Publicité

Le MOOC est-il vraiment l’avenir de l’université ?

Présentés au départ comme une révolution pour l’enseignement supérieur, les Mooc suscitent aujourd’hui différentes critiques. S’ils ne permettront sans doute pas de mettre l’université à la portée de tous, ces nouveaux outils peuvent avoir un fort impact sur le monde de la formation continue.

0203738606380_web.jpg
Diplôme d’une formation en ligne de Duke University sur Coursera, l’une des principales plates-formes américaines de MOOC.

Par Benoît Georges

Publié le 1 sept. 2014 à 14:16

Les MOOC préfigurent-ils l’avenir de l’université ? Pendant deux ans, la réponse semblait être oui, sans contestation possible. Avec 160.000 inscrits, le premier « cours en ligne ouvert et massif » (« massive open online course ») sur l’intelligence artificielle, proposé par l’université californienne de Stanford fin 2011, avait eu un retentissement sans précédent. En quelques mois, la plupart des grands campus américains mettaient en ligne des cours gratuits en vidéo, et lançaient des plates-formes s’adressant aux étudiants du monde entier. Il y a un an tout juste, l’université française y allait de son initiative, adoptant la solution Open edX, initiée par Harvard, le MIT, Stanford et Google, pour proposer des cours sur une plate-forme portant l’étonnant nom de FUN (« France Université Numérique »).

La fièvre des MOOC a été largement relayée par les médias et les gourous de l’éducation, qui promettaient un raz-de-marée numérique sur le monde de l’éducation : après les maisons de disques et les journaux, le rouleau compresseur d’Internet allait balayer le vieux modèle de l’enseignement supérieur, avec ses vastes amphithéâtres, ses cours magistraux et ses frais de scolarité astronomiques. Bientôt, les étudiants du monde entier pourraient bénéficier à moindres frais d’un enseignement de haut niveau.

Deux ans plus tard, le succès ne s’est pas démenti : selon les dernières statistiques d’Open Education Europa, plus de 3.000 MOOC sont aujourd’hui proposés dans le monde (contre environ 2.000 en mars), dont un quart en provenance de pays européens. Mais dans le même temps, avec les premiers retours d’expérience, des voix se font entendre des deux côtés de l’Atlantique pour relativiser la portée du phénomène. Même l’institut américain Gartner, qui évalue en permanence les innovations en les situant sur une courbe d’évolution (« hype cycle »), a placé cet été les MOOC dans la « pente des désillusions » – le moment où une technologie nouvelle, après avoir suscité des attentes surdimensionnées, commence à décevoir... généralement avant d’arriver à maturité et de trouver sa vitesse de croisière.

Beaucoup d’abandon

Publicité

La principale critique porte sur l’assiduité. Dès la fin 2013, une étude de l’université de Pennsylanie donnait l’alarme : le taux de rétention, c’est-à-dire le pourcentage d’inscrits qui suivent un MOOC jusqu’au bout, est particulièrement bas, de l’ordre de 5 % à 10 % en moyenne – certains cours atteignant à peine 2 %. Et les étudiants les plus jeunes, que l’on imaginait très réceptifs à des enseignements en vidéo, se montrent en fait peu assidus : les inscrits qui suivent un MOOC jusqu’au bout ont généralement entre vingt-cinq et quarante ans, et sont donc déjà diplômés. « Cela montre que la formation initiale nécessite un environnement spécifique, car il faut au préalable avoir appris à apprendre », estime Antoine Compagnon, professeur au Collège de France et auteur d’un article sur les MOOC dans le dernier numéro de la revue « Le Débat » (« MOOC ou vaches à lait », juin 2014). « Les MOOC ne sont pas adaptés à tout le monde, ni à toutes les occasions », renchérit Andreas Kaplan, enseignant-chercheur à l’ESCP Europe.

Pour Alain Mille, chargé de mission sur les MOOC au CNRS, la mise en avant des taux d’abandon n’est cependant guère pertinente : « On ne s’inscrit pas à un MOOC comme on s’inscrit à l’université. Certains participants ne vont pas jusqu’au bout du cours, mais quand on les interroge, ils se disent très satisfaits. De plus, différentes études ont montré que le taux de rétention des MOOC était bien plus élevé que celui des formations en ligne classiques. »

