A Chalon, la mairie met des bâtons dans la rue

Le festival Chalon dans la rue a encore attiré 200 000 spectateurs, malgré une réduction drastique de la subvention municipale (– 25 %) et la baisse du nombre de compagnies représentées. Reportage.

Par Emmanuelle Bouchez

Publié le 28 juillet 2015 à 17h30

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h47

Une virée à Chalon-sur-Saône ! Histoire d'y prendre le pouls du festival Chalon dans la rue, grand rendez­-vous des arts urbains qui, cette année, a bataillé sec avec la nouvelle équipe municipale. En mars 2014, le PS a perdu la ville, l'apparenté UMP Gilles Platret emportant la mairie dès le premier tour. Un an plus tard, le nouvel édile a attaqué frontalement Chalon dans la rue en réduisant de 360 000 euros sa subvention au festival, ainsi qu'à son organisateur, l'Abattoir, pourtant labellisé centre national des arts de la rue (CNAR).

C'est une première dans l'histoire de cet événement – seul festival « national », avec celui d'Aurillac, à être dédié à la création dans l'espace urbain. Fondé en 1987 par une figure nationale de la droite, Dominique Perben, il avait depuis été soutenu par les mairies successives... Or, en avril, le conseil municipal a voté une baisse de 25% des subventions au CNAR, comme à toutes les associations socio­culturelles... Un paradoxe, quelques mois après les attentats de janvier, alors que la classe politique prend à nouveau conscience de l'importance de la culture et de l'éducation pour faire société.

Dévêtu(e) : une des images de forte du festival, avec le spectacle “interactif” de la compagnie Thé à la rue.

Dévêtu(e) : une des images de forte du festival, avec le spectacle “interactif” de la compagnie Thé à la rue. © Vincent Muteau

Poids de la dette et baisse de la dotation de l'Etat

Seule la scène nationale L'Espace des arts, passée il y a peu sous la tutelle de la communauté d'agglomération, a échappé à cette baisse brutale : la réduction de sa subvention annuelle de fonctionnement a été négociée à l'amiable, dans l'optique de grands travaux de réhabilitation – financés à parité par l'Agglomération et par l'Etat – nécessitant deux ans de fermeture à partir de septembre 2016. Avec promesse de relecture budgétaire à l'ouverture. Dont acte.

A l'occasion de l'édition 2015 de Chalon dans la rue, clôturée dimanche, le milieu professionnel a renouvelé sa mobilisation en faveur du festival à coups de communiqués... Que le maire s'est empressé de contredire, rappelant l'importance de son engagement. Durant toute l'année, il n'avait cessé de rappeler le poids de la dette de la Ville, et la baisse des dotations de l'Etat – 1,5 million en moins chaque année pendant trois ans. Christophe Sirugue, l'ancien maire (PS) désormais dans l'opposition municipale, a cependant contesté sa lecture des chiffres et rappelé un exercice 2013 excédentaire. Les choix sont toujours difficiles en période de fragilité budgétaire. Mais il y a choix et choix. Cette année, quand Cécile Helle, la maire (PS) d'Avignon, réduit elle aussi la subvention au Festival, elle promet que ce n'est que temporaire.

Malgré tout, Chalon dans la rue a joué, en 2015 comme les années précédentes, son rôle de « liant » dans la ville : entre bars éphémères, pow-wow dans les parcs et discussions à la volée entre deux spectacles ­ qu'ils soient In ou Off ­, les arpenteurs des rues se sont tous retrouvés. Le festival a attiré 200 000 visiteurs (dont 3 000 jeunes campant sur les rives de la Saône). Des grand-mères comme de jeunes parents y ont traîné des fratries entières, avec coussins et bouteilles d'eau pour prévenir l'inconfort du pavé et la grosse chaleur estivale. De ce côté-là, comme à la terrasse des cafés et des restos ouverts tard dans la nuit, il y a toujours la même gaieté...

