Un Tintin haut en couleur
Le 10 janvier 1929 s’amorçait la publication de Tintin au pays des soviets dans Le Petit XXe. Quatre-vingt-huit ans plus tard, la version colorisée arrive en librairie.
Georges Rémi, alias Hergé, était loin de se douter que cette création spontanée qu’il animait dans le supplément jeunesse du quotidien belge Le Vingtième Siècle allait devenir une œuvre monumentale. À peine âgé de 21 ans, le dessinateur à tout faire du quotidien a littéralement inventé le médium de la bande dessinée. Sous la gouverne de l’abbé Wallez, qui voit dans cette série l’occasion d’inculquer les valeurs catholiques au jeune lectorat, Tintin va casser du bolchevique semaine après semaine. Hautement dynamique – voire burlesque –, le récit improvisé est principalement composé de rebondissements (poursuites en bolides de tous genres, rixes) et de gags.
D’abord paru en album l’année suivante, le récit est demeuré introuvable pendant de nombreuses décennies. Il a fallu attendre 1973 pour qu’il figure dans le premier tome des Archives Hergé. Ce n’est qu’en 1999 qu’il figure officiellement dans la série, dans sa chronologie intégrale, aux éditions Casterman, soit 16 ans après le décès de l’auteur. Dernier récit à être demeuré dans son format d’origine, voilà que les éditions Casterman et Moulinsart s’unissent afin d’en proposer une version coloriée.
LA COULEUR DE L’ARGENT
Hergé a longtemps résisté aux pressions des éditions Casterman quant à la colorisation de la série, persuadé que l’essence de son travail reposait essentiellement sur son trait. Il céda en 1942, alors que la Deuxième Guerre mondiale faisait rage et que sévissait une grave pénurie de papier. Casterman y vit l’occasion de réduire la pagination à 62 pages – réduisant du même souffle les coûts d’impression – et de concurrencer les marchés français et suisse, où la couleur prévalait. Hergé se dota alors d’une équipe et entreprit le long travail de refonte des premiers albums.
Évidemment, plusieurs voient dans la colorisation des Soviets une opération bassement mercantile, d’autant qu’il s’agit de la dernière «nouveauté» à paraître avant le 1er janvier 2054, date à laquelle les droits d’exploitation tomberont dans le domaine public. Pourtant, la colorisation supervisée par Michel Bareau apporte un surcroît de clarté à l’œuvre. Dans un entretien avec l’éditeur, le directeur artistique affirme que «l’histoire y gagne en lisibilité, en action, mais, surtout, en humour, ce qu’on avait parfois tendance à oublier. La couleur met aussi l’accent sur une autre qualité d’Hergé: la précision. Les dessins des véhicules, notamment, sont incroyablement précis. Ceux de certains personnages aussi. C’est assez remarquable pour un auteur de 21 ans.»
Une fort belle occasion de redécouvrir cette électrisante œuvre de jeunesse.
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