Plusieurs plateformes de prêt participatif aux PME (crowdlending) affrontent des défauts de paiements. Une situation logique pour Philippe Arraou, président du Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables, pour qui « d’autres défauts auront lieu ». Il recommande donc sang-froid et analyse pour ne pas se tromper.

Les plateformes de crowdlending affrontent leurs premiers défauts. C’est la fin du rêve ?

Philippe Arraou : « Nous étions dans une période d’euphorie autour de cette nouvelle forme de financement. On n’avait pas vraiment expérimenté de défauts de remboursement jusqu’à présent. Ce qui est normal, puisqu’il y a un délai minimum avant l’apparition de difficultés pour les entreprises. D’autres défauts auront lieu, c’est inévitable. Mais cela ne signifie pas que les temps sont plus durs et que tous les projets vont capoter ! Le risque fait partie du jeu de ce nouveau business. On mise, on joue… et on peut perdre. »

Ce qui surprend, c’est que certains projets se sont écroulés dès les premiers mois. Les dossiers étaient mal bouclés ?

P.A. : « Sans doute. Quand cela arrive aussi tôt, c’est que le projet avait des carences importantes. On parle de petites entreprises, de start-ups. Cela peut se révéler très vite. Une entreprise sans chiffre d’affaires ne va pas tenir longtemps. »

Pourtant, les plateformes éliminent 99% des dossiers présentés. Les internautes effectuent un second tri en ne finançant pas tous les projets. Ces tris successifs ne suffisent donc pas ?

P.A. : « L’analyse des plateformes est un garde-fou nécessaire. Elles se montrent assez sévères dans leur grille d’analyse, et écartent tout ce qui semble trop risqué. Elles sont obligées d’apporter cette sécurité. Un défaut n’est bon ni pour la plateforme, ni pour la confiance des investisseurs. Le tri par la communauté est une approche nouvelle. On parle d’intelligence collective. Mais sur quels critères repose-t-il ? Il y a une part subjective… Un investisseur, par définition, doit rester assez distant et froid par rapport au projet en lui-même. Mais un dossier peut être présenté de façon séduisante. »

Rien ne peut empêcher les défauts ?

P.A. : « Non, on peut simplement les réduire. C’est la même chose avec les banques. On le sait, elles sont extrêmement rigides face aux dossiers de demande de financement. Pourtant, elles ont aussi des défauts de paiement. »

Plusieurs incidents concernent des boutiques de détail. C’est une population sensible ?

P.A. : « Je le pense, et les experts-comptables font remonter cette information. Le commerce de distribution est très exposé. Le commerce en ligne prend de plus en plus d’importance. Il faut avoir des produits à distribuer vraiment originaux, éviter la concurrence de l’économie nouvelle. Ces défauts ne sont donc pas étonnants. »

L’Ordre des experts-comptables a un partenariat avec Lendopolis pour la validation financière des projets. Pourtant, Lendopolis a connu un premier défaut. Votre garantie n’est pas à toute épreuve ?

P.A : « Evidemment ! L’intervention de l’expert-comptable consiste à s’assurer de la cohérence des chiffres présentés, avant d’émettre une attestation sur la viabilité des hypothèses, les méthodes de calcul et les principes comptables utilisés. On questionne le porteur du projet pour savoir quels critères il a retenus. Et on le ramène souvent à la raison, car il a tendance à rêver un peu, à embellir le projet. Mais tellement de facteurs peuvent jouer : on ne sait pas quel sera le comportement de l’entrepreneur, sa relation avec les clients. Nous avons passé cet accord avec Lendopolis, comme avec d’autres plateformes, pour apporter plus de sécurité. Mais notre engagement n’est pas un blanc-seing sur la fiabilité d’un projet. »

En envoyant vers le crowdlending des dossiers refusés par les banques, et donc a priori moins solides, ne contribuez-vous pas à des financements condamnés d’avance ?

P.A. : « Ce ne serait pas digne de l’expert-comptable et de sa déontologie d’avoir ce genre d’approche. Face aux refus des banques ou des systèmes traditionnels de financement, nous sommes amenés à rechercher des solutions alternatives, forcément. L’expert-comptable peut conseiller, dans certains cas, le crowdlending. Mais les entrepreneurs ont déjà ce réflexe. C’est d’ailleurs la difficulté d’avoir recours au financement classique qui a participé au succès et au développement de ces plateformes. »

Tout le monde ne sait pas lire un bilan et un prévisionnel. N’est-ce pas un placement trop complexe pour le grand public ?

P.A. : « Le risque est en effet de se laisser emporter par des critères subjectifs, parce que le projet est sympa, parce qu’il correspond à nos valeurs… Si vous demandez conseil à un professionnel du financement, il vous conseillera de mettre de côté cette approche sentimentale ou affective qui viendrait influer sur vos choix, et de ne retenir que des critères uniquement professionnels, rationnels. »

La perte en capital peut être brutale, sans alertes ni explications. C’est une situation difficile pour un néophyte…

P.A. : « C’est pour ça que je pense qu’il est nécessaire de développer une communauté autour de l’entreprise, au-delà du prêt. Les investisseurs deviennent ambassadeurs du projet. Le crowdlending engage le dirigeant vis-à-vis de ses financeurs dans une relation, une communication différente. Cela oblige à donner une information permanente, faire participer les financeurs au projet. »

Au final faut-il se méfier du crowdlending ?

P.A. : « Non, il faut simplement être prudent. Le législateur l’a anticipé : il y a un plafond maximum d’engagement. Cela oblige à répartir son investissement. Des taux de 8, 9, 10%, c’est alléchant. Mais il faut être conscient que des taux pareils, dans le contexte actuel, supposent une grande notion de risque. Il faut peut-être l’affirmer encore plus fort. Les plateformes n’ont peut-être pas trop intérêt à le dire, mais il faut faire attention. Si on diversifie un portefeuille pour répartir son investissement, on sera gagnant sur certains projets, et perdant sur d’autres. Tous les projets ne sont pas destinés à échouer. Mais dans le lot, il y en aura. »