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Billet de blog 21 mai 2016

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Etudiants, pas criminels! Soutenez Manon!

Que vaut un Etat qui fabrique de la violence et emprisonne les victimes d’un « état d’urgence » liberticide? Cinq ans de prison ferme requis contre Manon alors qu’elle voulait simplement défendre un manifestant qui se faisait matraquer. Après la police, c’est la justice qui devient l’instrument d’un gouvernement qui terrorise la jeunesse et propage la peur pour casser le mouvement social.

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On s’est étonné du calme relatif des manifestations du 19 mai. On peut y voir une preuve supplémentaire que la violence est bien maîtrisée et organisée par l’Etat. Mais la raison principale pourrait en être la suivante : tout en continuant les arrestations massives et les gardes à vue, le gouvernement a décidé d’accentuer la répression sur le terrain administratif et judiciaire, les préfets multipliant les interdictions individuelles de manifester et les procureurs requérant des condamnations disproportionnées et totalement arbitraires. Le ministère de la Justice emboite le pas à celui de l'Intérieur : Bernard Cazeneuse et Jean-Jacques Urvoas travaillent ensemble à une répression méthodique de la contestation sociale. Et les préfets sarkozistes - reconduits ou promus par le gouvernement dit "socialiste" - travaillent main dans la main avec des procureurs qui répondent aux ordres politiques et bafouent allègrement l'indépendance de la justice. 

Jour après jour les informations que nous recevons sur les listes de mobilisation et les réseaux sociaux sont de plus en plus affolantes et témoignent de pratiques dignes d’un état totalitaire. Le 19 mai à Nantes, ce sont 66 interpellations qui ont été dénombrées, dont plusieurs mineurs en garde à vue. La centaine de personnes protestant devant le commissariat contre ces arrestations a été gazée, chargée et matraquée. Il convient de bien mesurer la signification politique de la répression régulière des rassemblements de soutien aux personnes arrêtées : soutenir les victimes de la répression est désormais considéré comme un délit (1). Toujours à Nantes et dans le 44, selon des sources de la FSU, 18 personnes ont été interdites de manifestation « jusqu’à la fin de l’état d’urgence ». Ces mesures préfectorales d'interdiction de manifester sont anti-constitutionnelles et s'inscrivent dans une logique purement préventive. Un enseignant, militant syndical, s'est vu interdit de manifestation au motif, entre autres, d'avoir manifesté lors du mouvement universitaire de 2009! Avoir manifesté par le passé est désormais considéré comme un délit! (2) Ubuesque! Mais il y a mieux : on est aujourd'hui condamné, ou interdit de manifestation, pour des faits qui sont postérieurs à une arrestation (voir ici le cas d'un militant en grève de la faim) ou au motif que l'on pourrait porter atteinte à l'ordre public. Pouvoir manifester dans un avenir proche ou lointain est désormais considéré comme un délit! (3). Les préfets de Cazeneuve et les procureurs d'Urvoas, qui se prennent pour des "précogs", ont ouvert la voie à la répression prédictive. La fiction de Minority Report est devenue réalité.

Illustration 1

A Amiens, suite à une occupation pacifique de la mairie le 28 avril dernier, violemment réprimée par des CRS qui ont été les premiers auteurs des dégradations matérielles (voir la vidéo que j’avais publiée dans cet article et que je remets ici en ligne), une étudiante en Science politique doit être jugée le 10 juin après que le procureur a requis contre elle 5 ans de prison ferme. Son seul tort est d’avoir lancé un micro de la salle des conseils de la mairie en direction d’un CRS. Son geste de révolte, instinctif, visait à protéger un militant qui se faisait violemment matraquer. Le projectile n’a occasionné aucune blessure. Il est à souligner que Manon, comme beaucoup d'autres manifestants réprimés, est une militante politique. Selon un témoignage de ses soutiens, "son domicile a été perquisitionné et les policiers se sont particulièrement attardés sur les preuves de son appartenance aux jeunes communistes (affiches et tracts)". Appartenir à une organisation politique ou à un syndicat est désormais considéré comme un délit! (4). Il convient de tirer toutes les conséquences des quatre points que je souligne, en particulier sur la nature politique du régime d'exception qui se met en place, au moyen d'un détournement caractérisé de l'état d'urgence. Qu'on se le dise : une droite extrême est au pouvoir. Quand l’extrême droite y sera, elle disposera de tous les instruments légaux qui sont nécessaires à une dictature.

