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Prix des médicaments: "La maladie est avant tout un marché rentable"

Olivier Maguet, cadre de Médecins du Monde, responsable de la campagne "Le prix de la vie".
Olivier Maguet, cadre de Médecins du Monde, responsable de la campagne "Le prix de la vie". © Nicolas Moulard / Médecins du Monde
Vanessa Boy-Landry , Mis à jour le

Médecins du Monde alertait en juin sur l'indécence du prix des nouvelles molécules (traitement de l'hépatite C, anticancéreux). Olivier Maguet, cadre de Médecins du Monde, responsable de la campagne choc "Le prix de la vie", nous explique en quoi la logique économique de l'industrie pharmaceutique menace notre assurance maladie, et donc notre santé. Pour l'organisation médicale, il est urgent que le gouvernement tape du poing sur la table. Interview.

Paris Match. Depuis 2013, en France et à l'international, les cancérologues tirent la sonnette d'alarme sur la hausse explosive du prix des médicaments. Quel a été le déclencheur de votre campagne choc, lancée en juin dernier?
Olivier Maguet. En réalité, notre campagne a démarré, à "bas bruit", début 2014. L'arrivée sur le marché, fin 2013, des nouvelles thérapies contre l'hépatite C, dont le Sovaldi est la première d'entre elles, a été l'élément déclencheur. Notre organisation, qui soigne en France et à l'international, constate qu'aujourd'hui, les pays du Nord se trouvent confrontés à la même barrière financière que les pays du Sud. Sur une situation clinique particulière qui est l'hépatite C, nous avons pour la première fois dans notre histoire un rationnement de nos traitements déterminé uniquement par des considérations financières. Le Sovaldi est clairement réservé aux patients les plus atteints (la moitié d'entre eux ne bénéficieront pas d'un traitement qui peut les guérir pour plus de 90%). Alors que d'un point de vue strict de santé publique, on sait très bien qu'il ne faut pas attendre que le foie soit altéré pour soigner cette maladie. Même si le patient guérit, il y a des risques de survenue de cancer dans les années qui suivent. La population que nous accueillons dans nos centres de soins, en France, est particulièrement concernée par le virus de l'hépatite C. On ne peut pas être dans une demande d'accès universel aux soins sans prendre aussi notre responsabilité de soignants de nous préoccuper de la pérennité financière de la chose. Nous avons alerté les leaders d'opinions et les décideurs publics: "Attention, péril en la demeure". Les cancérologues ont tiré la sonnette d'alarme à ce moment là. Au plus haut niveau, y compris de la présidence de la République, nous n'avons pas été entendus. La question du prix du médicament n'est pas soulevée. Nous avons alors décidé de lancer cette campagne "choc" pour alerter l'opinion publique et créer un rapport de forces. Le message est clair: aujourd’hui, la maladie est avant tout considérée comme un marché rentable. Ce qui n'est pas acceptable. Non seulement parce que la solvabilité de ce marché est assurée par des ressources publiques mais parce qu'il s'agit de produits de santé.

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Campagne "Le prix de la vie"
Campagne "Le prix de la vie" © Médecins du Monde
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Va-t-on un jour laisser les femmes mourir d'un cancer du sein?

