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Cinq idées reçues sur la politique familiale en France

Unique en Europe, expliquant à elle seule la natalité française, performante... La politique familiale française est un sujet de débats passionnés. Et d'idées reçues.

Le Monde

Publié le 30 septembre 2014 à 20h37, modifié le 08 octobre 2014 à 11h49

Temps de Lecture 5 min.

Devant le siège de la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF).

Haro sur la politique familiale. A la recherche d'argent pour diminuer le déficit de la sécurité sociale, qui peine à se réduire, le gouvernement a annoncé lundi 29 septembre une série de mesures visant à réduire les dépenses de la « branche famille », pourtant la moins déficitaire : diminution de la durée du congé parental, de la prime à la naissance, des majorations d'allocations familiales...

Les prestations familiales sont un sujet de débat passionnel en France, depuis plus d'un demi-siècle : faut-il qu'elles restent universelles ? Que doit-on plafonner ? Quel est leur effet concret ? Autant de questions... et d'idées reçues. En voici cinq.

Qu'appelle-t-on « politique familiale » ?

1. Non, la politique familiale n'est pas une exception française

2. Non, la corrélation entre politique familiale et natalité n'est pas si évidente

3. Oui, la politique familiale « universaliste » a un coût certain

4. Oui, la branche famille est structurellement plutôt à l'équilibre

5. Non, supprimer l'AME ne pourrait pas générer des économies comparables

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Premier point : alors qu'elle est souvent citée comme un « modèle » et un succès unanimement reconnu, la politique familiale n'est pas l'apanage de la France, ni un domaine où elle bat des records en Europe.

L'OCDE mesure le poids des politiques familiales, en part dans le PIB et, on le voit, la France n'est pas celle qui dépense le plus, même si elle figure dans le haut du tableau :

Néammoins, avec la crise, de nombreux pays européens ont réduit ou plafonné les prestations familiales et diminué l'ampleur de leur politique familiale. Cette carte fait le tour des mesures prises en 2013, détaillées dans le fameux rapport Fragonard, qui posait cette question.

D'autres pays ont cependant, à l'inverse, fait le choix de soutenir encore plus les familles, estimant que cela pourrait relancer l'économie.

Autre idée reçue : la politique familiale serait la garante d'une natalité forte. Or, là encore, ce n'est pas toujours vrai.

Le graphique ci-dessous, également extrait des données de l'OCDE, montre d'une part la natalité en 2012, d'autre part la politique familiale, toujours en part de PIB.

On le voit, si certains pays qui dépensent beaucoup en politique familiale ont une natalité forte, dont la France, le Royaume-Uni ou l'Irlande, ce n'est pas toujours vrai. Ainsi, le Luxembourg, en troisième position pour ses dépenses de politique familiale, n'affiche qu'une moyenne de 1,57 enfants par femme. Même chose pour l'Allemagne, où la politique familiale peine à compenser la faible natalité. A l'inverse, les Pays-Bas connaissent une natalité relativement élevée pour des dépenses de politiques familiale faibles.

Le chercheur Olivier Thévenon, de l'institut national des études démographiques (INED), interrogé par Le Monde en 2013, estimait d'ailleurs qu'il faut être « très prudent pour évaluer l'incidence des aides sur la natalité », ajoutant que, plus que les allocations, ce sont « les aides en matière de garde d'enfants, permettant aux mères de concilier travail et vie familiale, qui soutiennent la fécondité ».

Or, le manque de places d'accueil en crèche est constant en France : on compte une place pour deux enfants environ, malgré une légère amélioration ces dernières années.

Autre point : nombre de défenseurs, en France, de la politique familiale, mettent en avant la nécessité d'en conserver l'universalisme : aujourd'hui, toute famille nombreuse en France perçoit le même montant d'allocations familiales, quel que soit son niveau de revenu.

Une générosité qui fait débat : les prestations « universelles » représentaient en 2011 47,9 % du total des prestations versées par la branche famille. Par exemple, les allocations familiales (universelles) représentaient 12,6 milliards d'euros en 2012, sur un ensemble de 20 milliards d'aides versées aux familles.

Même la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje) pose des questions d'égalité : selon la Cour des comptes, les 10 % de familles les moins aisées ont touché en 2010 120 millions de « complément de libre choix du mode de garde », l'allocation Paje pour les enfants gardés à domicile ou chez une nourrice, quand les 10 % de familles les plus aisées touchaient, pour la même allocation, 1,05 milliard d'euros, soit le décuple. Derrière cette injustice, une combinaison d'effets de bord : on touche plus d'aides pour une nourrice à domicile, qui ouvre droit à des réductions d'impôts, que pour une place en crèche.

Plusieurs pistes de réflexion existent : fiscaliser les allocations, les plafonner... Mais le sujet est politiquement difficile à lancer.

Dernier bémol à apporter aux idées reçues : la branche famille de la sécurité sociale est loin d'être celle qui connaît le déficit le plus important.

Rappelons en effet que le modèle français mélange un principe assurantiel et un principe de solidarité : la Sécurité sociale est alimentée en grande partie par les cotisations des actifs. Un argument qui va dans le sens de l'universalité des prestations : je cotise, je dois donc pouvoir « récupérer mon argent ».

Or, la branche famille va... plutôt bien. Ou du moins moins mal que les autres :  en valeur absolue, c'est elle qui connaît le plus faible déficit : 2,9 milliards d'euros prévus en 2014, contre 7,3 pour le régime maladie.

Mais il ne faut pas oublier que la branche famille est quatre fois inférieure à la branche maladie : ce qui limite d'autant sa capacité à « produire » du déficit.

Les associations familiales estiment toutefois que ce déficit est en partie dû au report sur le régime « famille »  de dépenses qui ne devraient pas l'être, notamment la majoration des pensions de retraite pour les parents de trois enfants ou plus (4,4 milliards d'euros en 2011).

La dernière idée reçue concerne la fameuse aide médicale d'Etat (AME) accordée aux étrangers sans moyens de se soigner, et dont les coûts augmentent. Plusieurs personnalités, notamment à droite, évoquent son montant (744 millions d'euros en 2014), et font le comparatif avec le déficit de la branche famille.

Mais ce n'est pas si simple : d'une part, sauf à laisser les étrangers mourir de maladie sans les soigner ce qui, outre les questions morales et juridiques que cela poserait, présente des risques pour la santé publique (épidémies...), il faudrait bien que quelqu'un paye pour leurs soins. On risquerait donc tout simplement de reporter ce déficit sur les budgets des hôpitaux.

La majorité UMP avait mis en place, en 2011, un forfait de 30 euros demandé aux bénéficiaires de l'AME. Il a été supprimé par le gouvernement Ayrault avant d'avoir pu entrer en application.

Depuis, des instituts comme l'Ifrap (libéral) estiment qu'en limitant l'AME aux seuls soins urgents, on pourrait économiser 400 millions d'euros par an. Sachant que les économies qu'a annoncées le gouvernement sur la branche famille doivent atteindre 700 millions d'euros. Au total, cette réforme ne suffirait donc pas à « combler  » le manque.

Cet article a fait l'objet d'une reprise sur RMC et BFMTV :

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