D'après son étiquette, ce sandwich contient 480 calories, 9 g de gras et 350 mg de sodium. Est-ce vrai? Pour le savoir, La Presse a fait analyser ce pita au thon - et quatre autres aliments - en laboratoire. Résultat: on mange souvent plus de calories, de gras, de sel et de sucre que ce que les tableaux de valeur nutritive prétendent. En réalité, ce sandwich compte 582 calories, 21 g de gras et 585 mg de sodium. De grosses différences, difficiles à avaler.

Pour savoir si le tableau de la valeur nutritive des aliments dit vrai, La Presse a fait analyser cinq aliments par les Laboratoires S.M. inc, accrédités par le Conseil canadien des normes. Les quantités de calories, lipides, protéines, glucides et sodium ont été calculées, puis comparées aux étiquettes. Voici les faits saillants de notre enquête.

Pita roulé à la salade de thon de Cuisine Karo, acheté chez Couche-Tard:

21% plus de calories, soit 103 calories de plus que prévu par sandwich de 250 g

136% plus de lipides (gras)

67% plus de sodium (sel)

Couscous cinq légumes de Plaisirs gastronomiques, acheté chez IGA:

38% plus de calories, soit 48 calories de plus que prévu pour 100 g

13% moins de lipides

4% plus de glucides

Muffin aux carottes de fgf brands, acheté chez IGA:

11% plus de calories, soit 39 calories de plus que prévu par muffin de 100 g

12% plus de protéines

10% plus de glucides

Cappuccino vanille française, acheté chez Tim Hortons:

0,5% moins de calories, soit 1 calorie de moins que prévu pour 286 ml

7% plus de protéines

7% plus de sodium

Bagel cannelle et raisins de POM, acheté chez IGA

9,5% plus de calories, soit 24 calories de plus que prévu par bagel de 75 g

31% plus de lipides

31% plus de protéines

>>> Consultez le résultat complet de nos analyses

«C'est très troublant»

«Ça me surprend qu'il y ait des écarts si grands.» Quand elle a su que La Presse faisait tester en laboratoire les valeurs nutritives de cinq aliments, Chantale Arseneau, professeure en technique de diététique au Collège de Maisonneuve, s'attendait à ce qu'il y ait des différences avec les étiquettes des produits. Mais pas de cette ampleur.

«Les aliments sont vivants, alors il y a des variations normales, note Mme Arseneau. Une sauce tomate faite en janvier n'aura pas la même teneur en vitamines que celle faite avec une belle tomate mûre, à la fin de l'été. Mais la quantité de lipides ou de protéines, ça ne devrait pas changer.»

Mauvaise surprise: afficher sur les étiquettes une différence de plus ou moins 20% par rapport à la réalité est parfaitement légal. Pour les calories, lipides, gras saturé, gras trans, cholestérol, sucres, polyalcools et sodium, «une marge de tolérance de 20% s'applique à la valeur nutritive déclarée», confirme le document «Test de conformité de l'étiquetage nutritionnel de l'Agence canadienne d'inspection des aliments» (ACIA).

«C'est évident qu'on ne peut pas arriver précisément, tout le temps, sur la bonne valeur nutritive, fait valoir Christine Jean, vice-présidente responsable des services techniques et réglementaires au Conseil de la transformation agroalimentaire et des produits de consommation (CTAC). Sinon, il faudrait faire des analyses à chacune des productions, puis changer les étiquettes. C'est absolument insensé. Il faut se fier à des moyennes.»

Impossible de compter correctement les calories

Sauf que cet écart de plus ou moins 20% peut faire la différence entre maigrir, stabiliser son poids ou engraisser. Consommer quotidiennement 100 calories de plus que ce que l'on dépense fait prendre de 5 à 15 kg par an, selon un article publié dans le Journal of the American Medical Association (JAMA).