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En quoi le cas du Sovaldi pour l'hépatite C est-il emblématique d'un risque pour notre système de santé solidaire?
L'hépatite C n'est que la pointe émergée d'un iceberg. Elle n'est que le révélateur le plus caricatural d'une dérive systémique, structurelle, dans la logique économique qui conduit à la fixation des prix des médicaments. Cette logique perverse, indécente, va s'appliquer à l'ensemble des stratégies thérapeutiques, dont le cancer (mais pas uniquement) et ce sera la ruine assurée de notre système d'assurance maladie. A 41 680 euros le traitement (cure de 12 semaines) pour environ 200 000 patients, le Sovaldi coûte entre 8 et 10 milliards nets à l'assurance maladie. Le budget annuel du médicament est de 27 à 28 milliards d'euros pour 66 millions de Français. C'est techniquement impossible, à moins d'augmenter le déficit. C'est l'illustration parfaite de ce à quoi nous mène cette dérive qui touche aujourd'hui tous les produits de santé, et particulièrement les anticancéreux, qui sont les traitements les plus chers. On n’arrive déjà pas à joindre les deux bouts avec 200 000 personnes pour l'hépatite C, je ne vois pas comment on y parviendra avec 3 millions de personnes qui ont besoin d'un anticancéreux. Pour le cancer du sein, par exemple, il s'agit de traitements à 120 000, 150 000 euros. Qu'est-on en train de nous dire si on ne s'attaque pas à la question du prix du médicament? Qu'on va, un jour, laisser les femmes mourir d'un cancer du sein? Qu'on va ne couper que la moitié d'un sein parce qu'on n'a pas assez d'argent? Dans quelle logique entrons-nous?

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Campagne "Le prix de la vie"
Campagne "Le prix de la vie" © Médecins du Monde
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Vous connaissez beaucoup d'entreprises qui font 50% de marges nettes?

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Que répondez-vous aux arguments des industriels sur les coûts colossaux qu'ils engagent en matière de recherche et développement?
Nous pensons que les chiffres annoncés sont faux (1 milliard de dollars pour un nouveau médicament). Nous en avons la preuve avec l'hépatite C: on est aux alentours, tout cumulé, de 500 000 dollars! Gilead, le fabricant des deux produits phares contre l'hépatite C (Sovaldi et Harvoni) était un petit labo qui faisait un chiffre d'affaires de 500 millions d'euros en 2002. En 2013, il est passé à 10 milliards grâce aux antirétroviraux sur le sida. Au moment du lancement de ses deux molécules contre l'hépatite C, il passe à 24 milliards en 2014, et à 32 milliards en 2015. Tout cela est dû à l'augmentation phénoménale, non pas du volume des ventes mais du prix de ces deux médicaments. Plus intéressant: le bénéfice net après impôt de cette entreprise, après déduction y compris des frais de recherche et développement, passe de 3 milliards d'euros en 2013 à 12 milliards en 2014, puis à 18 milliards en 2015. Vous connaissez beaucoup d'entreprises qui font 50% de marge nette? Cet argent part directement dans les poches des actionnaires. Comment un industriel peut faire 50% de marge nette sur un produit dont la solvabilité est assurée par la ressource publique quand 10 milliards d'économies vont devoir être supportés par l'assurance maladie?

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Evolution des ventes, profit et R&D de Gilead. (Synthèse des données Gilead (ventes mondiales)
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Ce qui est évalué aujourd'hui, c'est en quelque sorte le prix financier d'une vie

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Sur quoi repose cette augmentation exponentielle sachant que les prix sont renégociés entre les agences du médicament et les industriels?
Nous assistons à une vraie rupture, qui de nouveau a été révélée très clairement avec ce virus de l'hépatite C et ces nouvelles thérapies. Ce n'est plus simplement la justification des coûts de recherche et développement qui est mise en avant par les industriels pour justifier des prix élevés. Ce qui est évalué, c'est en quelque sorte le prix financier d'une vie. Ca n'a plus rien à voir avec la rémunération des efforts pour rechercher, produire, et commercialiser un produit de santé. "Je vous fais potentiellement éviter, à 10, 20 ou 30 ans, des coûts de tel ordre avec ce traitement. Je fixe le prix d'une vie à tel montant et j'évalue mon médicament en conséquence." Aux Etats-Unis, où les classes moyennes ne peuvent plus se payer leur santé, ils sont particulièrement confrontés à la question du prix en ce moment. Ils ne peuvent pas non plus se payer les traitements de l'hépatite C. Une commission d'enquête du sénat américain a eu accès aux documents commerciaux et stratégiques de Gilead dans lesquels on voit très clairement cette stratégie qui consiste à fixer un prix à la vie. L'industriel essaie de mesurer jusqu'à quel niveau le prix serait acceptable par les opinions publiques, les gouvernants, et les professionnels de santé des pays occidentaux sans créer d'émeutes ou prendre de risque pour la réputation de l'entreprise…

