de tabac. Mais à quoi ça leur sert?», demande une femme voilée. «À les revendre!», répond un autre. «Mon frère, ce conflit se passe au bout du monde et ils sont en train de tout casser ici? Tu leur montres une carte, ils ne savent même pas où est la Palestine!», lance un grand Black. «Oui, mais ils savent tous où est Sarcelles», soupire un Beur.

À Sarcelles: «Tu leur montres une carte, ils ne savent même pas où est la Palestine!»

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368 commentaires
  • GérardJB

    le

    Avec tous les exemples en Europe de cohabitation difficile bien que séculaire sur fond de différences ethniques, religieuses et culturelles (Irlande du Nord, ex Yougoslavie, Pays Basque, Catalogne, Corse, Belgique etc.etc.) nos politiciens n'ont toujours pas compris que faire cohabiter ensemble des populations d'origines et de cultures différentes est une gageure. On voit le résultat de ce délire aujourd'hui mais comment faire machine arrière ? Si au moins on stoppait cette immigration folle! Mais ce n'est même pas le cas !

  • GérardJB

    le

    C'est-y pas beau, le fameux "vivre ensemble" ?

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