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Toutes les intox qui circulent sur les attentats... et nos conseils pour s'en prémunir

Procès des attentats du 13 Novembre 2015dossier
Typologie des hoax, intox et rumeurs qui ont circulé sur la Toile depuis hier soir à propos des attentats terroristes
par SERVICE DESINTOX
publié le 14 novembre 2015 à 15h49

C'est désormais la règle : chaque fait d'actualité est l'objet de rumeurs, de faux ou de déformations diverses sur les réseaux sociaux. La vague d'attentats qui a frappé Paris vendredi n'a pas échappé à ce phénomène de bullshit viral. Voici quelques exemples. Et quelques conseils sur la manière de s'en prémunir.

1) Se méfier de la précipitation, des interprétations hâtives et des bruits qui courent (y compris les bruits de pétards)

#L'INCENDIE DE CALAIS La rumeur s'est répandue autour d'une heure du matin, vendredi. Un incendie aurait été déclenché à Calais. Immédiatement, certains twittos font le lien avec les attaques terroristes.

Les migrants auraient mis le feu en solidarité avec les terroristes (version fachosphère)

D'autres véhiculent l'idée que les terroristes ont aussi attaqué les réfugiés...

Puis certains «corrigent» la rumeur... en affirmant qu'il n'y a pas eu d'incendie. Ce qui est une autre contre-vérité.

Car, oui, un incendie s'est bien déclaré. Mais non, il est d'origine accidentelle. La préfecture du Nord-Pas-de-Calais confirme dans la soirée qu'un incendie s'est bien déclaré peu après minuit dans la «jungle», le bidonville où vivent les migrants à Calais. «Environ 2 500 m2 ont été touchés, il n'y a ni blessé, ni mort et le feu est maîtrisé», disent les autorités. Un feu électrique, sans lien avec les attaques de Paris.

#LE VRAI FAUX TWEET DE DONALD TRUMP Autre exemple de fausse info fabriquée et relayée dans la précipitation, le tweet de Donald Trump. Le candidat à la primaire républicaine aurait ironisé après les tueries sur le fait qu'elle surviennent dans un pays très strict sur le contrôle des armes... Indignation sur Faceboook ou Twitter. A la base de cette vraie-fausse rumeur, un tweet de l'ambassadeur de France aux Etats-Unis

Le tweet du diplomate français, dénonçant le vautour Trump, est authentique... mais l'ambassadeur a répondu par erreur à un tweet de Trump... datant du 7 janvier, après les attentats de Charlie. Cela ne rend pas la réaction de Trump plus décente. Mais elle n'a rien à voir avec le carnage de vendredi. L'ambassadeur a retiré son tweet depuis. Ce qui n'a pas empêché l'emballement et l'indignation contre le milliardaire américain.

(Samedi, Donald Trump a récidivé dans un discours au Texas, expliquant que le bilan aurait été moindre si la France avait eu une législation différente en matière de port d'armes)

#LES PETARDS DE BAGNOLET Samedi, la rumeur enfle soudain d'une nouvelle fusillade et de détonations à Bagnolet. Twitter s'en fait l'écho.

On apprend peu de temps plus tard qui s'agissait en fait... de pétards tirés dans le cadre d'un mariage.

2) Se méfier des photos

#LA MANIF EN ALLEMAGNE Ce week end, des centaines de personnes ont relayé ce tweet remerciant du fond du coeur les Allemands criant leur soutien...

Sauf que la photo est en fait celle d'une manifestation de Pegida en décembre 2014

#LA PHOTO DU BATACLAN Autre exemple, cette image du Bataclan censée avoir été prise avant le drame

Sauf que comme l'explique un confrère de France Info, s'il s'agit bien d'un concert du groupe Eagles of Death Metal qui se produisait hier soir au Bataclan... la photo en question a été prise à l'Olympia Theatre de Dublin lors d'un concert le 10 novembre dernier.

#LES TERRORISTES ABATTUS... AU BRESIL. Dernier exemple, en début d'après-midi samedi.

Une photo prise en fait... au Brésil, comme l'a immédiatement rectifié notre confrère Samuel Laurent des Décodeurs du Monde.

3) Se méfier des vidéos

#DES IMAGES QUI DATENT DE 2010 Depuis vendredi soir, des excités se surchauffent en faisant tourner un lien sur Facebook au twitter.