«Compter les calories est peu utile et quelque peu trompeur», tranche Jean-Claude Moubarac, chercheur en nutrition publique affilié à l'Université de São Paulo, au Brésil. Trompeur, pourquoi? «Si on compte les calories, c'est pour contrôler les entrées et les dépenses énergétiques, pour atteindre un équilibre, résume-t-il. Pour y arriver, il faut qu'on ait une information très exacte. Or on sait que les informations nutritionnelles ne sont pas exactes, pour plusieurs raisons, dont le fait que Santé Canada et l'ACIA tolèrent une marge de 20%.»

Deux méthodes de calcul 

Comment est fait le calcul des valeurs nutritives des aliments? «Il y a deux façons de le faire, répond Carole Fournier, nutritionniste et présidente d'Étiquetage ACC, une firme d'experts-conseils en étiquetage alimentaire. Soit qu'on envoie le produit en laboratoire, où ils déterminent sa composition nutritionnelle avec différentes méthodes chimiques. Soit qu'on fait le calcul en entrant la recette dans un logiciel, qui se sert d'une base de données.»

Peut-on se fier aux résultats, malgré ceux obtenus par La Presse? «Je vous dirais que parfois oui, parfois non, tout dépend de la personne qui les fait, ces tableaux de valeur nutritive, estime Mme Arseneau. Les petites entreprises du Québec sont aux prises avec toutes sortes de réglementations, qui leur coûtent cher. Elles n'ont pas toujours les sous pour faire faire les tableaux à l'externe, et pas nécessairement quelqu'un de compétent pour les faire à l'interne.» Pour donner une idée de la complexité de la tâche, le «Guide d'étiquetage et de publicité sur les aliments» de l'ACIA compte... 469 pages.

«L'étiquetage nutritionnel devrait toujours être fait à l'externe, par des professionnels, ce qui améliorerait sa crédibilité, suggère Véronique Provencher, professeure au Département des sciences des aliments et de nutrition de l'Université Laval. C'est sûr qu'il y a un biais potentiel quand ça vient de la personne qui met le produit en marché.»

Se fier à ses signaux de satiété 

Que faire, comme consommateur qui ne sait plus où donner de la fourchette? «Actuellement, plusieurs nutritionnistes valorisent une approche basée sur l'écoute des signaux de faim et de satiété, en tenant compte des préférences alimentaires, indique Mme Provencher. Ça vaut mieux que de se tuer à essayer d'arriver à une balance calorique négative, qui fait qu'on peut tomber dans une spirale obsessive.»

Qu'est-ce qu'un calorie?

Étrangement - puisqu'il n'est pas question ici de se préparer un thé -, une calorie en chimie, c'est la quantité d'énergie nécessaire pour élever d'un degré Celsius la température d'un gramme d'eau. En nutrition, c'est plus compliqué: une calorie équivaut à une kilocalorie en chimie, soit à 1000 calories.

Mais comment calcule-t-on la valeur énergétique des aliments? Incroyable, mais vrai: à l'heure des téléphones intelligents qui estiment le contenu calorique de nos assiettes, on utilise les facteurs d'Atwater, mis au point par le scientifique du même nom à la fin du... XIXe siècle.

• Protéines ou glucides = 4 calories/g

• Alcool = 7 calories/g

• Lipides = 9 calories/g

Ainsi, une tasse de macaroni au fromage contenant 18 g de protéines, 23 g de lipides et 42 g de glucides a une valeur énergétique de 447 calories (18 x 4 = 72 + 23 x 9 = 207 + 42 x 4 = 168), selon un exemple donné par l'ACIA. Les facteurs d'Atwater sont contestés, parce qu'ils ne prennent pas en compte la variabilité dans la digestion, celle apportée par la cuisson, etc.

Les explications des fabricants

Nous avons présenté nos résultats aux fabricants. Voici leurs réactions.

PITA ROULÉ À LA SALADE DE THON

Cuisine Karo, une entreprise de Terrebonne qui compte 150 employés, n'a pas pu expliquer les résultats du laboratoire, qui a trouvé 138% plus de lipides, 67% plus de sodium et 21% plus de calories dans son sandwich au thon.

