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Phobies scolaires : comment s’y attaquer ?

On estime que 1 % à 3 % des enfants et des adolescents ont peur de l'école.

Par Lucile Berland

Publié le 15 septembre 2014 à 16h27, modifié le 16 septembre 2014 à 12h47

Temps de Lecture 8 min.

Photo d'illustration.

Garçons ou filles, très bons élèves ou un peu moins bons, bosseurs ou refusant de faire leurs devoirs, angoissés à l'idée d'aller à l'école ou d'obtenir une mauvaise note, timides, dans la lune ou hyperactifs… De la maternelle aux études post-bac, ces enfants ont un point commun : l'école leur fait peur.

« C'est allé très vite, j'étais en classe de 5e. Plusieurs copines se sont liguées contre moi et ont commencé à m'insulter, à m'envoyer des messages de menaces sur mon téléphone et sur MSN. Pendant trois mois, j'ai trouvé des excuses pour ne pas aller au collège. Au début, j'inventais que j'avais mal à la tête et mal au ventre, mais petit à petit, je le ressentais vraiment. »

Emma (son prénom a été modifié), originaire de Dunkerque (Nord), a aujourd'hui 22 ans. Il lui a fallu cinq ans pour parler de ce traumatisme à sa mère. Aujourd'hui en dernière année d'école de commerce à Paris, elle avoue avoir vécu une période très difficile : « Ces filles m'ont fait pleurer comme jamais personne ne le fera. Je m'en suis sortie parce que j'ai eu de la chance : c'était la fin de l'année, il y avait les vacances scolaires, et à la rentrée, le groupe de filles a été éclaté dans des classes différentes. »

On estime que 1 % à 3 % des enfants et des adolescents victimes de phobie scolaire. Et si Emma s'en est sortie seule, ce n'est pas le cas de tous les écoliers, collégiens et lycéens. Pour s'attaquer le plus efficacement possible à la phobie scolaire, les professionnels de l'éducation et de la santé préconisent un parcours en trois étapes : diagnostiquer, entamer un dialogue entre l'enfant, la famille, l'école et éventuellement le milieu médical, puis passer à la phase de soins.

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« Dès les premiers mois du CP, Alessia pleurait avant d'aller à l'école et ne voulait plus manger à la cantine. Puis elle a commencé à avoir des troubles obsessionnels compulsifs [TOC], sa culotte la serrait et elle tirait sur ses pantalons, et petit à petit elle ne voulait plus que des jupes, sans collant, même en hiver ! » C'est ainsi que Barbara (qui ne souhaite pas donner son nom de famille), mère de trois enfants près de Marseille, comprend que son aînée est en souffrance.

« Sa maîtresse disait qu'elle était pertinente, mais qu'elle ne rentrait pas dans le moule… Dès le premier trimestre, elle disait qu'il faudrait qu'elle redouble son CP. » Inquiète, Barbara fait alors passer différents tests à Alessia et découvre qu'elle est « précoce, hypersensible et angoissée par beaucoup de choses ». Beaucoup de choses, mais surtout à l'école, par l'oubli de matériel, la mauvaise compréhension d'une consigne ou l'obtention d'une mauvaise note.

Lire notre post de blog : Du simple frisson à la phobie scolaire

Retards, absentéisme, mutisme, insolence voire violence, refus de travailler, pleurs, crises d'angoisse ou tocs... « Selon l'âge de l'enfant, il ne manifeste pas les mêmes signes », explique le docteur Isabelle Latinis-Heritier, pédopsychiatre et responsable du centre d'accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) de Bussy-Saint-Georges (Seine-et-Marne).

« En maternelle, il y a surtout des enjeux de séparation des parents, la peur de l'inconnue. En primaire, ce sont plutôt des troubles des fonctions instrumentales liés aux apprentissages de la lecture, de l'écriture, du calcul. Au collège et lycée, ce peut être des décompensations plus graves, plus longues à résoudre, comme des dépressions ».

« Une phobie est une résistance au système scolaire », analyse le docteur Fernando Bayro-Corrochano, psychanalyste et psychothérapeute au Centre médical spécialisé de l'enfant et de l'adolescent à Paris. Pour le psychanalyste, dont 20 % des patients sont des enfants atteints de ce type d'angoisse, il est important de remonter aux origines de la phobie, pour localiser où et quand elle est apparue : « Il faut demander à l'enfant de raconter ce qui se passe à l'école, quelle relation il a avec son enseignant, s'il a déjà eu des remarques désobligeantes ou s'il trouve la maîtresse trop exigeante, s'il s'entend bien avec ses camarades aussi… » Mais parler, pour l'enfant, est souvent le premier obstacle.

