A Lyon, deux musées historiques menacés de fermeture

Le musée des Tissus et le musée des Arts décoratifs de Lyon, témoins incontournables du passé industriel de la ville, sont menacés de fermeture. La Chambre de commerce et d'industrie de la ville n'a plus les moyens financiers d'assurer leur fonctionnement, et personne ne semble s'inquiéter de leur sort.

Par Sophie Rahal

Publié le 27 novembre 2015 à 18h26

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 06h02

Au départ, il y avait une belle histoire, écrite depuis le XIXe siècle : celle de deux musées distincts mais complémentaires, aujourd'hui rassemblés au sein d'une même structure dans le quartier lyonnais de la presqu'île, mais dont l'avenir est à présent compromis.

Le premier abrite la plus importante collection de textiles au monde. Fondé en 1856 après l'Exposition universelle de Londres (1951), pour affirmer et conserver l'avantage commercial des soyeux lyonnais, le musée des Tissus est progressivement devenu, via une active politique d'acquisition, une référence mondiale. Au milieu des textiles médiévaux, des tapisseries romaines ou des soieries orientales, on trouve aussi des oeuvres uniques, comme la tunique égyptienne plissée du Moyen Empire (2033-1710 avant J.-C.), plus ancienne pièce de la collection. Le musée conserve aujourd'hui quelque deux millions et demi de pièces et couvre 4 500 ans d'histoire du textile, « depuis l'Egypte pahraonique jusqu'à nos jours, du Japon aux Amériques, en passant par la Chine, l'Orient, l'Italie ou les Pays-Bas », rappelle son site. Il héberge également une bibliothèque, le Centre international d'étude des textiles anciens, un atelier de restauration, ainsi qu'un atelier d'expertise destiné aux collections d'autres institutions. 

L'autre établissement n'a pas cent ans, mais il est le deuxième plus important musée des Arts décoratifs de France, après celui de Paris. « Hymne au génie universel », il retrace l'évolution de « l'histoire du goût, des prouesses techniques et des développements artistiques en Europe, en Orient et en Extrême-Orient, depuis le Moyen Âge jusqu'à nos jours ».

Musée des Arts décoratifs, salle « Les vues de Lyon » - 

Musée des Arts décoratifs, salle « Les vues de Lyon » -  Lyon, musée des Arts décoratifs, photographie Pierre Verrier

Il s'agit donc bien là de deux institutions lyonnaises, témoins du passé industriel, économique et culturel de la ville. Chaque année, elles reçoivent entre 70 000 et 90 000 visiteurs, dont 30% d'étrangers. Pourtant, leur avenir est menacé, et les musées risquent même de fermer leurs portes. 

Pourquoi ? Parce que la Chambre de commerce et d'industrie de Lyon, propriétaire des deux lieux depuis leur création, est financièrement à sec. La CCI a vu ses recettes diminuer au même titre que les autres Chambres, mises au régime par Bercy : sur trois ans (2014-2017), leurs ressources fiscales ont baissé de 100 millions en 2014, de 213 millions en 2015, et une nouvelle baisse de 150 millions est inscrite dans le projet de loi de Finances 2016. A cela s'est ajouté une contribution exceptionnelle de 500 millions d'euros pour 2015, prélevés sur les fonds de roulement des CCI. La Chambre de Lyon a ainsi été mise à contribution à hauteur de 14,3 millions. « Nous avons supprimé des postes, nous faisons désormais payer certaines prestations auparavant gratuites, nous n'assurons plus certaines missions auprès des entreprises, et nous n'avons plus les moyens de gérer nos deux musées », se désole-t-on à la CCI de Lyon, qui prend en charge 1,7 million d'euros sur leur budget de fonctionnement annuel total (2,5 millions).

Que faire alors de ces deux pépites, dont tout le monde reconnaît l'intérêt scientifique et s'accorde à dire qu'elles sont la mémoire de la ville et contribuent à son rayonnement ? En confier la gestion à la métropole ? Des discussions ont, certes, eu lieu avec le maire de Lyon, Gérard Collomb, par ailleurs président de la Métropole de Lyon. Mais la collectivité a les poches qui se vident : elle gère déjà deux autres établissements, dont le musée des Confluences, inauguré fin 2014 et dont le coût des travaux s'est révélé cinq fois plus cher que prévu. Faut-il les adosser au musée du Louvre, qui ne dispose pas de département tissus/textiles? Le directeur du musée parisien, Jean-Luc Martinez, se serait discrètement mêlé au débat, mais rien de concret n'est, depuis, sur la table. Trop cher, semble-t-il... Solliciter le service des musées de France, qui a octroyé le label « musées de France » aux deux établissements ? L'administratrice générale des musées de France les a visités en début d'année... puis plus rien. Contacté par Télérama, le service redirige d'ailleurs vers les conseillers patrimoine et spectacle vivant du ministère de la Culture, visiblement trop occupés pour nous répondre. Le mécénat, comme l'a fait le musée des Beaux Arts de Lyon, entré en contact avec de nombreux chefs d'entreprises ? Et tant qu'à faire, pourquoi ne pas trouver un prince saoudien à qui les vendre ? Pas possible non plus ! « C'est un label "musée de France", donc les pièces sont inaliénables et il ne peut pas être vendu », explique-t-on au musée.

« C'est l'impasse, regrette un bon connaisseur du dossier. On dirait que tout le monde s'y intéresse, mais que personne ne veut s'y coller ». Quitte à laisser mourir ces deux musées, qui portent en eux l'ADN de la ville ?

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