» Macron continue de détruire ce qu’il reste des universités… »

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Cyril Triolaire est maître de conférences en études théâtrales à l’université Clermont Auvergne. Il est aussi secrétaire académique du Syndicat National de l’Enseignement Supérieur, le SNESUP. Il décrypte avec nous l’actualité des politiques menées envers les universités depuis N. Sarkozy. 

 

Cyril, comment et pourquoi as-tu commencé à t’engager pour les universités ? 

J’ai été prof d’histoire-géo dans les collèges et lycées dès 2001. En 2002/2003, souviens-toi, la réforme des retraites. Je suis monté au créneau comme beaucoup de gens, et je me suis rapproché, à ce moment-là des syndicats. J’étais en poste à l’académie de Créteil. Et j’ai rencontré les syndicalistes clichés : les vieux de la vieille, contre tout sans savoir pourquoi parfois. Je devais être aussi un jeune con, à cette époque. Mon père est inspecteur du travail, pour lui, les syndicats sont importants, représentent un poids dans la défense du salarié, ou lors de conflit social. Mais moi, ma première expérience m’a beaucoup déçu. 

Puis, j’ai été prof de fac, je suis revenu en Auvergne. Un an après mon arrivée, on m’apprend que l’université a un déficit de plus de 5 millions d’euros, s’ajoute à ça la Loi LRU (sur laquelle on reviendra). J’ai râlé, manifesté, fouillé, j’ai été poussé aussi par mes collègues à prendre la parole, et du coup, naturellement je suis me suis syndiqué!

Depuis, nous travaillons surtout sur des cas individuels. Beaucoup d’agents administratifs sont malmenés dans les universités: contrats précaires, on les fait déménager de service, on leur apprend en juin qu’on ne renouvelle pas leur contrat. En cette fin d’année, on a réussi à régulariser 4 cas juste sur notre fac. Plus, j’imagine, tous les dossiers dont on n’est pas au courant…

E.Macron a annoncé la baisse de 331 millions d’euros pour l’enseignement supérieur, tu en penses quoi ? Le budget de l’université Blaise Pascal c’est, à titre d’exemple, 170 millions, dont 79% représentent la rémunération du personnel. 

Cette baisse c’est tout et rien. C’est l’équivalent de la fermeture de 2 universités comme la nôtre en France, c’est la suite d’une politique catastrophique amorcée par Sarkozy et continuée par F. Hollande. On se doutait qu’avec Macron, ça n’irait pas dans le bon sens. Le budget de l’enseignement supérieur est de 23,25 milliards d’euros, dont 2, 54 milliards pour la vie étudiante et 7,7 milliards pour le financement de la recherche. Donc, 331 millions, ça ne fait pas lourd. Mais d’un autre côté, ce qui me scandalise le plus, c’est le Crédit d’Impôt Recherches. En gros, une entreprise peut investir dans des laboratoires de recherches, sans aucune contrepartie. Et depuis Sarkozy, l’Etat lui permet d’obtenir une optimisation fiscale pour avoir investi dans les universités. On estime que chaque année, l’Etat distribue à ces grosses entreprises entre 5 et 6 milliards d’euros. Moralité,  l’argent public sert à avantager des entreprises privées mais pas les universités … Le monde à l’envers …

 

En plus, le fait que des entreprises privées investissent dans la recherche c’est un peu flippant pour la liberté de la recherche. J’imagine Limagrain payer une thèse sur les OGM, je me doute que les doctorants iront dans le sens de ses financeurs, non ? 

Exactement, et ça, c’est la loi LRU, et la fameuse autonomie des facs. En gros, la loi dit que chaque université devient indépendante, avec son propre budget, ses propres décisions, son personnel … Pour parvenir à résister, les universités cherchent donc de l’argent privé. Elles doivent devenir plus attractives, rayonner davantage et leur fusion en faveur d’établissements plus importants est l’une des stratégies à l’œuvre. C’est le cas des 2 universités de Clermont-Ferrand, par exemple. Le but est de n’avoir qu’une université par région. Certaines ont résisté comme à Montpellier, car les deux établissements étaient en désaccord politique. Moi je doute que créer des mastodontes universitaires servent la cause des étudiants. On a une référence dans le domaine universitaire, c’est le classement de Shangaï. L’université Blaise Pascal (université lettres et sciences humaines de Clermont-Ferrand) y apparaissait d’ailleurs. Beaucoup s’imaginent que si on fusionne, on aura une bibliométrie plus importante (nombre de publications dans l’année), mais comme tout le monde fusionne ça revient au même ! 

