Poussée par le désir de s’extraire du quotidien et lassée du minimalisme qui envahissait Londres [où elle était installée], la graphiste salvadorienne Frida Larios s’est lancée dans l’élaboration d’un “nouveau langage maya”. Elle a conçu un système visuel et conceptuel inspiré du système d’écriture précolombien. Pour cela, elle a redessiné les symboles ancestraux pour les adapter à la vie moderne, en remplaçant certains éléments du signifié par d’autres, identifiables par nos contemporains.

Le langage maya par Frida Larios

Pour mettre en œuvre son projet [qui visait à l’origine à composer une nouvelle signalétique pour des sites archéologiques précolombiens], elle s’est entourée d’anthropologues et de chercheurs. Un lieu l’a beaucoup inspirée : l’Hacienda San Lucas, dans la ville Santa Rosa de Copán [dans l’ouest du Honduras], située sur les ruines de la grande cité précolombienne de Copán. “Sur place, dit-elle, flotte encore la présence sensible de Yax Kuk Mo, premier roi de Copán [Ve siècle].”


Ce travail a abouti à un premier livre, intitulé Nuevo lenguaje maya [Nouveau langage maya, inédit en français]. Frida Larios y retrace l’histoire du site archéologique de Joya de Cerén, situé au Salvador. L’ouvrage passe également en revue toute une série d’articles textiles, de bijoux, de jouets éducatifs et de logos de marque que la designer a créés en s’inspirant des pictogrammes mayas. Les dix années qu’elle a passées hors du Salvador ne l’empêchent pas d’avoir une opinion bien arrêtée sur la façon dont le pays gère son héritage culturel.

Comment est-ce possible, en résidant à Londres, de se prendre d’intérêt pour la civilisation maya ?
C’est vrai, la culture précolombienne est la dernière chose à laquelle on pense quand on est à Londres. Mais la capitale britannique offre un environnement si avant-gardiste, si prompt à casser les codes, ancré dans une tradition artistique si particulière… En 2004, quand j’ai pris la décision de me consacrer aux glyphes mayas, j’en avais assez du minimalisme ambiant. D’où ma décision de travailler sur ces formes naturelles, organiques, riches de symbolisme – tout ce qui me fascine dans l’art précolombien.

Plus de 2 000 pictogrammes (ou glyphes) ont été déchiffrés depuis 1950, et votre livre nous en propose environ 25 nouveaux.
C’est ma passion. J’avais déjà cette préoccupation quand j’ai fondé mon agence de design graphique, il y a dix ans, ici au Salvador. J’avais un style inspiré du folklore, qui a par la suite fait école. Il est arrivé un moment où j’ai décidé d’arrêter le design pour me consacrer entièrement à mon “nouveau langage maya”. Je sens que je pourrais aller plus loin encore, dans une certaine mesure, être plus moderne. Mais, en même temps, la composante pédagogique du projet me contraint à une certaine clarté et concision.

Quels sont vos projets pour la suite ?
Dans mon livre, je présente déjà quelques applications de hiéroglyphes mayas à des images de marques. Je travaille aussi à un second volume, qui sera consacré aux dieux du monde souterrain. Mais, franchement, il y a des millions de sources d’inspiration possibles. Pour le volume en chantier, je n’ai pu étudier que les vases, je ne suis donc pas partie de glyphes classiques. Par exemple, les chauves-souris y sont représentées de diverses façons, mais avec des traits récurrents, comme les taches du jaguar.

Vous dites n’être experte ni en glyphes ni en anthropologie. Sur quoi vous êtes-vous fondée pour vous imprégner du côté mystique de ce langage symbolique ?
J’ai rencontré plusieurs chercheurs du British Museum qui travaillent sur le sujet. J’ai également suivi un cours avec Timothy Laughton, professeur à l’université de l’Essex, en Angleterre, qui m’a conseillée pour mon projet.
Par ailleurs, vivre à Copán m’a été très utile, parce que c’est le lieu de travail de nombreux chercheurs et anthropologues. Pouvoir parler avec eux a été très enrichissant, pour moi qui viens du monde des arts et du design.

Pourquoi vous êtes-vousd’abord intéressée au site Joya de Cerén ?
Tout d’abord, parce que le site se trouve au Salvador et que des gens ordinaires vivaient là. Il ne s’agissait pas de grands temples où avaient lieu les rituels officiels. Ce site donne à voir des aspects de la vie quotidienne, auxquels M. et Mme Tout-le-Monde peuvent plus facilement s’identifier. Cette trame narrative aide à la compréhension du site.

Comment avez-vous procédé pour élaborer votre “nouveau langage maya”?
J’ai commencé par établir un classement des pictogrammes. Je les ai redessinés et vectorisés, mais sans leur donner de couleurs. Cela m’a servi de point d’entrée dans la pensée maya, pour instaurer un processus d’empathie avec l’artiste. Ensuite, les impératifs de la communication se sont imposés, car il s’agissait de dessiner des logos. Il était impensable pour moi d’utiliser à ce moment une signalétique universelle. Les idées me sont venues naturellement, de la volonté de faire revivre l’Histoire à travers la signalétique locale. Par exemple, dans leur langage, le glyphe d’un volcan en éruption n’existait pas, mais il y avait des sous-glyphes pour le composer. Je m’en suis servie pour créer de nouvelles combinaisons, de nouvelles compositions, et leur donner un sens plus fort.

Que voulez-vous dire par “empathie avec l’artiste” ?
C’est ce que j’appelle l’œil du créateur, qui voit plus loin qu’un individu lambda. Dans ce cas précis, il s’agissait de percevoir les intentions des artistes mayas, mais à la lumière de recherches épigraphiques réalisées en amont. Il y a des signes qui ressemblent à une chose, mais en désignent une autre : par exemple, ce pictogramme qui montre un enfant à la tête fendue, aux airs de petit homme, désigne en fait la naissance du maïs… Tout est comme ça chez les Mayas : tout est dans la mythologie, dans la métaphore, dans la sémantique. Et c’est pour cela qu’avoir vécu à Copán m’a aidée. C’est comme si les Mayas habitaient toujours le lieu. On a le sentiment que Yax Kuk Mo, le premier roi de Copán, continue de régner en maître. Des lecteurs ont pleuré en découvrant mon livre : pour eux, c’est comme s’il ouvrait une fenêtre sur quelque chose qui leur était resté hermétique jusque-là.

A quoi attribuez-vous le peu d’empressement de l’Etat salvadorien à diffuser l’histoire culturelle du pays ?
Il n’existe aucune volonté en ce sens. Prenons l’exemple du système d’écriture des Mayas. Ils ont fonctionné pendant cinq cents ans avec un mode de communication commun à toute la Méso-Amérique. Aujourd’hui, pour défendre ce patrimoine, il faudrait que tous les ministères de la Culture concernés par cette région décident de coordonner leurs efforts.