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Laurent Bouvet : «Valls paie son républicanisme et son intransigeance laïque»

Philippe Wojazer/REUTERS

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Manuel Valls a récemment annoncé qu'il quittait le parti socialiste pour rejoindre la majorité présidentielle. Laurent Bouvet revient sur les raisons du désaveu de l'ancien Premier Ministre et montre que ce départ est la marque de la déliquescence inexorable du PS.


Laurent BOUVET est professeur de Science politique à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Il a publié L'Insécurité culturelle chez Fayard en 2015. Son dernier livre, La gauche Zombie, chroniques d'une malédiction politique, est paru le 21 mars 2017 aux éditions lemieux. Il est l'une des principales figures du Printemps Républicain.


FIGAROVOX. - L'ancien Premier ministre, Manuel Valls a annoncé mardi qu'il quittait le Parti socialiste, après trente-sept ans d'adhésion. À l'Assemblée, il siégera au sein du groupe LREM, comme député apparenté. Que cela vous inspire-t-il? Est-ce un symbole fort de la décrépitude du PS?

Laurent BOUVET. - C'est une nouvelle dont il me semble que personne ne doive se réjouir, notamment au PS, contrairement à ce que j'ai entendu de la part de responsables socialistes, ici ou là.

D'abord parce que le départ de Manuel Valls après 37 années d'adhésion au PS, est le signe que ce parti est en train de disparaître, corps et biens. Qu'est-ce que le PS en effet sinon les hommes et les femmes qui le composent? Or Manuel Valls était un des principaux dirigeants socialistes ces dernières années.

Plus aucun socialiste français n'est favorable à la révolution pour abattre l'ordre capitaliste.

Ensuite parce que ce départ de Valls du PS annonce aussi un parti qui se recroqueville idéologiquement, qui perd cette pluralité d'approches et de visions du monde qui a fait sa richesse depuis 40 ans. Et Valls, héritier d'une partie du rocardisme en même temps que représentant d'une gauche républicaine assumée au sein du PS représentait une des tendances importantes dans ce vaste ensemble socialiste. Aujourd'hui, si le PS déjà bien atteint du point de vue électoral et financier se rabougrit sur une forme de radicalité qui le rapproche d'un Mélenchon comme sur une forme de vision libérale du point de vue culturel, sur les mœurs comme sur les questions d'identité collective, qui ne le distingue pas de la vulgate qu'on trouve du gauchisme aux Républicains en passant par En Marche, alors il n'a plus d'utilité. Et sa mort électorale, sociologique si je puis dire, sera aussi une mort idéologique. Les deux corps du parti disparaîtront.

Enfin parce que pour Valls lui-même, c'est une longue marche dans le désert aride du macronisme qui commence. Il aura du mal à redevenir un élément central du jeu politique dans les conditions actuelles. Son rôle pourtant indispensable de vigie de la gauche républicaine est entaché par les nombreuses erreurs tactiques qu'il a commises depuis son départ de Matignon.

On se souvient qu'il a été l'un des premiers à vouloir changer le nom du PS et de ses 5% à la primaire du PS en 2012. A-t-il jamais été socialiste?

Il y a toujours deux manières de répondre à une telle question. Une première, fonctionnelle si l'on peut dire, consistant à dire que tout membre du PS peut légitimement se dire socialiste. Le socialisme à la française se définissant très largement par sa structuration partisane dans l'espace politique. Les socialistes ainsi qu'ils s'appelaient au début du XXème siècle, venant d'horizons très différents, se sont regroupés en 1905 dans un «parti socialiste» unique, la SFIO. C'est de là que cette appellation a pu se développer, notamment après 1920 et la séparation avec les communistes. Mais la nature très pluraliste du PS dès son origine a toujours conduit à une difficulté de définir le socialisme substantiellement. Donc, oui, de ce point de vue, Valls a été socialiste pendant ses années d'appartenance au PS. Il en incarnait l'un des courants, l'une des sensibilités. Et ce bien au-delà de ses velléités de changer le nom du parti ou de son score à la primaire de 2012.

