Menu
Libération
Décryptage

Vers une exclusion des enfants dyslexiques du champ du handicap ?

Le handicap au quotidiendossier
Dyslexiques et autres dyspraxiques ou dyscalculiques sont reconnus comme handicapés depuis 2005. Mais à l'école, on pousse de plus en plus les familles vers un accompagnement de droit commun, dont les réponses ne sont, pour les parents, pas à la hauteur des troubles des enfants.
par Elsa Maudet
publié le 7 avril 2016 à 18h12

Des associations de parents s’inquiètent d’une sortie des troubles «dys» du domaine du handicap. D’une mise à l’écart progressive des élèves dyslexiques, dyspraxiques, dyscalculiques… C’est-à-dire atteints de troubles du langage et des apprentissages, qui ont été reconnus comme des handicaps en 2005.

Tout le problème réside dans les plans d'accompagnement scolaires de ces enfants. Lorsqu'un élève est officiellement reconnu handicapé, il peut bénéficier d'un plan personnalisé de scolarisation (PPS). Mais un nouveau dispositif a été créé en janvier 2015, le plan d'accompagnement personnalisé (PAP), qui ne nécessite pas d'être reconnu handicapé, et ne permet pas la mise en place des mêmes aides. Plan de plus en plus utilisé pour les enfants «dys» au détriment du premier, selon parents et associations, qui se mobilisent contre sa généralisation.

Avec un plan personnalisé de scolarisation (PPS), un enfant atteint de troubles «dys» peut avoir droit à un ordinateur, une tablette, des logiciels de synthèse vocale, une aide humaine… Et les outils sont financés par l’Education nationale. Avec un plan d’accompagnement personnalisé (PAP), les aides sont moindres (car les enfants sont censés n’avoir que des soucis pédagogiques, pas cognitifs) et doivent être financées par les familles.

Simulation de la façon dont un dyslexique voit des textes

A lire aussi A quoi ressemble un article de Rue89 quand on est dyslexique ?

«Logique financière de l’Etat»

«Le PAP crée un système parallèle de prise en charge», s'alarme Jean-Marc Roosz, président d'Ecole 2 demain, une plateforme promouvant la scolarisation des jeunes handicapés. Le PPS nécessite un diagnostic de handicap, établi par des équipes spécialisées, quand le PAP repose sur la décision du médecin scolaire. «Ils ne sont pas du tout spécialisés, ils passent à côté des troubles», poursuit Jean-Marc Roosz. «Pour une partie des médecins scolaires, les dys sont des enfants fainéants. On veut souvent les envoyer vers des voies de garage», ajoute Coralie Filleul, porte-parole du Collectif contre les dyscriminations.

Selon elle, la volonté d'éloigner les enfants des PPS répond à une «logique financière de l'Etat» et pourrait avoir des conséquences déplorables. Son propre fils est «multidys», de l'avis d'«une batterie de médecins spécialisés», mais la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) a refusé de le reconnaître handicapé et a conseillé d'établir un PAP, qu'elle n'a toujours pas obtenu. «Mon fils a perdu en estime de soi, ce qui nous vaut des séances avec un psychologue tous les mercredis. Si je ne me bats pas, il sera en échec scolaire», prédit-elle.

«Avancée pédagogique»

Tous les acteurs du secteur ne sont pas opposés au PAP. La Fédération française des dys (FFDys) a même été en première ligne pour pousser à son adoption dans la loi de refondation de l'école. «On voulait un cadre pour les enfants qui avaient de fausses réponses, comme les élèves ayant des troubles de l'apprentissage mais pour lesquels on ne peut pas encore poser de diagnostic», défend Diane Cabouat, vice-présidente de la FFDys. Cette solution doit aussi permettre à des parents n'osant pas s'adresser à une MDPH, parce que «le mot handicap fait peur», d'avoir un accompagnement malgré tout.

Même son de cloche du côté de la FCPE (Fédération des conseils de parents d'élèves) : «C'est une avancée pédagogique, pour des élèves qui n'ont pas besoin d'aménagements matériels, ni financiers, ni humains, mais d'adaptations pédagogiques. Le PAP ne nécessite pas de procédure longue qui passe par la maison départementale des personnes handicapées.» Quant au fait que les médecins scolaires ne soient pas spécialisés, cela ne l'inquiète pas : «Les familles sont déjà dans une démarche de diagnostic et accompagnées par des professionnels spécialisés. Le début de diagnostic est transféré au médecin de l'éducation nationale, il n'agit pas hors-sol.» Et la fédération de défendre les solutions non médicalisées face à des enseignants parfois rétifs à l'intrusion du médical ou du médico-social dans leurs classes.

Formation des enseignants

Pour Diane Cabouat, de la FFDys, le plan d'accompagnement personnalisé (PAP) ne crée pas de nouveau problème, il offre juste une nouvelle excuse à des acteurs qui souhaitent depuis longtemps déjà écarter les «dys» du champ du handicap. «Les "dys" étaient déjà en train de se faire jeter des MDPH. On nous disait "vous êtes trop nombreux, vous coûtez trop cher"», lâche-t-elle.

Plus largement demeure la question de la (non) formation des enseignants. Eux qui doivent accueillir des élèves «dys» sont loin d’être suffisamment outillés pour le faire correctement. Dix ans, tout de même, après l’adoption de la dernière grande loi sur le handicap.

[Ajout le 13 avril : l'Association des médecins conseillers techniques de l'Education nationale (Ascomed) a souhaité réagir à l'article.

«Les médecins de l’Education nationale n’ont pas attendu la loi de 2005 sur le handicap pour se former au dépistage et diagnostic des troubles des apprentissages, inscrits comme priorité dans leurs missions. Ce sont actuellement les seuls médecins bénéficiant d’une formation statutaire initiale obligatoire de plusieurs semaines à l’Ecole des hautes études de santé publique, formation faisant une large place à la prise en charge des troubles des apprentissages.

«Leur expertise dans ce domaine, réaffirmée dans la loi de refondation de l’école et dans la circulaire de leurs missions, est fort justement reconnue par l’ensemble des partenaires prenant en charge ces enfants aussi bien au sein de l’Education nationale qu’en dehors, et en particulier par les centres référents des troubles du langage et des apprentissages et les médecins des MDPH. Dans ses recommandations de bonne pratique, la Haute Autorité de santé a d’ailleurs validé plusieurs outils de dépistage élaborés par… des médecins EN !»]

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique