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Nos Lecteurs ont la Parole - Bruno TABBAL

Lettre ouverte à Son Excellence le ministre de l’Intérieur Nouhad Machnouk

Cher Monsieur,

J'ai confiance en vous.
Depuis quelque temps que je suis, comme tout citoyen libanais, votre parcours à la tête d'un ministère qui est – le moins que l'on puisse dire – des plus délicats, je trouve que vous ne manquez ni d'initiative ni de bon sens.
Je trouve même que votre activité à la fois ferme et conciliante reflète une conscience patriotique clairement soucieuse de justice et qui recherche l'application d'un état de droit. Et je vous admire pour cela, comme j'ai admiré certains de vos prédécesseurs tels que M. Ziyad Baroud, vous qui jouez à la marelle sur un champ de mines, si l'on ose l'exprimer ainsi.
Je suis confiant que vous lirez ce modeste mot, sachant pertinemment que je m'adresse à vous mu par un élan joyeux et naïf de vouloir croire encore qu'il existe d'autres figures politiques comme vous, usant d'un style de gouvernance moderne et humble, dans la logique de l'édification d'un État où tout citoyen se sentirait avant tout en sécurité, écouté.
Il est facile de mener campagne contre vous parce que tel ou tel incident, isolé ou pas, politisé ou pas, éclate et échappe à votre vigilance, dans un pays qui repose sur des couches de pourriture fongique de corruption, de négligences, d'individualisme et de clientélisme qui ne font que façonner notre société – avant notre administration politique ! – depuis des décennies. Mais il est bien plus sain et sensé de louer vos efforts clairs et honnêtes de remettre le wagon sur les rails. Un travail de titan.
Je sais que vous m'écoutez.
Il y a quelques jours, le pays a été secoué par un crime odieux, d'une violence inouïe, commis en plein jour devant au moins une vingtaine de passants, une vingtaine « d'hommes », et les caméras le prouvent : trois minutes de violence intenable et personne n'a levé le pouce pour arrêter cette barbarie ! C'est vous dire à quel point notre société est malade, très malade, avant de pointer du doigt l'accusateur et de faire endosser la responsabilité de tous nos maux aux « autres », à la « classe qui nous gouverne ».
Facile, car le ménage ne pourra, ne devra commencer que devant chez soi d'abord. Et là je m'adresse à mes concitoyens avant tout.
Mais hier aussi, le pays a appris avec honte que deux jeunes gens ont été arrêtés, battus et torturés pendant des semaines pour avouer... qu'ils sont homosexuels !
Au Liban, tout devient épouvantablement cher, sauf l'être humain, dont la valeur est on ne peut plus insignifiante...
Le quatrième pouvoir nous éclaire sur beaucoup de choses qui se passent dans notre plus proche entourage, et la Toile exerce un pouvoir rassembleur aussi de nos jours ; nous avons tous lu (et vu) Georges poignardé, Rita écrasée... et Omar et Samer battus et torturés dans un commissariat au Sud.
Le point commun de ces histoires ? Une injustice, une déshumanité, un crime. Doit-on agencer par ordre de priorité ? Un homme poignardé dans la rue par un voyou – sous couverture politique ou pas –, est-ce un événement plus grave que deux innocents torturés par les mêmes responsables censés interpeller ce même voyou et nous protéger tous, simples citoyens ?
Non, j'irai même jusqu'à inverser les priorités.
Si ces crimes capitaux restent impunis ou passent sous le silence de la honteuse « laflafé » traditionnelle qui ronge notre système social et étatique, alors il n'y a plus rien à espérer. Combien de fois avons-nous égrené ce chapelet de désespoir de croire en un pays « normal », juste et prometteur, au lieu de cette jungle qui assassine ses enfants physiquement, et qui abat froidement leur rêves, leurs ambitions et leurs lendemains...
Si l'impunité reste le maître mot qui définit notre pays, au cœur de ses institutions ou parmi ses simples citoyens, comment faire croire alors que les responsables en place soient vraiment « in control » ? Comment croire ne serait-ce qu'à une illusion d'un État de droit ? À l'emprise du bien sur le mal ?...
Comment croire en quoi que ce soit si les forces de l'ordre sont si promptes à délivrer des procès-verbaux pour des excès de vitesse, mais traînent à porter assistance à un individu en danger poignardé par un excité incontrôlable en pleine rue ?
Comment comprendre et accepter que ces mêmes forces armées, dont la simple vue est censée nous procurer soulagement et sensation de sécurité, mettent autant de zèle, d'énergie et de sophistication dans la cruauté à fouiller les conversations WhatsApp des téléphones et les vies privées des jeunes gens pour les inculper d'un mal fictif, lorsque de véritables criminels sortent de prison comme on entre dans un moulin ? Tout cela, sans jugement, avant quelconque présomption d'innocence décente...
Cher Monsieur le Ministre, aujourd'hui, les gens sont dégoûtés par ces pratiques d'un pouvoir fasciste d'une tutelle qu'on croyait révolu, désenchantés de voir des injustices s'empiler au vu et au su de tout le monde, incapables de voir et de croire en autre chose que la loi du plus fort. La raison des muscles, des armes, de l'influence et de l'argent...
Cher monsieur, nous savons tous, et vous le savez en premier, que ces pratiques se font discrètement dans les geôles glauques des commissariats, mais que souvent on n'en dit mot, par peur, par pression, mais aussi pour garder les apparences sauves, évitant lâchement le « qu'en-dira-t-on ».
En partant du principe que le ménage doit se faire chez soi d'abord, je sais que vous n'accepterez point que les pratiques odieuses d'un ou de plusieurs individus au sein d'une institution directement sous votre tutelle ne souillent la noble réputation de cette même institution qui est sensée être justement garante de la sécurité et de la stricte application de la loi, et par extension ne souillent votre réputation.
Cher monsieur, aujourd'hui vous vous trouvez devant un choix qui peut s'avérer être historique.
Vous pouvez choisir d'avoir une poigne d'acier (même si dans un gant de velours), et contrôler personnellement le suivi de ces affaires criminelles et ordonner aussi une enquête au sein même de cette institution dont vous avez la garde. Ou pas...
Mais je sais que ça ne passera pas ! Les crimes ne passeront pas !
Je sais que vous veillerez personnellement à ce que le(s) criminel(s) soi(en)t jugé(s) et justice rendue. Je le sais parce que hier c'était ce crime de la plus grave importance, mais avant-hier il y eut une femme écrasée trois fois par une voiture sur un trottoir à Jbeil, et celui d'avant, ces deux hommes détenus pendant plus de trois semaines, battus et torturés pour avouer « un crime » qu'ils n'ont pas commis, à savoir cette accusation fictive d'homosexualité. Mais il y a aussi bien avant ces femmes tuées par leurs maris, celles martyrisées pour « laver l'honneur » tribal, et cet influent avocat, chef de municipalité qui bat sauvagement sa femme dans le parking du mall, et j'en passe...
Si Georges a été tué ainsi, c'est parce que le monstre a la certitude de s'en tirer comme il l'a déjà fait par le passé. Si Omar et Samer ont été torturés, c'est parce que leurs pervers bourreaux se considèrent au- dessus de la loi qu'ils sont censés appliquer. Et tout ceci tire une sonnette d'alarme très distincte et très grave : « Où va-t-on ? »
Et tout cela, vous ne pouvez l'accepter. Vous ne pouvez vous rendre complice de ce qui va à l'encontre de votre conviction et de vos principes.
Cela, cher monsieur, je le sais.
Albert Einstein avait dit : « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire. » Et le souvenir de cette petite foule apathique hier à Saïfi me fait très peur. Tout comme rester inerte face aux exactions des bourreaux des forces de l'ordre dans ce commissariat du Sud me fait peur.
Mais vous pouvez être sûr, cher monsieur, que pour rendre justice à Georges, à Omar et Samer, à Rita et à tous ceux et celles qui attendent (parmi nous ou ailleurs déjà) qu'on se tourne vers eux, nous, la société civile, la génération qui se débat fébrilement pour un demain glorieux, que l'on soit figure publique ou anonyme, artiste ou artisan, chanteur ou cordonnier, journaliste et activiste, chrétien et musulman, serons toujours là à demander des comptes, à ne point lâcher ces histoires sans la certitude d'un dénouement heureux. Sans la certitude que ces pratiques ne se reproduiront plus jamais. Jusqu'au bout !
Je vous le promets, qu'il en sera ainsi. Et nous restons tous derrière vous.
Car... j'ai confiance en vous.

