Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Le groupe Total devenu une arme de corruption massive

"Vous polluez les rues des villes où je respire, vous empoisonnez les côtes de l'Atlantique où j'aime vagabonder. Vous soutenez des régimes, en Birmanie ou en République du Congo, que je combats", dénonce Eva Joly.

Publié le 13 avril 2012 à 14h48, modifié le 14 avril 2012 à 12h53 Temps de Lecture 4 min.

Christophe de Margerie, je n'ai pas le plaisir de vous connaître. En tant que PDG de Total, vous évoluez dans un milieu, le pétrole, qui n'est pas le mien. Mais vous n'en influencez pas moins ma vie de tous les jours et celle de millions de gens en France et dans le monde. Vous polluez les rues des villes où je respire, vous empoisonnez les côtes de l'Atlantique où j'aime vagabonder. Vous soutenez des régimes, en Birmanie ou en République du Congo, que je combats. Bref, nos chemins se croisent mais pas pour le meilleur.

Alors qu'une scandaleuse décision de la Cour de cassation pourrait annuler votre condamnation, les habitants des côtes de Bretagne et de Vendée sont encore sous le choc provoqué par la marée noire de l'Erika le 12 décembre 1999 : des dizaines de milliers d'oiseaux mazoutés, des plages souillées, le tourisme décrédibilisé, des milliards de dégâts. Elle laisse une population encore traumatisée par ce qu'elle considère, à juste titre, comme une agression contre son territoire et son identité. L'Erika n'est pas un accident. De l'affréteur au donneur d'ordres, de l'armateur au bureau de recrutement, tous sont responsables et coupables... Y compris vous. La moitié de la flotte internationale, tous transports confondus, navigue sous pavillon de complaisance du Panama, de Malte, des Bahamas, du Liberia ou de Chypre.

C'est la chaîne de la souffrance humaine où des marins venant de pays surexploités sont asservis dans des bateaux rouillés qui vont dégazer et s'échouer sur nos côtes. Ces crimes ne vous empêchent pas, bien au contraire, de continuer à vous enrichir. Les Français savent que Total affiche chaque année les plus gros profits jamais réalisés par une entreprise française. Le bénéfice atteint, pour 2011, plus de 12 milliards d'euros.

Dans le même temps, Total payera seulement 300 millions d'euros d'impôts sur les sociétés en France, soit à peine 2,4 % de ses bénéfices ! En 2011, le groupe n'avait pas payé d'impôts sur les sociétés, car ses activités françaises étaient "déficitaires" ! Pourtant, vous n'hésitez pas à licencier vos salariés sacrifiés comme à la raffinerie de Dunkerque ou à vous dégager de vos responsabilités dans des accidents industriels, comme celui d'AZF à Toulouse en 2001.

Les prix flambent, les profits aussi, mais les peuples trinquent. Mais vous vous obstinez à continuer dans cette voie sans issue jusqu'à la dernière goutte de pétrole. Aujourd'hui vous n'arrivez pas à stopper la fuite de gaz sur la plate-forme Elgin, en mer du Nord. Au Canada, mais aussi au Venezuela et à Madagascar, Total investit dans la manière la plus chère et la plus sale de produire du pétrole : les sables bitumineux. Au Canada, l'exploitation des sables bitumineux a déjà détruit 3 000 km² de forêts.

Mais vous n'êtes pas seulement redevable de comptes sur vos crimes environnementaux. Vous êtes poursuivi pour complicité d'abus de biens sociaux, corruption et complicité et recel de trafic d'influence, pour corruption d'agents publics étrangers en Irak, en Iran ou au Cameroun. La première entreprise de France est devenue une arme de corruption massive. La corruption est intrinsèque à l'exploitation du pétrole depuis la naissance de cette industrie.

Pratiques douteuses

Les commissions occultes, les pots-de-vin au grand jour, le financement politique sont des spécialités qui ont permis de structurer une industrie qui repose sur le pillage des matières premières et les échanges inégaux avec des Etats du Sud. Au lieu d'investir dans la recherche des énergies renouvelables, vous avez gaspillé votre temps et votre énergie à garder et à conquérir des parts de marché et des zones de forage partout dans le monde, au mépris de la vie des peuples concernés. Je m'intéresse à Total depuis longtemps. Dans une autre vie, le procès de Roland Dumas et d'Alfred Sirven m'avait instruite sur les pratiques du groupe pétrolier Elf, qui a été absorbé depuis par votre groupe.

Face à vos pratiques douteuses, noires comme la couleur de votre pétrole, nous devons en finir avec l'impunité des entreprises de criminels en col blanc. Il faut en France créer un pôle environnemental au sein de la justice, chargé de regrouper l'ensemble des affaires concernant les entreprises qui commettent des délits et des crimes écologiques. Nous devons aussi créer une organisation mondiale de l'environnement, dotée d'un pouvoir de sanction, et instaurer, au sein de la Cour pénale internationale, une section jugeant les crimes écologiques pour réprimer le type de délinquance dont vous vous rendez coupable.

Vous ne pouvez continuer à bénéficier de l'impunité totale. Le seul principe que vous appliquez dans la réalité, c'est le principe de complaisance qui consiste à masquer sa responsabilité derrière une irresponsabilité fabriquée de toutes pièces et garantie par l'Etat. Je vous oppose les principes de responsabilité et de précaution. Un mot nous sépare : l'éthique. Mais ce seul mot crée un fossé entre votre monde, celui d'un Madoff planétaire de l'environnement, et le mien.


Candidate EELV

à l'élection présidentielle

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.