« Quand ils arrivent à l'infirmerie, les enfants ont déjà somatisé et la plupart d'entre eux n'arrive pas à dire qu'ils ont peur de l'école », témoigne Brigitte Accart, infirmière scolaire dans le Val-d'Oise et secrétaire générale du syndicat d'infirmières scolaires SNIES-UNSA. « Un simple “J'ai mal à la tête” » ou “J'ai mal au ventre” peut cacher plein de choses, il ne faut pas s'arrêter là. Si l'enfant revient plusieurs fois, il faut commencer à creuser avec l'enseignant et la famille pour mettre bout à bout toutes les informations, car les enfants ne laissent pas apparaître les mêmes choses devant les parents, le prof, le CPE, l'infirmière… »

La phase de rencontre et de dialogue avec un membre de l'équipe éducative ou avec un professionnel de santé est également l'occasion d'appréhender la relation de l'enfant avec ses parents. « On dit trop souvent que c'est l'enfant qui a un problème, mais ce peut aussi être lié à son environnement familial, souligne le docteur Bayro-Corrochano. Il arrive que l'enfant soit perturbé par une situation économique difficile des parents, ou suite à un divorce, pour signaler qu'on ne lui a pas demandé son avis… »

La phobie scolaire peut également découler d'un important déficit de confiance en soi ou d'une peur de l'échec, d'où l'importance d'encourager l'enfant et de dédramatiser les enjeux. « A 7 ou 8 ans, certains me disent déjà qu'il faut qu'ils travaillent bien à l'école pour ne pas devenir clochard ! Je n'arrête pas de leur dire que le programme scolaire est à la hauteur de tous les enfants, de l'école primaire jusqu'au bac ! », témoigne le docteur Bayro-Corrochano. Un discours bien différent de celui parfois véhiculé dans la cour de récréation ou par les professeurs, et qui culpabilise l'enfant en difficulté, justement sous prétexte que « le CM2, la 3e ou le bac, c'est facile et tout le monde peut y arriver ».

Emma, la jeune Dunkerquoise pour qui la classe de 5e fut un calvaire, se souvient qu'à l'époque, elle n'avait personne à qui parler. « S'il y avait eu un psychologue à l'école j'y serais sûrement allée, mais ce n'était pas le cas, confie-t-elle. Mes profs, mes parents ? J'avais honte, et surtout, j'avais peur qu'ils ne me croient pas. Dans ces moments-là, on doute de tout, même de nous, et on se demande si tout n'est pas de notre faute, si on ne l'a pas mérité. »

Pour les adolescents qui seraient en quête de contacts extérieurs au milieu familial ou scolaire, il existe deux types de structures prêtes à les accueillir un peu partout sur le territoire. Près de 85 Maisons des adolescents implantées dans les grandes villes dispensent conseils, informations et écoute aux jeunes de 12 à 25 ans, ainsi qu'une prise en charge médicale et psychologique gratuite si nécessaire.

Des points d'accueil et d'écoute jeunes de proximité, plus ou moins nombreux selon les départements (1 à 5 en province, jusqu'à 40 par département en région parisienne et 130 à Paris) accueillent eux aussi sans rendez-vous et sans conditions, de manière gratuite et confidentielle, les jeunes qui le souhaitent – sans possibilité de soins sur place en revanche.

Détecter : « Elle ne rentre pas dans le moule »

En parler : « Il faut travailler ensemble »

Se soigner : « Il n'y a rien de magique »

Il n'existe pas un seul parcours thérapeutique : chaque enfant doit suivre un parcours adapté, construit autour de ses besoins spécifiques et de son caractère. « Certains enfants ne supportent pas le rythme de l'école, ils ne sont pas dans la performance, dans la compétition, explique le docteur Bayro-Corrochano. Des activités extrascolaires peuvent compenser et servir de soupape, comme le sport ou les arts plastiques. »

De plus en plus, la tendance est à la complémentarité des disciplines. Certains médecins, à l'instar de Marie-Rose Moro, psychiatre-psychanalyste pour enfants et adolescents à la Maison de Solenn, préconisent même, dans certains cas, des méthodes moins conventionnelles : « Souvent, on a besoin de plusieurs éléments dans le traitement : psychothérapies, thérapie familiale, activité en hôpital de jour, mais aussi pourquoi pas, hypnose ou techniques qui s'intéressent au corps comme la relaxation. Il n'y a rien de magique, ni de miraculeux. Avec les phobies scolaires, on est dans un domaine où il y a une partie subjective et plusieurs stratégies sont possibles. »

Lire la critique du livre d'Anne-Marie Rocco : Article réservé à nos abonnés Vaincre la phobie scolaire, le combat d'une mère

Pour le docteur Latinis-Heritier, il est possible de faire correspondre un dispositif d'accueil à chaque stade de phobie scolaire, selon la gravité des symptômes : « Le premier stade, c'est la médecine ambulatoire, soit dans le secteur public, avec les centres médico-psychologiques, soit dans le privé, dans un cabinet de ville. Si les symptômes sont plus graves, on peut proposer une place en CATTP. Enfin, en dernier recours, il arrive qu'on préconise l'hospitalisation, en pédiatrie et/ou en psychiatrie. »

En cas d'absentéisme prolongé, il est enfin très important de soigner le retour en classe. Un moment essentiel qui, s'il n'est pas bien préparé, peut réduire à néant plusieurs semaines voire plusieurs mois : « Il faut discuter du retour de l'enfant avec l'équipe de vie scolaire, les enseignants, les parents. Si un retour à temps plein n'est pas envisageable, on peut éventuellement décider d'un projet d'accueil individualisé pour une réintégration progressive, explique Brigitte Accart, secrétaire générale du syndicat d'infirmières scolaires SNIES. Il ne faut pas non plus hésiter à être plus clément avec l'élève, qui aura peut-être accumulé des lacunes durant son absence, à le revaloriser pour qu'il reprenne confiance. »

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