«Ce ne sont pas les valeurs obtenues avec notre logiciel, qui traite les valeurs nutritives des produits en utilisant la base de données que nous avons créée, a indiqué Seyni Kamara, responsable de veiller au respect de la législation et des règlements chez Cuisine Karo. Ce logiciel est Micro-Gesta, utilisé couramment dans le milieu alimentaire.»

Cuisine Karo achète des produits «déjà prêts à manger» et ne fait donc «qu'une transformation sommaire de ceux-ci avant leur mise en marché», a expliqué M. Kamara. Ce sandwich roulé est fait manuellement, si bien que «les masses peuvent, par moments, différer légèrement».

«J'ai pris contact avec nos fournisseurs pour obtenir leurs données les plus récentes afin de comparer à nouveau, pour essayer de voir à quel niveau se situe le problème, a précisé M. Kamara. Nous sommes conscients de l'importance de ce tableau pour nos consommateurs, car c'est leur seule référence.»

COUSCOUS CINQ LÉGUMES

«Nous sommes une entreprise sérieuse et rigoureuse régie par l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA), et nous suivons donc des procédures strictes pour la fabrication et la commercialisation de tout produit, a réagi Virginie Wérotte, coordonnatrice du marketing de Plaisirs gastronomiques, qui fabrique ce couscous. Afin d'établir les valeurs nutritives de nos produits, nous utilisons des méthodes approuvées. Nous envoyons des échantillons de chacun de nos produits en analyse nutritive à des firmes externes, soit à des laboratoires spécialisés ou encore à des firmes de service-conseil en nutrition. Ces dernières établissent les valeurs nutritives que nous indiquons sur nos emballages.»

Comment expliquer que le laboratoire ait trouvé 38% plus de calories, 4% plus de glucides et 13% moins de lipides? «Nous sommes étonnés des écarts de vos analyses, a indiqué Mme Wérotte. Nous ferons un suivi responsable auprès de la firme qui nous a transmis les valeurs pour la salade de couscous aux cinq légumes et apporterons des changements, si nécessaire.»

MUFFIN AUX CAROTTES

Fgf brands, l'entreprise torontoise qui fabrique ces muffins, n'a pas donné suite aux courriels et appel de La Presse.

CAPPUCCINO VANILLE FRANÇAISE

«Les renseignements nutritionnels affichés sur le site internet de Tim Hortons sont basés sur des analyses en laboratoire, a indiqué Michelle Robichaud, directrice des relations publiques de Tim Hortons. Toutefois, il y a plusieurs facteurs qui peuvent influencer les valeurs nutritives et entraîner des variations entre les résultats de différents laboratoires. La directive de Santé Canada relative à l'échantillonnage et l'analyse des éléments nutritifs pour les fabricants nécessite plusieurs échantillons de plusieurs productions. Un certain nombre de facteurs peuvent contribuer aux différences dans les valeurs nutritives, notamment l'eau utilisée dans les différentes municipalités, le calibrage des machines dans les restaurants, l'approvisionnement auprès de divers fournisseurs et vendeurs, etc. De plus, Santé Canada tolère un écart pouvant aller jusqu'à 20% dans les données d'analyse en raison des nombreuses variables qui peuvent influencer les valeurs nutritives. Les résultats d'analyse que vous mentionnez respectent amplement cette tolérance et ne sont pas à des niveaux qui signaleraient un problème.»

BAGEL CANNELLE ET RAISINS

Pour élaborer le tableau de la valeur nutritive des bagels POM, «nous utilisons le logiciel Genesis R & D, qui comprend les renseignements nutritionnels de nos fournisseurs d'ingrédients, a indiqué en anglais Sylvia Sicuso, directrice des communications de Canada Bread, qui produit notamment la marque POM. Ce logiciel est largement utilisé par l'industrie alimentaire en Amérique du Nord».