Oui, et peut-être que ce n’est pas la quantité mais la qualité des publications qu’il faut prendre en compte non ? 

Evidemment! Et en sciences sociales, tu peux prendre 2 ans pour faire une recherche. Dans d’autres domaines, ce sera plus rapide. Tout ça pour te dire que la loi LRU autonomise les universités, donc se pose le problème de la masse salariale à gérer tout seul comme un grand. Il faut gérer aussi cette réunification de 2 universités aux habitudes de fonctionnement différentes, et maintenant il faut performer, produire pour avoir la plus grosse bibliométrie possible !  Pour la masse salariale, le transfert d’argent public n’a pas pris en compte ce qu’on appelle le Glissement Vieillesse Technicité, c’est à dire le vieillissement du personnel et donc l’augmentation mécanique de son salaire en fonction de son ancienneté. Lorsque l’université s’est retrouvée à 5 millions de déficit, ce n’est pas la fusion avec Clermont-Auvergne qui nous a sauvés, mais la suppression de 50 postes d’enseignants-chercheurs, et 50 postes d’agents. Chez nous, les étudiants mangent par terre car ils n’ont pas de restaurant universitaire, ni de fontaine à eau. Alors, bientôt, au lieu des 80 universités françaises, après la fusion, elles ne seront plus que 40, mais dans quel état ? 

 

Cette loi, elle a dégradé le niveau d’enseignement ? 

En tous cas, l’enseignement change de visage. Les enseignants-chercheurs sont titulaires d’un doctorat et poursuivent des recherches nouvelles auxquelles leurs enseignements donnent une visibilité et profitent aux étudiants. Aujourd’hui, l’université, pour des raisons économiques, car l’enseignement-chercheur coûte cher, va recruter plutôt des PRAG, des enseignants du secondaire, par exemple. Ils sont moins bien payés et ne font pas de recherches. Les cours qu’ils distribuent n’ont donc pas cette valeur ajoutée qui était l’essence même de l’université.  Ca dénature nos établissements qui doivent rester le lieu de réflexion, de recherches, de laboratoires…

Et puis, il ne faut pas se voiler la face, certaines universités ne vont pas survivre à tous ces changements. Certaines filières ne pourront accueillir que des licences (jusqu’à bac+3) car justement n’auront plus les moyens de recruter des enseignants-chercheurs. Celles-ci, à mon avis, ne tiendront pas longtemps. Un étudiant à Pau par exemple ne pourra plus tout étudier dans sa ville et devra se rendre à Toulouse ou Bordeaux. Même à Clermont-Ferrand, on le voit, les maîtres de conférences sont parfois remplacés par les PRAG. 

 

Pourtant Clermont-Ferrand a obtenu le Label ISITE, tu peux nous dire ce que c’est ? 

Oui, parfaitement. 15 facs ont obtenu ce label, qui nous promet 370 millions d’euros dans 10 ans. Pour cela, il faut répondre à des critères sur des domaines prioritaires. 

4 domaines ont été sélectionnés pour nous :

les agrosystèmes durables dans un contexte de changement global,

les risques naturels catastrophiques et la vulnérabilité socio-économique,

les systèmes et services innovants pour les transports et la production,

la mobilité personnalisée comme facteur clé de la santé.

IL faut savoir que sur les 1ères années, l’État verse 5 à 6 millions d’euros par an, et que les collectivités et partenaires doivent verser autant. 

Mais sais-tu quelles sont les entreprises qui inspirent largement ces 4 axes ? Michelin et Limagrain. 

Le problème c’est que quand tu lis les 4 axes, tu te rends compte que moi qui suis spécialisé dans l’histoire contemporaine, je n’ai pas grand-chose à y faire, mais si je veux que le service auquel je suis rattaché touche quelques milliers d’euros de ce programme, je dois tourner mes recherches dans les domaines sélectionnés. Je me retrouve à ne plus avoir la liberté de faire des recherches dans ma spécialité pour entrer dans le moule, toucher de l’argent. C’est bien le financement pérenne et récurrent de nos laboratoires qui doit garantir la liberté de notre recherche et des projets conduits et décidés collectivement. 

Et si, les critères ne sont pas respectés, l’Etat peut se retirer à mi-parcours. Montpellier a vécu ça, et a dû fermer des filières car n’ont pas eu l’argent espéré…

 

Si je comprends bien, la loi LRU ça a fait un beau bazar, et ça ne va pas dans le bon sens. La rentrée va être explosive, alors ?  

