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François Wahl (1925-2014), éditeur et philosophe

Philosophe de formation, ancien résistant, passionné de structuralisme et de psychanalyse, éditeur notamment de Jacques Lacan, Paul Ricœur et Roland Barthes, il est mort, le 16 septembre, près de Senlis.

Par  (Historienne et collaboratrice du « Monde des livres »)

Publié le 15 septembre 2014 à 12h41, modifié le 16 septembre 2014 à 22h49

Temps de Lecture 3 min.

Philosophe de formation, compagnon de l'écrivain cubain Severo Sarduy (1937-1993), pilier des éditions du Seuil où il fut, entre 1957 et 1990, l'éditeur de Jacques Lacan, Françoise Dolto, Paul Ricoeur, Roland Barthes, Philippe Sollers, Alain Badiou, Jean-Claude Milner, Christian Jambet, Carlo Emilio Gadda, Italo Calvino, ami de Michel Foucault et de Paul Veyne, François Wahl est mort le 15 septembre dans sa maison d'Avilly-Saint-Léonard près de Senlis (Oise), où il avait pris sa retraite pour écrire et travailler.

TRÈS TÔT DANS LA RÉSISTANCE

Né à Paris le 13 mai 1925, il s'engagea très tôt dans des mouvements de résistance et fut hébergé dans un couvent de bénédictins où il s'initia à l'œuvre de Saint-Augustin, tandis que son père était déporté à Auschwitz après avoir été dénoncé comme juif, à Lyon, alors qu'il était administrateur des Galeries Lafayette. Victime en tant que juif des persécutions antisémites, le jeune François s'était senti dédouané, comme il le dit lui-même, de toute culpabilité quand il découvrit son homosexualité à l'âge de 15 ans, en pleine débâcle.

En juin 1944, il rejoignit le maquis puis retourna à Paris à la Libération. Bientôt, il fit la connaissance d'Elie Wiesel dont il fut le professeur de philosophie, puis il milita jusqu'en 1948, au sein du groupe Stern, pour la création de l'Etat d'Israël. Analysé par Lacan entre 1954 et 1960, il joua un rôle fondamental dans la vie de celui-ci en l'obligeant en 1966 à réunir l'ensemble de ses textes dans un opus magnum intitulé sobrement Ecrits. Magnifiquement édité, selon un ordre thématique et logique, l'ouvrage fut un véritable best-seller.

BATAILLE POUR LACAN

Grâce à son éditeur, Lacan reçut la consécration qu'il attendait tant en cette époque marquée par le structuralisme. Cinq mille exemplaires furent vendus en moins de quinze jours et plus de cinquante mille exemplaires seront achetés dans l'édition courante. Wahl aimait Lacan et il eut conscience de gagner ainsi avec lui cette bataille pour la reconnaissance d'une œuvre difficile qui méritait un tel succès. Il lui permit ensuite de créer la collection «Le champ freudien», où furent édités des textes de Maud et Octave Mannoni, Serge Leclaire et bien d'autres encore.

Fondateur avec Ricoeur de la collection « L'ordre philosophique », Wahl était respecté pour sa manière de lire et d'éditer les livres. Il entretenait avec «ses» auteurs une relation exceptionnelle, fusionnelle, rigoureuse et distante, servant le texte sans la moindre idolâtrie. Aux côtés de Paul Flamand (1909-1998), puis de Michel Chodkiewicz et d'Olivier Bétourné, il fut, pour le Seuil, durant des années, l'incarnation de ce que l'édition française de sciences humaines produisit de meilleur.

NE JAMAIS CÉDER SUR L'ÉTHIQUE

Jamais il ne publia une œuvre dont il récusait la forme et le contenu, jamais il ne fit semblant de reconnaitre un talent pour des raisons marchandes et jamais il ne cédait sur ce qu'il considérait comme une éthique éditoriale. Il prit donc le risque conscient de refuser parfois quelque grand livre, comme ce fut le cas en 1980 quand il rédigea devant le comité des éditions du Seuil ébahi un rapport négatif sur le manuscrit que lui avait remis son ami Umberto Eco, Le nom de la Rose, allant même jusqu'à tenter de convaincre celui-ci de renoncer à le faire paraître tant il était convaincu qu'un tel roman nuirait à sa démarche antérieure de sémioticien accompli. Wahl ne regretta jamais ce geste et Umberto Eco quitta le Seuil pour Grasset.

François Wahl ou la vie dans la pensée, lire le témoignage d'Alain Badiou

Au milieu des années 1990, après avoir consacré sa vie à travailler sur les livres des autres, Wahl décida de passer à l'acte. Aussi rédigea-t-il en 1996 et en 2007 deux livres d'une belle érudition sur le thème de la perception et du regard. Dans le premier, Introduction au discours du tableau (Seuil), il étudiait les œuvres de Poussin, Memling ou Bellini pour montrer que le «visible» apparaît sous deux espèces : le paysage et le tableau. Il est donc un «discours», énonçant une vérité du «visible sur le visible» qui possède sa logique propre. Dans le deuxième, Le Perçu (Fayard), plus ambitieux, Wahl se livrait à une exploration critique des phénoménologies du XXème siècle - de Husserl à Merleau-Ponty - pour réévaluer les intuitions de Lacan sur la question de la subjectivité, manière de dialoguer avec son ami Alain Badiou.

Tel était François Wahl, éditeur hors normes et intransigeant : logicien passionné, structuraliste dans l'âme, amoureux des voyages, de l'Italie, des hommes et des livres.

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