Festival d'Annecy, jour 1 : d'un choc à l'autre

De la poétique “Jeune fille sans mains” à la magnifique “Tortue rouge” en passant par la psychédélique “Belladonna”, les merveilles animées s'amoncellent dès le premier jour du festival. Petit tour au bord du lac.

Par Cécile Mury

Publié le 14 juin 2016 à 12h30

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h47

Premier jour au bord du lac. Premières cohues polyglottes, joyeuses et bigarrées – journalistes et professionnels accrédités, étudiants passionnés, amateurs éclairés – devant les salles où, partout, le cinéma se ranime, pour cette édition 2016 du festival d'Annecy. Premiers envols d'avions en papier, la facétieuse tradition maison avant chaque projection. Premiers dessins animés, premiers éblouissements… Et premiers longs métrages. En compétition pour le précieux Cristal, remis à un unique gagnant en fin de semaine (décerné l'an dernier à Avril et le monde truqué, de Frank Ekinci et Christian Desmares), La Jeune fille sans mains marque ainsi en beauté les débuts du réalisateur Sébastien Laudenbach. Le film, après un passage à Cannes en sélection à l'Acid, était au programme ce lundi : étonnante adaptation, poétique et épurée, d'un fameux (et cruel) conte de Grimm, où la danse du pinceau, traits de couleur mouvants sur fond blanc, nous invite au cœur du processus de création… Mais, à peine a-t-on fini de s'émerveiller, qu'est survenu un autre choc.

Rapatrié lui aussi au paradis de l'animation après un détour cannois (dans la section un certain regard), c'est un authentique chef-d'oeuvre qui a illuminé ce premier soir, en ouverture officielle du festival : La Tortue rouge, ample légende sans paroles, au fusain et à l'aquarelle, nous isole en plein océan, aux côtés d'un naufragé échoué sur une île déserte. Ode à la nature d'une beauté inouïe, histoire d'amour limpide et profonde entre cet humain perdu et une étrange créature magique, ce film unique l'est aussi dans sa génèse : c'est l'aboutissement d'une collaboration inédite entre des producteurs français (Wild Bunch, le studio Prima Linea), des géants de l'animation japonaise (le mythique studio Ghibli d'Isao Takhata et Hayao Miyazaki, dont c'est la première coproduction à l'étranger), et un artiste hors normes, le hollandais Michaël Dudok De Witt.

Ce sexagénaire doux et perfectionniste, qui vit à Londres et parle français presque sans accent, signe lui aussi son tout premier long métrage, coécrit avec la réalisatrice Pascale Ferran, venue d'un autre monde, le cinéma en prises de vue réelles. Elle lui a apporté son expérience et son regard singulier (« Elle sentait la beauté du film, elle repérait très vite les problèmes. Si elle n'avait pas été là, le projet n'aurait pas survécu », frémit-il encore). Michaël Dudok de Witt est pourtant fort loin d'être un débutant. Sur les bord du lac d'Annecy, parmi ses pairs, il est déjà considéré comme un maître depuis longtemps. S'il a consacré une bonne partie de sa carrière à la publicité (pour des voitures, de la vinaigrette ou des bonbons…), il est aussi l'auteur d'une poignée de courts métrages aussi rares (cinq en trente-huit ans!) qu'inoubliables.

On ne se lasse pas, en particulier, d'une séance de pêche à la fois cocasse et méditative, dans Le Moine et le poisson, ou du tendre, merveilleux jeu d'ombres de Père et fille (oscar du meilleur court métrage d'animation en 2001), qui, comme La Tortue rouge, finit sur une plage… C'est ce petit bijou qui, il y a une dizaine d'années, a incité les japonais de Ghibli à solliciter Michaël Dudok de Witt : « Je suis amoureux fou de leurs films depuis toujours, je ressens une profonde affinité avec eux, avec leur amour de la nature, leur désir de la représenter. Ils m'ont apporté une aide précieuse. Je me suis senti soutenu, à l'abri de toute pression, comme au sein d'un groupe d'amis ». Et, de fait, leur influence, cette magie animiste qui enchante la nature dans leurs propres films, de Princesse Mononoke à Pompoko, est partout dans La Tortue rouge. Elle souffle dans la forêt de bambous, miroite dans le jeu des vagues ou dans la course malicieuse des crabes…

Autre Japon, autres temps : ce premier jour de festival nous a aussi réservé, en séance événement, une étrange surprise, un trésor baroque tout juste sorti des ténèbres de l'oubli. Totalement inédit en France jusqu'à aujourd'hui, et privé d'écrans depuis plus de quarante ans, Belladonna est une inclassable expérience psychédélique et érotique, directement décongelée des folles années post-68. Impossible de décrire précisément la trajectoire de cet ovni réalisé en 1973 par Eiichi Yamamoto (qui fut, entre autres, l'un des créateurs de la série animée Le Roi Leo, d'après la BD d'Osamu Tezuka). Ça tient du happening musical « d'époque » (orgue électrique et pédales oua-oua plein les oreilles, au gré d'omniprésentes ballades en japonais), et du conte fantastico-tragique : oyez les malheurs sans fin de la somptueuse Jeanne – dont l'affriolante et gracile nudité rappelle la Barbarella de Forest –, pucelle violée le jour de ses noces par le seigneur de son village (qui, lui, tout en os et en orbites creuses, aurait pu être dessiné par Moebius), puis sorcière rebelle et mélancolique vendue au Diable.

Le résultat est une folie visuelle, sorte de melting pot sous LSD, entre images fixes et animées, entre aquarelle, gouache, collage et peinture, entre volutes Art nouveau – avec l'abondante et quasi végétale chevelure de l'héroïne comme motif récurrent – et esthétique pop à la Yellow Submarine. Parabole sur la sexualité, le carcan de la religion et les misères de la condition féminine, Belladonna se vit comme un voyage dans le temps, une rêverie de l'autre côté du miroir. On en sort sonné, mais ébloui par tant de liberté. Bonne nouvelle : le film, fraîchement restauré, accomplira sa magie bien au delà des frontières du festival d'Annecy, puisqu'il sort dans les salles françaises ce mercredi 15 juin.

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