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COP 23 LA PAROLE AUX ACTEURS

Climat : «Il ne sert à rien de multiplier les conférences, il faut agir maintenant»

A l'occasion de la 23e Conférence des Nations unies sur le climat, qui a débuté le 6 novembre à Bonn, «Libération» publie une série d'interviews-solutions pour limiter le changement climatique.
par Aude Massiot, Envoyé spéciale à Bonn, en Allemagne
publié le 16 novembre 2017 à 11h37

Issue de la communauté nomade Mbororo, Hindou Oumarou Ibrahim est coordinatrice de l’association des femmes peuples autochtones du Tchad, et une des leaders du Climate Action Leadership Network. Elle appelle les Etats présents à la COP 23 de Bonn à laisser une place aux peuples autochtones dans le dialogue, alors qu’empire l’impact du changement climatique sur son pays, le Tchad.

En tant que représentante internationale des peuples autochtones, vous avez demandé à intégrer les négociations, et cela vous a été refusé…

Normalement, seulement les Etats participent aux négociations. Les peuples autochtones font partie des neuf grands groupes reconnus par la Conférence des nations unies sur le climat, aux côtés des femmes, des ONG, des agriculteurs, entre autres. Mais nous ne pouvons pas participer au dialogue officiel.

Pourtant dans l’article 7 de l’accord de Paris, les savoirs des peuples autochtones sont reconnus comme importants pour l’adaptation et l’atténuation des risques liés au changement climatique. L’accord prévoit aussi la création d’une plateforme d’échanges de ces savoirs entre les communautés. Et ce sont les Etats qui négocient actuellement pour sa mise en place. Sans nous. On a seulement une place en coulisses. Nous ne voulons pas avoir la possibilité de négocier sur tout, c’est la responsabilité de nos pays. Nous le voulons quand il s’agit des savoirs autochtones. Cela semble normal.

Quelles devraient être, selon vous, les priorités dans les négociations ?

Les Etats doivent prendre en compte la participation de tous les acteurs. Ils ne peuvent pas se prendre pour des experts du climat et décider pour toute la planète. Ce devrait être un dialogue entre les gouvernements et les communautés locales qui sont touchées directement par le changement climatique.

Sont-ils trop frileux à agir ?

Avec les engagements des Etats pris lors de la COP 21 à Paris, en 2015, nous nous dirigeons vers une augmentation des températures mondiales de 3°C d’ici 2100, ce serait catastrophique. Et cela, s’ils respectent leurs engagements. Alors il ne sert à rien de multiplier les conférences et les ateliers, il faut agir maintenant. Quand un Etat prend un an pour se documenter, cet environnement a déjà changé pendant ce laps de temps. S’ils faisaient confiance à la population qui est touchée et qui vit dans cet environnement, on avancerait beaucoup plus rapidement. Des petites actions concrètes et coordonnées font plus que des grands dialogues. Ça peut faire une grande différence. Ne vous souciez pas du futur du continent africain, agissez maintenant !

Les Etats voient toujours grands. Ils veulent construire de gigantesques parcs éoliens ou barrages hydroélectriques. Ça leur demande beaucoup de temps, beaucoup d’argent et ils finissent, en les construisant, par commettre d’autres violations des droits de l’homme, comme l’accaparement de terres. Quand ils le font au niveau des petites communautés qui le demandent, cela s’avère plus durable. Ils ne provoquent pas de déplacements de population par exemple.

Au Tchad, quelle est la situation ?

Le changement climatique y est visible, sur les hommes et sur l’environnement. La saison des pluies devient de plus en plus courte, du sud jusqu’au nord. On a perdu un mois de pluie dans certaines régions. C’est énorme pour un agriculteur, pour un éleveur, pour les gens qui veulent boire de l’eau. En plus d’être plus longue, la saison sèche devient plus chaude, ça fait s’évaporer l’eau. Nos fleuves, qui débordent pendant la mousson, se traversent à pied pendant la saison sèche. Il y avait, quand j’étais enfant, des petites mares dans la campagne. Elles n’existent plus.

Les habitants ont-ils conscience que ce sont les conséquences du changement climatique ?

Oui, tout le monde. Il y a dix ans, quand la pluie, qui devient plus irrégulière, ne venait pas, les gens faisaient des sacrifices. Tout le monde priait. Il y avait des annonces à la radio pour appeler aux prières, pour toutes les religions. Les habitants croyaient qu’ils étaient maudits. Maintenant, tout le monde a arrêté cela. Ils comprennent qu’il y a un changement sur le long terme et qu’ils doivent lutter contre. Chacun prend alors sa petite énergie, son petit argent, pour essayer de s’adapter.

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