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Les autorités britanniques sont en train de réévaluer l'intérêt de certains anticancéreux, jugés peu efficaces, qui pourraient sortir de la liste des médicaments remboursés…
L'Angleterre est en bout de course aujourd’hui. Elle fait face à des déficits structurels cumulés qui ne lui permettent plus de soigner sa population, et qui, pour des raisons uniquement budgétaires, a l'une des attitudes les plus restrictives sur le traitement de l’hépatite C.

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Le but de notre campagne n'est pas de dire que les industriels du médicament sont des salauds

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Les industriels du médicament se sont sentis stigmatisés par votre campagne. C'est en fait plutôt le gouvernement que vous visez…
In fine, le but de notre campagne n'est pas de dire que les industriels du médicament sont des salauds. Ils sont dans une logique économique et si on les laisse faire, ils continueront. Nous demandons aux Etats, aux gouvernements, aux agences instituées par l'Etat et qui régulent les prix des marchés d'être plus stricts avec l'industrie. Nous dénonçons une activité extrêmement médiocre, très peu responsable et très peu visionnaire d'un point de vue politique. Nous revendiquons une transparence sur les règles de négociation. Le législateur laisse notre argent partir dans les poches des actionnaires au détriment de la recherche et développement. Nous demandons à reprendre le pouvoir sur cette logique économique de l'industrie. 

Comment le gouvernement peut-il contraindre l'industrie pharmaceutique?
Il a à sa disposition un outil du droit très fort, qui permet d'enfoncer un clou dans cette dérive économique sur le prix du médicament. Face à un danger pour la santé publique, défini soit par un manque d'accès à un médicament soit par un prix anormalement élevé, le ministre de la Santé peut demander à son collègue de l'Economie et des finances de déclencher une licence d'office. Cela consiste, contre rémunération de l'industriel, à prendre temporairement la molécule et à la produire de façon générique, à un coût qui soit raisonnablement acceptable pour les comptes publics. C'est inscrit dans la loi. Le gouvernement et le président de la République refusent de l'utiliser depuis plus de deux ans alors que nous le lui demandons régulièrement.

Qu'attendez-vous de l'initiative de François Hollande en faveur d'une régulation mondiale du prix des médicaments, qui doit se discuter au G7 en septembre? N'est-ce pas plus approprié face à des multinationales?
C'est vrai, il s'agit bien d'un marché mondial, mais nous y croyons moyennement. S'il y avait une vraie volonté politique, il y aurait eu une résolution forte à l'issue du sommet du G8 en mai dernier. Nous croyons plus à la bascule de certains Etats qui ouvriront la voie à d'autres et porteront le combat sur des actes précis, qu'à des effets de manche ou à des effets de parole. Surtout face à une industrie mondialisée qui sait très bien utiliser à son avantage les règles du droit et du marché. Fin septembre, six des onze Médecins du Monde présents en Europe vont lancer la même action que la nôtre auprès de leurs dirigeants nationaux. Notre campagne n'est pas un coup de pub pour se faire plaisir. Nous avons attendu avant de la lancer. C’est intéressant, depuis que nous l’avons faite, les parlementaires nous reçoivent alors que ce n’était pas leur priorité. Nous avons une série de rendez-vous à la rentrée pour avancer sur ces propositions et aider le législateur dans l'écriture de son projet de loi de financement de la sécurité sociale, texte fondamental qui conditionne tout le reste. Nous souhaitons faire de cette question du prix des médicaments un des axes majeurs et structurants du débat de la campagne présidentielle qui s’annonce.

"Le prix de la vie", la campagne de Médecins du Monde sur le prix indécent des médicaments. 

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