La vidéo en question montre un groupe d'islamistes dont une femme brandissant devant la caméra qui filme une drapeau tout en promettant qu'il flottera bientôt à l'Elysée... Cette vidéo, qui avait déjà abondamment tourné en janvier après les attentats de Charlie Hebdo date en réalité de fin décembre 2010... Elle montrait des membres du groupuscule «Forsane Alizza», un mouvement salafiste fondé en 2010... et dissous en 2012 à la demande du ministre de l'Intérieur de l'époque, Claude Guéant, comme l'avait expliqué Metronews.

4) Se méfier des plaisantins qui ont quelques rudiments de code... ou de photoshop 

#LE PROPHETE DU FORUM C'est un grand classique de ce genre de drame : d'aucuns assurent qu'il existait des signes avant-coureurs, voire des mises en garde circonstanciées. Preuve à l'appui. Voilà le post qui a été mis en avant dans la nuit de vendredi, censé se trouver sur un forum de jeux vidéo.

Il s'agit (évidemment) d'un faux, réalisé par un plaisantin (sic) à partir d'un post original que voici :

Comme nous le montre notre journaliste Jacques Pezet, rien de plus facile que de modifier un texte :

Et voilà le résultat :

#LE CRITIQUE DE JEUX VIDEOS QUI DEVIENT TERRORISTE EN UN COUP DE PHOTOSHOP. 

Voilà un exemple parfait de ce à quoi un abruti peut arriver avec quelques notions de photoshop. Un gilet explosif ajouté, un Ipad transformé en Coran, et le tour est joué. Voilà comment un internaute à transformé le critique de jeux vidéos @Veeren_Jubbal en djihadiste.

Résultat : le pseudo terroriste photoshopé s'est retrouvé propulsé auteur présumé des attentats sur les réseaux sociaux... puis dans certains médias espagnols.

5) Se méfier des mauvaises blagues (qui se retournent parfois contre leurs auteurs)

#LE FAUX TIREUR PRESUME QUI SE TIRE UNE BALLE DANS LE PIED Durant la nuit de vendredi à samedi, des photos d'un présumé tireur ont été largement partagées sur les réseaux sociaux. Voilà par exemple le tweet posté aux alentours de 23 heures, par un utilisateur de Twitter. L'image est une capture d'écran tirée d'Instagram, où l'on peut voir le visage patibulaire d'un homme barbu d'une vingtaine d'années, accompagnée de cet avertissement en légende : «Lorsque vous verrez cette photo sur BFM, il sera trop tard.»

Evidemment, il s’agit d’une grossière intox. Dont on peut reconstituer l’histoire, cocktail édifiant de manque de bol et d’idiotie des utilisateurs des réseaux sociaux.

Vendredi, à 15h07 près de Grenoble (selon la géolocalisation Twitter), le dénommé @_Jacky_Boy poste un selfie où il se présente comme un terroriste… La blague est d’un goût douteux, même s’il ignore évidemment à ce moment que les attentats adviendront dans la soirée. Difficile d'imaginer timing plus malchanceux.

Peu après le début des tueries à Paris, un utilisateur de Twitter, @youri_elm, tweete l'image... faisant de Jacky_Boy le tireur présumé.

Ni une ni deux, la twittosphère s'excite et partage la photo du jeune homme originaire de Grenoble. Même si @youri_elm explique dans un tweet que son premier tweet est un «faux truc». Une heure plus tard, le même semble clairement dépassé par son «succès» : 1000 RT en une heure. «Ça part trop vite sur twitter».

Le mal est fait. La photo de «Jacky Boy» est massivement partagée sur le réseau social.

A 23 heures, ses amis avertissent Jacky_Boy que sa photo tourne sur le réseau social. Mais il ne semble pas encore s'inquiéter outre mesure de la situation. Pour lui, tout ceci n'est qu'une «blague légendaire».

Vers 2 heures du matin, Désintox révèle sur Twitter que Jacky Boy n’est pas un des tireurs, mais ce n’est pas suffisant pour arrêter la diffusion des premiers messages l’accusant de terrorisme.

Jacky_Boy va d’ailleurs perdre encore plus le contrôle de sa blague potache, puisque quelqu’un va créer un compte Twitter au nom très proche du sien, le présentant comme un terroriste. Jacky_Boy s'inquiète un peu, désormais, et demande à ce que le compte soit supprimé pour éviter que la situation ne dégénère. Ni lui ni ses copains ne semblent plus du tout rigoler.

