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Le Code civil français n'accepte pas les taux d'intérêt négatifs

Loin de se limiter aux relations entre les établissements bancaires et leur banque centrale, la pratique des taux négatifs s'est d'ores et déjà diffusée à l'ensemble de la planète finance. 99808903/Sergey Nivens - Fotolia

ANALYSE - De tous les professionnels, banquiers, financiers, et même informaticiens, les juristes sont les plus embarrassés par les taux négatifs, car le Code civil français spécifie qu'une somme empruntée doit être remboursée intégralement. Une source de conflits en perspective.

Après les banques centrales de Suisse, du Danemark et de la BCE, la Banque du Japon (BOJ) a franchi le pas, décidant vendredi 29 janvier de faire payer les banques commerciales qui déposent leurs excès de liquidités aux guichets de la BOJ. Soit un «taux négatif de 0,1%», alors qu'en Suisse il est exigé de payer 0,75% sur les dépôts à la Banque nationale suisse, ce taux négatif sur les dépôts étant de 0,3% à la BCE.

Loin de se limiter aux relations entre les établissements bancaires et leur banque centrale, la pratique des taux négatifs s'est d'ores et déjà diffusée à l'ensemble de la planète finance. Selon la Banque des règlements internationaux de Bâle (BRI), les obligations émises à un taux négatif dans le monde s'élèvent aujourd'hui à 5500 milliards de dollars (soit les PIB de la France et de l'Allemagne réunis). Et certains de ces titres obligataires ont été souscrits sur des durées pouvant aller jusqu'à 8 ans.

Tout le monde semble s'habituer assez bien à cette anomalie

Que le prêteur paie son empruteur va bien sûr à l'encontre du sens commun. On avait appris que le taux d'intérêt est le prix du temps. Les économistes, comme John Maynard Keynes, avaient théorisé cela en disant que «le taux d'intérêt est la rémunération légitime que reçoit le détenteur d'un capital pour renoncer à disposer de son argent pendant un certain temps». Les taux d'intérêt négatifs reviennent donc à instituer «un temps négatif», autrement dit à faire un voyage dans le passé.

Pourtant force est de constater que tout le monde semble s'habituer assez bien à cette anomalie. «Sur le plan opérationnel les agents économiques se sont adaptés à ce contexte absolument inédit avec une plasticité qui force l'admiration», note Michel Léger, président de l'institut Messine, le think tank qui émane de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC). «Le fait que le monde soit “à l'envers” ne l'empêche pas de tourner» conclue Michel Léger en préfaçant le cahier spécial que publie l'institut Messine et consacré intégralement aux «taux d'intérêt négatifs, douze regards».

« Le fait que le monde soit “à l'envers” ne l'empêche pas de tourner »

Michel Meyer

Si les économistes, les gouverneurs de banques centrales, les directeurs financiers d'entreprises et de banques, réunis par l'institut Messine expliquent , analysent et justifient ce nouveau monde, les juristes paraissent les plus abasourdis. En France le Code civil, qui régit les contrats, n'envisage absolument pas une telle possibilité et s'y oppose même carrément: «L'obligation fondamentale d'un prêt dans le Code civil est la restitution intégrale de la somme prêtée le jour venu. Elle doit se faire en quantité équivalente et dans la devise prévue, c'est le principe du nominalisme monétaire: pour 100 euros prêtés aujourd'hui, l'emprunteur devra rembourser 100 euros, assortis du paiement d'un intérêt», rappelle Jean-Jacques Daigre, professeur émérite de droit bancaire et financier à l'École de droit de la Sorbonne.

Certes les prêts à taux zéro sont autorisés et prévus par la loi, dans les relations de familles ou amicales, par exemple. En revanche les taux d'intérêt négatifs sont inconcevables: «Si l'on considère qu'en période de taux négatifs le prêteur doit payer des intérêts à l'emprunteur alors, au résultat, l'emprunteur remboursera un montant inférieur au montant prêté, ce qui remet en cause la nature juridique même du contrat de prêt puisque le remboursement du principal en totalité est une obligation de l'emprunteur», ajoute Jean-Jacques Daigre.

Possibles implications fiscales

Plus que d'un vide juridique, il s'agit bel et bien d'une situation contraire aux principes de notre Code civil. Certes les juristes ne sont pas totalement démunis d'imagination, et ils ont d'ores et déjà trouvé des moyens de biaiser: «on peut imaginer que, à côté du prêt, qui ne permet pas que le principal ne soit remboursé, il y avait une autre convention liée, offrant un fondement juridique à la somme éventuellement versée par le prêteur à l'emprunteur», suggère M. Daigre. Une solution possible parmi quelques autres encore plus tordues, comme les aiment les professionnels du droit.

L'absence de texte risque néanmoins de poser des problèmes pratiques de recours, lorsque par exemple dans le cas d'un contrat à taux variable on passe en territoire négatif, avec en outre de possibles implications fiscales. Il ne semble pourtant pas selon les juristes que les banques soient très pressées que le législateur s'empare des taux négatifs.

L'une des raisons est que le problème se pose surtout dans le droit français, ou dans les pays d'Europe continentale, et beaucoup moins dans les pays de droit anglo-saxon. «Ces systèmes admettent en effet bien plus qu'en France la liberté contractuelle des parties, et peu de dispositions d'ordre public ou de textes législatifs viennent interférer dans le fonctionnement des contrats. C'est la volonté des parties qui prime», observe Jean-Jacques Daigre, qui est par ailleurs consultant en droit financier dans un cabinet d'avocat.

Le Code civil français n'accepte pas les taux d'intérêt négatifs

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83 commentaires
  • koulkov

    le

    En résumé :
    - Des banques qui ne respectent plus LEURS contrats
    - Des médias complices qui présentent les emprunteurs lésés comme des "frondeurs" (voir liens ci-dessous)
    - Des organismes sensés controler l'activite bancaire qui se moque du probleme des taux negatif (notamment l'ACPR : Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, contactée par plusieurs emprunteurs et qui ne bouge pas d'un pouce)
    - Un législateur qui ne légifère pas (À la demande des banques ? On peut se poser la question...)
    - Les emprunteurs qui se regroupent (forum, facebook) mis sous silence, aucun droit de parole http://www.lalsace.fr/actualite/2015/04/17/des-frontaliers-ne-veulent-plus-payer-d-interets-sur-leur-credit
    http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/04/15/ces-francais-qui-ne-veulent-plus-payer-d-interets-sur-leur-credit_4616203_3234.html
    https://www.facebook.com/arnaqueaulibor
    http://forum.frontaliers.io/t/libor-negatif-quel-impact-sur-nos-taux-variables/107

  • koulkov

    le

    Il y a des exceptions au principe de nominalisme monétaire. Sinon, les emprunts à taux variables seraient purement et simplement illégaux.
    http://www.cours-de-droit.net/regime-general-des-obligations/l-objet-du-paiement,a3725382.html

  • Cohérence

    le

    En matière fiscale il y a des moyens pour éviter la difficulté. Par ailleurs le taux négatif n'est que sur quelques prêts sans risque

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