En ce début d’été, c’est un touriste chinois parmi tant d’autres à Paris. A 62 ans, M. Sun – il ne souhaite pas donner son prénom – a visité pour la première fois la capitale française, aperçu la tour Eiffel – trop de monde pour y monter – et découvert Lyon. Il a le teint bronzé et le sourire de celui qui a pleinement profité de ses vacances.
M. Sun appartient à la génération des « jeunes instruits » (zhiqing, en mandarin) qui, nés dans les années 1950, ont été envoyés de manière autoritaire à la campagne par président du Parti communiste chinois (PCC), Mao Zedong.
Cette « génération 68 » à la chinoise a eu un destin hors norme : elle a découvert brutalement la rudesse du monde paysan, souffert du déracinement et des privations ; elle profite aujourd’hui, à l’heure de la retraite – pour ceux qui ont réussi à s’en sortir –, des bienfaits de leur pays natal, devenu deuxième puissance économique mondiale.
« Terre d’exil »
M. Sun habitait à Hangzhou, dans la province côtière du Zhejiang, avant son départ pour la campagne. Sa famille était ouvrière ; il était donc né, selon les critères communistes en vigueur à l’époque, sous de bons auspices.
« Pour les parents, cela a sûrement été un moment douloureux, mais c’était un mouvement national. Il fallait y aller, on ne pouvait pas refuser. Et comme j’étais l’aîné de la famille, je suis parti, sinon mon petit frère aurait dû partir. L’un devait aller loin, lui pouvait rester à la maison. C’est moi qui suis parti loin », explique M. Sun.
Sa destination : une ferme militaire de la province du Heilongjiang, à des milliers de kilomètres. Loin de tout et proche de l’Union soviétique (URSS). Les seules choses qu’il en connaissait, c’était qu’il faisait « très froid » et que cela avait été une « terre d’exil » pour les fonctionnaires bannis de la dynastie des Qing.
Déplacement d’une ampleur inégalée
C’est à bord d’un train spécial, en compagnie de mille autres « jeunes instruits », qu’il a rejoint son lieu d’affectation, une forêt à défricher. Trois ans plus tôt, en 1968, pour mettre fin au chaos qu’il avait lui-même déclenché, Mao avait, dans un premier temps, décidé d’en appeler à l’armée, puis d’envoyer les jeunes à la campagne pour les rééduquer auprès des paysans. Pour cela, il relançait un mouvement des années 1950 connu sous le nom de shangshan xiaxiang (« grimpons dans les montagnes, descendons à la campagne »).
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