Selon ses amis, contactés sur les réseaux sociaux, le jeune homme se serait rendu au commissariat de Grenoble pour éclaircir sa situation. Selon le Dauphiné Libéré, il était samedi en garde à vue dans le cadre d'une enquête ouverte en flagrance pour « apologie du terrorisme » par le parquet du procureur de la République de Grenoble. On peut qualifier le cas de Jacky_Boy comme celui de l'arroseur arrosé, ou comment une mauvaise blague au mauvais moment peut être reprise sur Internet par un irresponsable avec pour résultat de faire passer un jeune qui se croit drôle pour un dangereux jihadiste.

6) Se méfier des intox récurrentes

#L'INTOX DE LA SURVIVANTE... QUI REVIENT A CHAQUE ATTENTAT Alors que des personnes cherchent encore, notamment via les réseaux sociaux, des informations sur des disparus, certains internautes véhiculent l'histoire d'une jeune femme brune qui aurait survécu aux attentats de Paris le 13 novembre ainsi qu'à ceux du marathon de Boston en 2013 et à une fusillade dans une école américaine. L'histoire de cette survivante est partagée des milliers de fois par les internautes. Il s'agit d'une version réchauffée et réactualisée d'un hoax qui a déjà sévi sur Internet.

La photo du haut a été prise par le photographe de l'AFP Kenzo Tribouillard dans la nuit de vendredi dans le Xarrondissement parisien. Les trois photos en bas ont été prises aux Etats-Unis après la fusillade d'Aurora en juillet 2012, de la fusillade de l'école primaire de Sandy Hook à Newton en décembre 2012 et de l'attentat de Boston en avril 2013. Après l'attaque de Boston, un premier montage de ces trois images était déjà apparu laissant croire qu'il s'agissait de la même personne.

Des sites de fact-checking américains avaient vérifié les identités des trois brunes photographiées, et prouvé qu'il s'agissait bien de personnes différentes. La brune d'Aurora est Amanda Medek et celle de Sandy Hook s'appelle Carlee Soto. Enfin, la brune des attentats de Boston est une certaine Emma MacDonald, selon la légende de la photo du Los Angeles Times.

7) Se méfier aussi des intox bisounours

#FLOYD MAYWEATHER, MEGASTAR MULTIMILLIONNAIRE DE LA BOXE, TRANSFORME... EN SDF HEROIQUE. Il peut arriver à l'internaute, dans un contexte aussi tragique, de se laisser aller à relâcher sa vigilance face à une belle histoire... Plusieurs milliers de twittos ont ainsi relayé l'hommage rendu à un SDF héroïque pendant la tuerie.

Et ce, même si l'intox est des plus grossières, le SDF en question étant en réalité la mégastar de la boxe mondiale, l'américain Floyd Mayweather, sportif le mieux payé de la planète...

#ZOUHEIR, HEROS MALGRES LUI DU STADE DE FRANCE. Chaque tragédie a besoin de héros. Celui des attentats parisiens, pour les réseaux sociaux, s'appelle Zouheir. Comme le prénom d'un agent de sécurité qui aurait refoulé un kamikaze doté d'un ticket pour le Stade de France. Un message raconte que l'agent de sécurité a sauvé des centaines voire des milliers de vies, dont celle du président de la République. Il a été retweeté plus de 30 000 fois :

Un autre tweet explique que Zouheir a bloqué le kamikaze.

Certains le voient même… mort, et lui rendent hommage.

Fort bien. Que sait-on du dénommé Zouheir ? Qu'il n'est pas mort... puisqu'il a témoigné dans un article du Wall Street Journal et expliqué qu'un terroriste avait bien été refoulé du stade avant de se faire exploser. Et que ledit article du WSJ précise que l'agent, qui était bien en poste ce vendredi… était en revanche situé près du tunnel de l'entrée des joueurs, et s'est fait raconter la scène par l'équipe de sécurité à la porte.

En clair, Zouheir n’a même pas été témoin de la scène, et y a encore moins participé. Ce qui nous a été confirmé par un des auteurs de l’article. Et ce qui fait de l’ode à Zouheir un exemple parfait de ces emballements comme les réseaux sociaux en ont le secret.

8) Se méfier... de ce qu'on relaie

La genèse des hoax est donc multiple : bêtise, humour plus ou moins douteux, malveillance, précipitation. Face à cet afflux, la vigilance est de mise. Nos confrères des Décodeurs du Monde ont publié ce petit guide de bon sens à l'usage du citoyen numérique. Pour le coup, vous pouvez faire tourner sans crainte.

Pour aller plus loin :

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