James Noël se présente. « Poète vivant, né en 1978. » Reconnu sur son île et aujourd’hui bien au-delà, ce « lecteur qui écrit » s’est imposé sur la scène littéraire haïtienne avec une quinzaine de livres et de recueils, dont le dernier, La migration des murs, publié chez Galaade, « invite à l’escalade ». On lui doit, au Points Seuil, une Anthologie de la poésie haïtienne contemporaine qui rassemble quatre générations.

Avec sa compagne, la plasticienne Pascale Monnin, James Noël s’est lancé dans l’aventure d’une revue littéraire et artistique luxueuse dont le premier numéro fut bouclé, en 2012, à la Villa Médicis, à Rome, où il était pensionnaire. « IntranQu’îllités est conçue comme une revue de grande magnitude à partir de la faille même du séisme de 2010, pour contrarier les certitudes et idées reçues, et donner libre cours à tous les vents et les tremblements de l’esprit », rappelle-t-il dans l’éditorial du millésime 2016, Manifeste pour un nouveau monde. Jean Rouaud y voit le désir de figer un moment de la pensée, comme une œuvre d’art, face aux flux d’infos qui submergent le présent.

IntranQu’îllités, revue aux 200 contributeurs

James Noël réactive une tradition locale qui avait fini par s’éteindre. « La Ruche, Conjonction, Chemin critique, et les revues éditées par la diaspora, Lakansyèl, à New York, Nouvelle Optique, à Montréal, avaient fini par s’éteindre, rappelle Evelyne Trouillot, poétesse et dramaturge. Elles fédéraient les intellectuels dont elles rassemblaient les idées pour en garder une trace écrite et tangible. »

Deux cents contributeurs du monde entier peuplent les pages magnifiques de cette « revue de haute tension créatrice qui pratique l’union libre des genres, affirme James Noël. Nous travaillons avec des poètes, des romanciers, des photographes, des philosophes, des musiciens, des peintres, des réalisateurs, pour constituer une poétique, façon boîte noire, pour capter les vibrations et les imaginaires du monde, par le prisme de la beauté. » Pierre Soulages a offert la couverture du numéro 3. Des inédits de Borges ont surgi du large pour se poser sur le rivage d’IntranQu’îllités.

Diffusée en France par Zulma, chaque parution annuelle se prolonge par un spectacle, Fuites transversales, qui met en scène différentes facettes du numéro. Vendredi 16 décembre, la Maison de la poésie, à Paris (1), accueillera une nouvelle fois James Noël et ses amis (Arthur H, Nancy Huston, Julien Delmaire). Adossé au destin tragique de son île, prenant appui sur le courage de son peuple, James Noël revendique le geste poétique d’ouvrir les bras au monde, au lieu de tendre la main pour quémander. Par reconnaissance aux différentes résidences d’écrivains où il a été convié, il en avait fondé une à Port-Salut, baptisée du nom de sa maison d’édition, « Passagers des vents ». L’ouragan Matthew l’a balayée en octobre dernier.

Trois/Cent/Soixante, conceptuelle et politique

En Haïti, la poésie irrigue la vie. Tous les dimanches soir à 20 heures, James Noël présente à la télévision nationale, IntranQu’îllement vôtre, où la littérature se taille la part du lion. À la même heure, sur la radio publique, Auguste Bonel, considéré comme l’un des premiers écrivains philosophes de la littérature créole, anime, lui aussi, une émission sur l’actualité poétique.

D’autres revues ont vu le jour. Legs et Littérature, Démembré sous la férule de Lyonel Trouillot, Trois/Cent/Soixante, dont le premier numéro qui rassemble soixante contributions, vient de sortir. Mehdi E. Chalmers, son jeune fondateur, affiche la bannière de la « Colère », l’un des ressorts de cet « Haïti de l’intérieur, de l’autre bord et sur le fil ». Plus conceptuelle, plus politique, plus austère dans son propos comme dans son apparence, elle a le mérite de vouloir combler le fossé qui sépare les nouvelles générations de la connaissance du passé d’Haïti. Trois/Cent/Soixante, où le créole a droit de cité, cherche à panser, par l’apport de la connaissance historiographique et des textes de révolte, cette blessure, toujours vive, d’une indépendance gagnée en 1804 par la révolte des esclaves contre les troupes napoléoniennes, combattue, puis occultée comme si elle n’avait jamais existé.

Cette « colère » sourde remonte à la surface dans bien des conversations sur cette île jamais apaisée.

(1) 157, rue Saint-Martin, 75 003 Paris. À 20 h. Tel : 01.44.54.53.00