Si l'on adopte un point de vue plus substantiel donc, si l'on essaie de définir le socialisme comme un corps de doctrine, il devient en revanche très difficile de répondre à la question tant les paramètres à prendre en compte sont nombreux. D'ailleurs, quand tel ou tel, politique ou intellectuel, vous dit: le socialisme, c'est ça ou on ne peut être socialiste que si l'on croit à ça ou ça… Mieux vaut se méfier. Nul dans la tradition socialiste n'est légitime précisément, hors définition commune du parti éponyme, pour énoncer ce qui serait «la» bonne définition du socialisme. Par exemple, plus aucun socialiste français aujourd'hui n'est en faveur de la socialisation des moyens de production, pas plus qu'aucun socialiste français n'est favorable à la révolution pour abattre l'ordre capitaliste… Les socialistes sont des démocrates et reconnaissent le système de l'économie de marché et du capitalisme qui l'accompagne comme un état de fait sinon idéal et désirable du moins incontournable. Ils sont en fait «régulationnistes», plus ou moins, selon leurs sensibilités. Et au regard de nombreux aspects des libéraux farouches, comme quand il s'agit de défendre les droits individuels et leur croissance permanente dans la société. Valls n'était-il pas socialiste si l'on s'en tient là? La lutte pour l'égalité et la justice sociale dont pas un socialiste ne dira qu'elle est illégitime les caractérise-elle en propre? Non assurément. Pas plus que l'attention au service public ou à la redistribution fiscale. Ce sont des questions de degré bien plus que de nature qui définissent aujourd'hui le socialisme par rapport à d'autres approches doctrinales, soit sur sa gauche soit sur sa droite.

Donc dire que Valls n'est pas socialiste ou qu'il ne l'a jamais été au regard de ses idées et de ce qu'il a défendu quand il était au pouvoir est sujet, a minima, à discussion.

Que faut-il retenir de la carrière de Manuel Valls au PS? Quels sont les moments forts de son parcours politique?

Il me semble qu'il y a d'abord sa proximité avec Michel Rocard, avec les idées de la deuxième gauche telles qu'elles se sont traduites au PS. Il en est l'héritier tardif évidemment, une fois que le rocardisme a enfin triomphé avec l'accession de son champion à Matignon en 1988. Mais il est aussi celui qui aux côtés de Lionel Jospin va continuer, avec quelques autres venus du rocardisme justement, de pousser à la «modernisation» du PS comme on disait à l'époque, à la fin des années 1990 et jusqu'en 2002. On est là dans un moment à la fois de synthèse entre traditions de la première et de la deuxième gauche, et de lutte contre le blairisme et la 3ème voie qui emporte la quasi-totalité de la social-démocratie européenne à l'époque. Il me semble que Valls a été au moins autant «fait» politiquement par ce moment que par son rocardisme de jeunesse.

Valls incarne l'échec du quinquennat, d'autant plus qu'il se présente, lui, aux élections, alors que Hollande y a renoncé.

Après 2002, il va assumer directement la casquette «réformiste» à l'aile droite du parti. De manière assez solitaire d'ailleurs, ce qui est une autre caractéristique de son parcours au PS. Il n'a jamais voulu en effet créer son propre courant en «se comptant» lors d'un congrès par exemple. Il a essayé comme d'autres de sa génération de prendre de l'ascendant sur ses camarades dans les années 2000 mais sans succès. Il a toujours privilégié finalement le ralliement à un leader (après Rocard et Jospin, Royal puis Hollande) et à la majorité du parti. En 2011, il va enfin se mettre à son propre compte en se présentant à la primaire. Et son score, très modeste, ne l'empêchera pas de jouer un rôle clef auprès de Hollande dans la campagne. On peut y voir la démonstration de qualités politiques arrivées à maturité, ou au moins de grande habileté. En se rendant indispensable une fois au pouvoir, il a pu accéder à Matignon, égalant ainsi ses deux mentors Rocard et Jospin.