La Khan Academy en version française

C’est le mardi 2 septembre que sera lancée officiellement la version française de la Khan Academy. En moins de dix ans d’existence, ce site Web est devenu un symbole de la façon dont le numérique peut révolutionner l’enseignement. Son fondateur, Salman Khan, avait commencé par mettre en ligne des vidéos pédagogiques pour aider sa cousine à comprendre les maths. Aujourd’hui, l’académie qui porte son nom propose des milliers d’heures de cours en anglais sur à peu près tous les sujets, de l’histoire de l’art à la biologie en passant par la macroéconomie. Le principe : pas de prof parlant devant la caméra, à la différence de nombreux MOOC, mais un simple tableau noir sur lequel s’affiche la leçon, avec un commentaire en voix off. Très courtes (entre 3 et 15 minutes), les vidéos sont accompagnées d’exercices. Autre particularité : la plate-forme est conçue pour être utilisée indifféremment dans une salle de classe ou par des élèves tout seuls. Organisation à but non lucratif, la Khan Academy a connu un succès mondial, avec plus de 10 millions d’utilisateurs par mois. La version francophone émane d’une autre association, Bibliothèques sans frontières (BSF), qui a commencé à traduire et adapter les vidéos il y a un an, en commençant par les maths et les sciences. « A présent, nous proposons également les exercices et la plate-forme de suivi des élèves », explique Patrick Weil, directeur de BSF.

L’autre motif de déception porte sur le coût de revient des MOOC. Les premières universités qui se sont lancées ont vite compris qu’il ne suffisait pas de placer un professeur, si doué soit-il, devant une webcam pour obtenir un résultat pédagogique satisfaisant. Les équipes techniques, l’utilisation d’un studio et les frais de montage font grimper la facture – un MOOC de qualité peut coûter 30.000 euros. A ces coûts s’ajoutent des frais humains, c’est-à-dire le temps passé à préparer les cours et à suivre les étudiants. A ce jour, aucun modèle économique ne permet de rentabiliser ces investissements, que ce soit la publicité, l’abonnement ou la facturation de la certification.

Un constat d’autant plus gênant que, au départ, les MOOC ont été présentés comme une réponse à la crise du modèle de l’enseignement supérieur : aux Etats-Unis, en particulier, les frais de scolarité ont augmenté plus vite que l’inflation, alors que, dans de nombreuses universités, les chances de trouver un travail qualifié à la sortie se réduisaient. « L’éducation est l’un des rares domaines où le numérique n’a, jusqu’ici, pas entraîné de gains de productivité, analyse Antoine Compagnon. Au contraire, la numérisation y entraîne une hausse des coûts. Les MOOC sont donc apparus au départ comme un moyen d’obtenir des économies d’échelle, mais cela n’a pas été le cas. »

Le mythe de l’université virtuelle, où chaque étudiant se formerait à coût réduit et à domicile, n’aura pas duré bien longtemps. A présent, l’enseignement supérieur voit les MOOC davantage comme un produit d’appel (pour faire venir de nouveaux étudiants) ou de complément (les étudiants préparent le sujet sur écran et approfondissent en classe avec le professeur, selon le principe de la « classe inversée »).

Mais le futur des MOOC pourrait passer par un public très différent de celui envisagé initialement. « Autant ils ne paraissent pas très efficace pour démocratiser la formation initiale, autant ils peuvent être intéressants pour la formation continue », estime Antoine Compagnon. Non seulement la souplesse des cours en ligne convient bien à un public ayant une activité professionnelle, mais la motivation est en général plus forte, car l’élève sait exactement les bénéfices qu’il peut tirer de l’enseignement. En ciblant des adultes, les universités et écoles de commerce peuvent également espérer résoudre plus facilement l’équation économique – par exemple en fournissant des MOOC « clefs en main » à des entreprises. A défaut de faire disparaître les amphithéâtres, les MOOC représentent peut-être l’avenir des « cours du soir ».

Les MOOC en chiffres

3.036 : Le nombre de MOOC recensés (au 1er août 2014) dans le monde entier par Open Education Europa. En six mois, ce chiffre a progressé de 44 %.25 %  : un quart des MOOC dans le monde (741 au 1er août) proviennent de pays européens. L’Espagne est largement en tête (253), suivie du Royaume-Uni (170) et de la France (88).53 %  : les sciences « dures » et les technologies représentent plus de la moitié des MOOC européens, suivies par les sciences sociales (17 %) et le business (15 %).63 % des élèves ayant suivi les MOOC de la Pennsylvania University en 2012-2013 avaient un travail à plein-temps ou étaient autoentrepreneurs. 60 % des élèves avaient plus de 30 ans.9 %  : la part des inscrits aux MOOC du MIT et de Harvard en 2012-2013 ayant suivi plus de la moitié des cours. A peine 5 % ont validé leur formation.

Benoît Georges

MicrosoftTeams-image.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres

Nos Vidéos

xx0urmq-O.jpg

SNCF : la concurrence peut-elle faire baisser les prix des billets de train ?

xqk50pr-O.jpg

Crise de l’immobilier, climat : la maison individuelle a-t-elle encore un avenir ?

x0xfrvz-O.jpg

Autoroutes : pourquoi le prix des péages augmente ? (et ce n’est pas près de s’arrêter)

Publicité