Tu le sais aussi bien que moi, l’université est un lieu dans lequel on doit prendre le temps de réfléchir, lire, approfondir, chercher. C’est un lieu de formation citoyenne. Alors, j’en appelle à la prise de conscience forte de la part de mes collègues, des profs, des étudiants. Mais, on va manifester 10 jours pour récupérer les 331 millions, ils vont nous donner un biscuit de 80 millions pour nous calmer et on va rentrer en classe. Il n’empêche, qu’en cette rentrée, 65 mille élèves n’ont pas d’affectation dans les facs. En fait, chaque rentrée, c’est de pire en pire…Jusqu’à quand? 

En plus de la baisse du budget, Macron a annoncé d’autres réformes, tu peux nous en parler ? 

Macron, il veut carrément supprimer le CNU, c’est un conseil universitaire indépendant, dont deux tiers des membres sont élus, qui après l’obtention de leur thèse, valide scientifiquement et pédagogiquement les dossiers des candidats à des postes de Maîtres de conférences. Il veut le remplacer par un comité de  » recrutement ». (comme dans une entreprise !) Jusque là, nous sommes jugés par nos pairs, des experts dans nos domaines. Nous pourrions être jugés et recrutés par des chefs d’entreprise par exemple ! 

Et puis, il veut aussi que le président d’université soit nommé par un comité d’experts extérieurs à la fac, avec des représentants étrangers. Alors que, jusqu’à aujourd’hui, le président est élu par le personnel. On va arriver à de véritables problématiques de démocratie interne…

Surtout, Macron a réuni des groupes de travail qui réfléchissent sur hausse des inscriptions. Ca me scandalise. Aujourd’hui, l’inscription à la fac coûte entre 184 et 256 euros par étudiant. Le but est de l’augmenter à 1000 euros, par exemple voire même au-delà. Ceci dit, c’est déjà le cas, certaines formations sont payantes. On y arrive doucement. On fait même payer des étrangers sous prétextes que dans leur pays ils paieraient plus cher de toutes façons! 

Moi, je vais te dire, en tant qu’enseignant, je me suis intéressé au budget de mes étudiants. 40 % bossent à l’année pour financer leurs études. Tu vois la baisse de 5 euros d’APL, c’est un symbole, car c’est pas avec ça qu’il va rentabiliser le pays Macron, ça sert à rien, et en même temps, ça peut être très pénalisant. J’ai eu cette année un étudiant qui bossait de nuit jusqu’à 4 heures du matin. Ce sont ces collègues qui lui payaient un sandwich quand ils prenaient la relève pour qu’il n’aille pas à la fac le ventre vide. Ce même élève est venu me voir un jour, il ne pouvait plus se laver, car il n’avait pas d’argent pour acheter un gel douche, il utilisait le liquide vaisselle. Alors, je suis d’accord, plein d’étudiants n’ont pas cette problématique, mais pour lui 5 euros c’est peut-être une semaine de survie…j’ai bien aimé d’ailleurs le coup de France Insoumise à l’hémicycle qui, par le Biais de Mélenchon et Alexis Corbière, a montré les courses que l’on pouvait faire pour 5 euros. Pour certains, 5 euros, c’est invisible, c’est vrai, pour d’autres, c’est essentiel…

Macron il alimente le dispositif mis en place par Sarkozy et entre temps, Hollande n’aura pas fait grand-chose…

 

Tu dis que l’université a perdu un peu son identité de lieu de recherches, que dirais-tu à un de tes étudiants qui veut se diriger vers un doctorat ? 

Bonne question. Il faut savoir que peu de doctorants trouvent un job. Quand tu as bac+ 8 et que tu es précaire, c’est terrible. Peu de postes de maître de conférence sont disponibles. Mais, je lui dirai de faire ses recherches et sa thèse, tout en l’avertissant sur l’avenir incertain que ses études lui fourniront. 

Tu es spécialisé dans les révolutions du 18e et 19e, mais j’ai l’impression que tu serais prêt pour une révolution du 21e …

La révolution est une démarche collective. J’avoue que parfois c’est agaçant de voir ses collègues être dans une démarche personnelle, à ne penser qu’aux heures supp’, alors qu’on voit la précarisation des agents et des jeunes remplaçants auxquels on propose des contrats de 6 mois, des mi-temps. Les gens se disent de gauche mais finalement ne sont pas du tout dans une lutte collective…alors, à mon avis, la révolution, c’est pas pour maintenant…

 

Eloïse Lebourg

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