Bruno TABBAL
Citoyen libanais

Cher Monsieur,
J'ai confiance en vous.Depuis quelque temps que je suis, comme tout citoyen libanais, votre parcours à la tête d'un ministère qui est – le moins que l'on puisse dire – des plus délicats, je trouve que vous ne manquez ni d'initiative ni de bon sens.Je trouve même que votre activité à la fois ferme et conciliante reflète une conscience patriotique clairement soucieuse de...

commentaires (3)

LES LÉSIONS DONT EST ATTEINT LE PAYS SONT NOMBREUSES. PAREILLE REQUÊTE DEVRAIT ÊTRE FAITE À TOUS CEUX QUI OCCUPENT DES POSTES DE RESPONSABILITÉ... POUR LES DOMAINES QU'ILS GÈRENT... ET QUI DEVRAIENT S'Y CONFORMER... S'ILS SONT DES RESPONSABLES ! ET S'ILS N'ENTENDENT PAS DE L'OREILLE DROITE ET EXPULSENT DE L'OREILLE GAUCHE...

LA LIBRE EXPRESSION

10 h 59, le 26 juillet 2015

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • LES LÉSIONS DONT EST ATTEINT LE PAYS SONT NOMBREUSES. PAREILLE REQUÊTE DEVRAIT ÊTRE FAITE À TOUS CEUX QUI OCCUPENT DES POSTES DE RESPONSABILITÉ... POUR LES DOMAINES QU'ILS GÈRENT... ET QUI DEVRAIENT S'Y CONFORMER... S'ILS SONT DES RESPONSABLES ! ET S'ILS N'ENTENDENT PAS DE L'OREILLE DROITE ET EXPULSENT DE L'OREILLE GAUCHE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 59, le 26 juillet 2015

  • ok excellent article .. mais a appliquer a tout le monde a toutes les crises encore en suspend et sur tout le territoire libanais... nous sommes avec vous jusqu'au bout comme vous dites !!

    Bery tus

    06 h 24, le 26 juillet 2015

  • Bravo pour cet article et pour votre courage. Vous avez mis le doigt sur la plaie. J'espere qu'un jour cette plaie guerira!

    Georges Airut

    13 h 09, le 25 juillet 2015

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