L'ACIA autorise l'utilisation de logiciels, a précisé Mme Sicuso. «L'Agence permet aussi une variabilité de 20 % dans les résultats, parce qu'ils peuvent varier en raison de nombreux facteurs, y compris la méthodologie utilisée en laboratoire», a-t-elle ajouté.

Comment expliquer que l'analyse en laboratoire ait révélé 31% plus de gras, 30% plus de protéines et 9,4% plus de calories que prévu? Mme Sicuso a estimé que l'échantillon envoyé par La Presse au laboratoire - 500 g de bagels, soit un peu plus d'un sac - est insuffisant pour avoir des résultats fiables.

«Un sac n'est pas une bonne taille d'échantillon, a-t-elle fait valoir. Pour plus de précision, le laboratoire aurait dû recevoir 12 sacs, puis mélanger ensemble le produit de quatre sacs différents avant de tester le tout, puis refaire deux autres fois la même chose.»

N'importe qui peut faire l'étiquetage, déplore une spécialiste

Diplômée en nutrition, Isabelle Claveau est consultante en étiquetage pour des PME. Elle a accepté de répondre aux questions de La Presse sur les tableaux de la valeur nutritive des aliments.

Vous avez fondé votre entreprise A+ Étiquetage il y a 12 ans. C'était pour répondre à un besoin?

Oui. Il y a encore un grand besoin! Mon expérience, c'est que la majorité des fabricants essaient de faire eux-mêmes l'étiquetage, parce que les marges de profit en alimentation ne sont pas énormes. Toutefois, s'ils n'ont pas de connaissances en nutrition ou s'ils ne connaissent pas la réglementation, ils font comme ils peuvent, mais souvent, ce n'est pas bien fait.

Avez-vous déjà été témoin d'erreurs?

J'ai vu quelqu'un qui avait écrit 28 g de sucres au lieu de 2,8 g. Il avait juste oublié la virgule, mais ça fait toute une différence. Il ne s'en était pas rendu compte. C'est une inspectrice de l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) qui lui a dit de refaire ses devoirs.

J'ai aussi eu un client qui avait pris la valeur nutritive d'un compétiteur, tout simplement. Il avait un produit semblable, mais ce n'était pas la même chose. Un inspecteur s'est rendu compte que la valeur nutritive affichée n'était pas la bonne.

Les inspecteurs vérifient donc les tableaux de la valeur nutritive?

Oui, mais pas systématiquement. Il y a eu tellement de coupes à l'ACIA, ces dernières années... De toute façon, il y a tant d'entreprises qu'il ne peut pas y avoir assez d'inspecteurs pour aller dans chacune d'elles.

Comment vous assurez-vous que votre étiquetage est précis?

Je contacte les fournisseurs de mes clients et je leur demande leur fiche technique. Mais la nutrition n'est pas une science exacte. Les aliments sont vivants, leur valeur nutritive change. La teneur en vitamine C du jus d'orange n'est pas la même s'il est fraîchement pressé ou si ça fait un mois qu'il est dans le réfrigérateur. Si on fait évaluer un produit en laboratoire à un moment de l'année et qu'on y retourne quelques mois plus tard, la valeur nutritive sera différente.

Comment pourrait-on avoir un meilleur étiquetage?

Ce serait bien que les consultants soient accrédités ou qu'une formation soit offerte. À l'heure actuelle, n'importe qui peut être consultant en étiquetage. J'ai déjà vu une entreprise où c'était la secrétaire qui faisait les étiquettes. Qu'est-ce que ça donnait comme résultat? Elle faisait de son mieux, mais...

Vous fiez-vous aux tableaux de valeur nutritive quand vous faites vos courses?

Je n'ai pas le choix! On n'a pas moyen de vérifier qui a fait les calculs. Alors je regarde les valeurs nutritives, en sachant que c'est un outil qui n'est pas parfait. Ça donne une indication. Les entreprises font du mieux qu'elles peuvent, les gens ne sont pas de mauvaise foi.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Isabelle Claveau, de A+ Étiquetage.