Valls incarne aujourd'hui une gauche républicaine et laïque. Cela a-t-il toujours été le cas?

Il me semble que cette orientation date essentiellement de l'exercice du pouvoir pour Valls, comme si cela lui avait révélé une part de lui-même, l'avait aidé à poser sa personnalité politique après des années passées à cultiver plutôt son côté social-libéral, héritier réformiste assumé de la deuxième gauche. Sans doute parce qu'il a bien compris que la gauche de gouvernement emmenée par Hollande avait besoin de verticalité républicaine. Et qu'il a occupé le vide créé en la matière par la désignation puis la victoire hollandaise. Il a pu d'ailleurs ainsi laisser s'exprimer une forme d'autorité très marquée chez lui, flirtant parfois avec l'autoritarisme, qui est un trait de sa personnalité souligné par tous ceux qui l'ont connu depuis ses débuts au PS. Cette orientation républicaine, laïque, clémenciste… est donc plutôt à mes yeux une forme de cristallisation de ce qu'il était déjà à l'occasion de l'exercice du pouvoir, dans le ministère ô combien régalien de la place Beauvau.

Quel a été le tournant sur ces questions pour lui?

Son accession à l'Intérieur, dès 2012 évidemment. C'est le moment où il se réalise dans ce rôle, pouvant enfin laisser s'exprimer son républicanisme qui souvent était apparu à rebours des idées de ses camarades au PS: qu'on se rappelle le débat sur l'interdiction de la burqa notamment en 2010. Mais je dirais aussi que l'expérience qu'il a vécue des attentats terroristes comme premier ministre à partir du début 2015 l'a totalement installé dans un tel rôle, lui a donné un véritable statut en la matière, notamment à l'occasion de son admirable discours du 14 janvier 2015 devant l'Assemblée nationale. Il y a très peu d'occasions de ce genre dans une vie politique. Il a été capable de la saisir et de montrer sa stature d'homme d'État.

Après, ses déclarations ont surtout contrebalancé l'inaction du président de la République en la matière. Elles ont pu paraître parfois excessives ou du moins incantatoires mais elles prenaient place dans le contexte tout à fait nouveau d'une France attaquée par le terrorisme islamiste. On ne peut les comprendre sans ce double arrière-plan: l'insuffisance hollandaise et la violence nouvelle de l'époque.

Son élection à Évry a été violemment contestée. La haine que suscite Manuel Valls jusque dans son camp politique est-elle liée à ses positions sur les thématiques évoquées plus haut?

Cette violence qui lui a été réservée témoigne du fait qu'il polarise nombre des déceptions et des haines que l'on trouve aujourd'hui au sein de la gauche, dans son acception la plus large. Valls incarne à la fois l'échec du quinquennat, d'autant plus qu'il se présente, lui, aux élections, alors que Hollande y a renoncé. C'est donc lui qui «assume» cet échec devant les électeurs, à la primaire comme à Évry. Il incarne également cette version de la gauche républicaine, exigeante en matière de laïcité et ferme sur les principes au regard des demandes identitaires et communautaristes qui déchirent le lien social chaque jour un peu plus. Donc cela ne plaît pas à ceux qui s'en sont fait les porte-parole politiques, au sein de l'extrême-gauche en particulier mais aussi au sein du PS. On reproche aussi à Valls, et c'est assez paradoxal si l'on y réfléchit bien, à la fois sa fidélité jusqu'au-boutiste, à Hollande, et ses errements depuis qu'il a été candidat à la primaire: abandon du 49.3, soutien à Emmanuel Macron plutôt qu'à Benoît Hamon, candidature hors PS à Évry… L'addition de tout cela ne lui donne évidemment pas un bon score de popularité, à gauche notamment. Même si je suis persuadé qu'il conserve des soutiens solides parmi nos concitoyens, au moins dans le respect de l'homme du 14 janvier 2015.