Les poursuites contre Manon doivent être abandonnées. Elle est largement soutenue par la communauté enseignante de l'Université de Picardie-Jules Verne, en particulier les enseignants du département de Science politique qui ont apporté le témoignage suivant :

Tous les enseignants du département de Science politique apportent unanimement leur soutien à leur étudiante.
Tous peuvent en effet témoigner du sérieux, de l’implication et de la qualité de Manon, diplômée d’une Licence 3 de Droit privé l’an dernier et qui avait souhaité approfondir ses connaissances en se consacrant cette année à une Licence de Science politique. Par sa participation au déroulement des enseignements, par sa réussite aux examens du premier semestre, par la qualité de son investissement auprès de ses camarades étudiants, dans la vie quotidienne de la Faculté comme dans les associations qui en structurent la vie (le Club diplomatique notamment), Manon apparaît comme l’une des étudiantes les plus actives et méritantes de cette Faculté. Il s’agit pour ses enseignants d’attirer l’attention sur les menaces pesant ainsi sur le devenir professionnel de cette étudiante qui pourrait être gravement menacé par cette décision de justice.

Par ailleurs, c’est à plusieurs reprise que Manon a échangé avec des enseignants au sujet de la mobilisation des étudiants. A ces occasions, elle n’a eu de cesse de se dissocier d'éventuels actes de violence ou encore de dégradations qui selon elle jettent le discrédit sur la légitimité de l'ensemble du mouvement.

Manon mérite tout notre soutien. Je reproduis ci-dessous le texte de la pétition que je vous invite à signer. Il comporte un lien qui permet d’apporter un soutien financier à Manon pour couvrir les frais d’avocat et les éventuelles amendes. Pour plus de précision voir cette page facebook.

Mais notre soutien doit aller aussi aux autres camarades de Manon, et aux dizaines de militants, de citoyens et de jeunes – souvent mineurs - qui sont aujourd’hui victimes de l’état d’urgence, dont le bras armé est devenu une véritable police politique. Nous allons assister dans les semaines et les mois qui viennent à de véritables procès politiques contre lesquels tous les citoyens attachés aux libertés fondamentales doivent protester, se mobiliser et, s'il le faut, se soulever. Notre démocratie est en danger. Que fait le Syndicat de la Magistrature? Quand donc les avocats et les juges vont-il vraiment protester contre la surveillance généralisée, le fichage des militants et des citoyens, les abus policiers, les détournement de procédure et cette immense et scandaleuse instrumentalisation politique de la Justice?

Evacuation policière de la Mairie d'Amiens © Les Jeunes d'Amiens contre la loi El Khomri

 Lien vers la pétition 

Etudiants, pas criminels !

Manon, étudiante inscrite en licence de Science politique à l’Université de Picardie, a participé le jeudi 28 avril à l’occupation de l’Hôtel de Ville d’Amiens, dans le cadre du mouvement social contre la loi Travail, occupation qui s’est terminée par une intervention musclée effectuée par les forces de police.

L’occupation s’est déroulée pacifiquement jusqu’à l’arrivée des forces de l’ordre qui ont procédé à l’évacuation des manifestants de façon brutale. Alors qu’un manifestant se faisait matraquer, Manon a voulu le défendre et a lancé un micro en direction des forces de l’ordre, sans occasionner la moindre blessure. Elle a été convoquée le 12 mai au commissariat, où après avoir été gardée à vue pendant toute une après-midi et une nuit entière, elle a été déférée devant le Procureur de la République qui a requis 5 ans de prison ferme (!). Elle a été placée sous contrôle judiciaire, après une perquisition menée à son domicile. Pour ces faits, l’étudiante est accusée de violence à l’encontre d’une personne dépositaire de l’autorité publique et de dégradation de bien public. Choquée, elle attend son jugement prévu le 10 juin.

Nous dénonçons les réquisitions disproportionnées du Procureur de la République, emblématiques de la politique de répression du mouvement social menée par le gouvernement actuel.

Nous voulons ici apporter notre soutien ferme et chaleureux à Manon.

Nous demandons l’abandon immédiat des poursuites contre Manon et son camarade lycéen arrêté pour les mêmes raisons

 Soutenez Manon !

Aidez-là financièrement ici : https://www.leetchi.com/c/solidarite-de-collectif-de-soutien-etudiants-pas-criminels (Les fonds lui seront reversés pour l’aider à payer ses frais d’avocat et d’éventuelles amendes à l’issue du procès).

Premiers signataires :

  • Patrick Lehingue (Professeur de Science politique à l'Université de Picardie)
  • Stéphanie Guyon (Maîtresse de conférence en Science politique à l'Université de Picardie)
  • Pierre-Yves Baudot (Professeur de Science politique à l'Université de Picardie)
  • Enzo Traverso (Professeur de Science politique à l'Université de Picardie)
  • Romain Pudal (Chargé de recherche CNRS au Currap-ESS)
  • Laurence Jourdain (Maîtresse de conférence en Science politique à l'Université de Picardie)

  • Bertrand Geay (Professeur de Science politique à l'Université de Picardie ; Directeur du Curapp-ESS)

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