Ce sont les 1 000 professionnels venus de tout l'Hexagone et de l'étranger qui ont fait grise mine. Cette coupe budgétaire représente un très mauvais signal pour leur art, outil de démocratisation culturelle par excellence. Cette année, 16 compagnies ont été soutenues dans le In contre 20 en 2014. Le Off, lui, en a accueilli 130, contre 160 l'année dernière – à Chalon, le Off est régulé par le In, ce qui garantit la visibilité de tous et une certaine qualité. Pas de concerts sur la petite scène du Carmel, lieu habituel de convivialité devenu soudain bien morne. Plus de bar non plus : pour les discussions à bâtons rompus, il a fallu voir ailleurs.

Du Verdi de rue, avec le Rigoletto de la compagnie Les Grooms.

Du Verdi de rue, avec le Rigoletto de la compagnie Les Grooms. © Michel Wiart

Le ministère de la Culture menace de retirer son label « national »

Pedro Garcia, directeur artistique du festival depuis janvier 2004, tient bon. Avec son équipe de permanents gonflés à bloc, il fait du mieux qu'il peut, avec moins. Après avoir été à couteaux tirés avec la nouvelle mairie, l'ambiance se détend un peu : « Le maire a promis qu'il ne baisserait pas davantage l'année prochaine », se rassure-t-il.

Mais la menace brandie par le ministère de la Culture de retirer son label « national » à l'Abattoir, lieu de création du festival, passe plutôt mal. Certains pros assurent qu'il faut voir comment les choses tournent avant de trancher dans le vif et de fâcher tout le monde. D'autant que le ministère subventionne relativement peu le CNAR (370 000 euros sur un budget 2015 de 1,8 million), la mairie représentant, à elle seule, 57 % du financement. La région Bourgogne recule de 120 000 à 104 000 euros ; le département de Saône­-et­-Loire, lui, ne verse que 47 000 euros.

Quand on sait que la Fabrica, à Avignon, augmente le pouvoir de production du festival, et qu'à Lyon, Dominique Hervieu vient d'obtenir un lieu de répétition pour épauler sa Maison de la danse et les Biennales à venir, l'affaiblissement de l'Abattoir, à Chalon, semble vraiment être une décision... à contretemps. 

Nos coups de cœur

Dévêtu(e) ou comment convaincre une centaine de personnes de déambuler pieds nus dans un peignoir nid-d'abeilles, entre les loupiotes et les petites tentes pour y tester des entre­sorts forains. La vision de ce public tranquille (ici, tout n'est que « bienveillance », nous berce-t-on), costumé à l'identique, restera l'une des images fortes de ce spectacle « interactif ». La compagnie Thé à la rue a plus d'un tour dans ses cabines pour nous faire sortir de notre gangue, avec humour, sans nous forcer. Et nous permettre, de manière ludique à l'extrême, de regarder nos corps en face ! A suivre dans les festivals de l'année prochaine.

Nous rassembler, c'est aussi ce qu'ont réussi à faire les Grooms avec leur opéra de Verdi pour place publique. Potache dans la mise en scène mais néanmoins vraiment musical, leur Rigoletto pour fanfares de cuivre et diva sur le pavé, s'apprécie de bon cœur et sans chichis. A suivre les 29 et 30 août à Quimperlé (29) et les 12 et 13 septembre au festival Cergy­Soit, à Cergy-­Pontoise (95).

La compagnie Komplex Kapharnaüm, montée de Villeurbanne, décline à nouveau dans Do not Clean son art du film documentaire projeté dans la rue. Elle traite d'un sujet urgent : la multiplication des laissés-pour-compte vivant dans la rue. Que notre société contemporaine, devenue par ailleurs spécialiste du tri environnemental, traite et classe comme des rebuts. Cette mise en parallèle, relayée par autant d'artistes-­éboueurs étalant les déchets sous nos yeux, pendant que les façades se remplissent d'images de clochard philosophe ou de réfugié en perdition, est percutante. Dommage que Komplex Kapharnaüm l'assène un peu trop. Pas de besoin de sous-texte militant pour réveiller le public, apte à juger lui-même, face à un spectacle dont la force politique s'impose d'emblée. A retrouver à Paris 20e, place de la Réunion, les 24 et 24 septembre.
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