Son usage du 49.3 lui est sans doute moins reproché que son républicanisme et de son intransigeance laïque.

Cela traduit-il une fracture profonde à gauche sur ces thèmes?

Oui, tout à fait. Celle-là même que Valls a parfaitement résumée sinon théorisé quand il a parlé de «gauches irréconciliables». Elles le sont bien davantage sur ces questions que sur l'économie et le social, contrairement à ce que l'on pense habituellement, tant chez les sociaux-libéraux que chez les plus radicaux.

Certains lui reprochent également la loi El-Khomri…

Il endosse ici une responsabilité collective même si sur l'usage du 49.3 comme à un moment de la négociation il a eu une responsabilité propre qu'il appartiendra aux historiens d'établir précisément.

Mais il me semble que ce n'est pas cela qui marque l'échec du quinquennat pour nos compatriotes, et finalement ce n'est pas cela qui sera retenu contre Valls, malgré la très forte polarisation à l'extrême gauche sur ce point à son encontre. En tout cas, c'est sans doute moins fort que le rejet de son républicanisme et de son intransigeance laïque. Conformément à ce que je vous disais sur la cause de la fracture à gauche.

Ce qui s'est joué par exemple avec la déchéance de la nationalité, voulue à tout prix par Hollande contre l'avis de tous ses proches, Valls inclus, a été au moins aussi important pour détruire l'image de la gauche de gouvernement pendant ce quinquennat que la loi El Khomry. D'ailleurs, il ne me semble pas que les contempteurs de celle-ci aient particulièrement brillé lors des élections. Les projets en la matière de la nouvelle majorité, derrière le nouveau président de la République, montrent même qu'une large partie de nos concitoyens, et à gauche, ne sont pas opposés à la réforme du Code du travail. Alors qu'ils le sont profondément, viscéralement, à la déchéance de la nationalité. Les marqueurs ultimes sont davantage d'ordre culturel qu'économique ici. Le cas de Valls l'illustre bien.

La sensibilité républicaine de Valls peut-elle être un atout pour la nouvelle majorité?

Difficile à dire aujourd'hui. Elle devrait en tout cas être utilisée comme telle car il y a ce que l'on pourrait appeler un angle mort sur ces questions dans le projet du nouveau pouvoir. Or il s'agit, comme indiqué ci-dessus, de quelque chose de fondamental pour le pays, pour les Français. La définition de ce que nous sommes, de notre identité commune, et de ce que nous voulons continuer d'être ne se résume pas à l'indispensable amélioration des conditions économiques et sociales de ceux qui souffrent le plus durement de la crise depuis des années.

Un projet politique qui ne prendrait pas cela en compte ne peut réussir. Redonner espoir à la France et aux Français passe par la maîtrise de l'ensemble de ces dimensions, notamment face aux populismes et aux tentations identitaires qui se font jour de toutes parts.

Manuel Valls a compris ça, mieux que d'autres assurément, et ce malgré tout les reproches que l'on peut lui faire sur son action durant le quinquennat Hollande.

Laurent Bouvet : «Valls paie son républicanisme et son intransigeance laïque»

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127 commentaires
  • kevin@MROUEH

    le

    ARTICLE sous forme d'un point de vue ... mais pas une analyse. le gars cherche à nous passer Valls pour un laïque et qui s'oppose au communautarisme ! Du temps où il était maire d'evry , il était en tête de cortège des manif à caractère communautaire pour soutenir les palestiniens.... mais ça c'était avant !!!

  • fafia

    le

    lui non plus pas encore trouvé de job ???

  • dutch

    le

    De quoi Socialisme est il le nom ? Tel était effectivement le problème. Une coalition d'opportunistes sans doctrine.

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