Chronique

Dans la tête de Melania

Désolée, mais ça ne faisait pas partie du deal. Le deal ? Celui que j’ai scellé en épousant Donald. L’entente était pourtant simple.

Moi, la belle.

Moi, la sculpturale Slave qui fait tourner toutes les têtes dans les salons mondains et les bals de charité et qui fait bander d’envie tous ses amis dégoûtants.

Lui, la bête.

Lui, la bibitte vulgaire mais ultra-riche qui m’assure une vie douillette et dorée à New York. Champagne, hélicoptères, American Express Platine et domestiques qui se précipitent à mes pieds quand je sonne la clochette en or massif dans notre penthouse qui surplombe la ville qui ne dort jamais.

Bref, je vous parle du deal typique et implicite qui unit toutes les top-modèles du monde qui choisissent d’épouser un milliardaire bedonnant qui a l’âge de leur père.

Mais personne ne m’avait jamais parlé d’aller vivre à Washington ! Washington est le Hollywood des gens laids, comme l’a dit Roger Stone, le sinistre stratège de mon mari, dans le documentaire qui lui est consacré (1). L’avez-vous vu, ce documentaire ? Vous devriez.

Je me fous de la politique. Ça ne m’intéresse pas, ça ne m’a jamais intéressée.

Mais Donald a insisté : « Je vais me présenter à la présidence, babe, on verra ce qui va arriver. It’ll be super wooooonderfuuuul ! », m’avait-il assuré…

Moi, je ne voulais rien savoir.

Je ne voulais rien savoir d’être épiée par les journalistes 24 heures sur 24, sept jours sur sept, de faire des sourires et des saluts comme si j’étais une version plus jeune et plus grande de la reine d’Angleterre.

« Donald, si tu te lances en politique, lui ai-je dit, je me casse chez ma mère ! »

Pour m’amadouer, il m’a acheté un tigre en diamants, je n’avais jamais demandé un tigre en diamants, je ne savais même pas qu’une telle chose existait, il a pensé me faire plaisir, j’imagine, j’ai dû faire une tête bizarre parce qu’il a dit que je pourrais toujours le vendre sur Kijiji, un jour.

J’ai rechigné, j’ai bougonné, j’ai même pleuré…

Mais Donald a insisté.

Il insiste toujours, Donald. Qui a dit que la bêtise insiste toujours, au fait ? Ah, oui, c’est Camus qui a dit ça. Je le cite au texte (Camus, je le précise) : « La bêtise insiste toujours, on s’en apercevrait si l’on ne pensait pas toujours à soi… »

Vous pensez que Camus pensait à mon Donald quand il a écrit La peste ? Ne me répondez pas, c’est une question rhétorique.

Alors il s’est lancé en politique, ce con. Évidemment, il fallait que je sois là, à ses côtés. Au début, c’est l’instinct du métier de mannequin qui m’a permis d’avoir l’air de prendre mon pied quand il faisait le pitre dans des hangars d’aéroport à emberlificoter des Américains désœuvrés qui croyaient vraiment qu’un milliardaire new-yorkais né dans la richesse allait les sortir de leur merde socio-économique s’il devenait POTUS…

Alors oui, j’avais L’AIR heureuse, en jouant la future première dame. Je faisais comme quand des publicitaires utilisaient mon visage pour vendre de tout, même des condos en time sharing à Orlando : je faisais… semblant. Là, mon visage servait simplement à vendre un autre type de produit, un futur président. Comme pour les condos à Orlando, je faisais semblant que c’était un produit que j’aimais.

Je jouais donc mon rôle sans me plaindre, certaine que Donald perdrait, comme un peu tout le monde…

Je tenais donc le coup… Jusqu’à ce que le Washington Post déterre les commentaires de Donald à propos des femmes qu’on peut « agripper par la chatte », j’imagine que vous n’avez pas oublié ça, vous non plus…

Oui, oui, je sais, ce sont des propos indignes qui décrivent une agression sexuelle. J’ai tiqué là-dessus. Mais moi, ce qui m’a un peu, beaucoup, furieusement fait capoter, c’est LA DATE où il s’est vanté d’agripper des femmes par la chatte…

Nous étions DÉJÀ mariés, quand il s’est vanté de faire ça, en 2005, vous saurez.

Ce soir-là, j’ai vidé une bouteille de chardonnay et je lui ai dit que c’était fini-f-i-n-iiiiii, lui et moi.

Là, c’est un éléphant en diamants qu’il m’a offert pour se faire pardonner. Je lui ai fait la passe du cochon slovène à son ta****** d’éléphant, vous irez voir sur YouTube c’est quoi, la passe du cochon slovène…

Je me suis dit : OK, j’endure jusqu’à ce qu’il se fasse laver par Hillary à l’élection. Après, basta, je demande le divorce – « différences irréconciliables », LOL – et je tombe amoureuse d’un poète grec vivant dans une cabane de pêcheur sur le bord de l’Adriatique : au diable le glamour, je veux rien de compliqué…

Mais il l’a gagnée, la putain d’élection ! Ces idiots ont voté pour lui.

Là, j’étais coincée.

Pouvais-je le quitter ?

Peut-on larguer un président désigné des États-Unis ? Non. On ne peut pas.

Alors je suis là, de Mar-a-Lago à Rome, à ses côtés, je suis là, mais je le déteste. Et il le sait…

Ma haine, je ne peux pas la crier. Ce ne serait pas très protocolaire, pas très first lady-like.

Alors ma haine, je la communique subtilement, mais je la communique au monde entier.

Je ne connais rien à la politique, mais les caméras, doux Jésus, ça je connais, championne du monde…

Mon sourire qui s’évapore dès qu’il ne me regarde plus, comme lors de sa prestation de serment ?

J’avais fait un nano-pas de côté, juste pour être certaine qu’une caméra capterait mon visage. C’est devenu un GIF : je n’en demandais pas tant…

Et à Rome, quand il a tenté de me prendre la main en sortant d’Air Force One et que je l’ai levée pour replacer ma frange, vous pensiez que c’était juste du mauvais synchronisme ?

J’avais répété le geste devant le miroir de l’avion…

Je ne peux pas hurler ma haine. Mais attendez mon autobiographie. Je l’écris déjà dans ma tête. Pouvez être certains que je vais citer Camus.

1. Get Me Roger Stone

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