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A Clichy, la prière de rue contre la République

A Clichy, la prière de rue contre la République

Par Céline Pina

Publié le

Pour la cofondatrice du mouvement Vivre la République, ce qui est à l'oeuvre dans cette banlieue parisienne est plus qu'une lutte pour pratiquer un culte, un véritable rapport de force.

Pourquoi, depuis huit mois, en plein cœur de Clichy, l'espace public est-il envahi par des centaines d'individus pour mettre en scène des prières de rue aussi ostensibles qu'agressives dans cette ville où il y a pourtant deux mosquées ? Pourquoi, alors que le coup de force est patent et l'illégalité, manifeste, l'Etat et le préfet ferment-ils les yeux sur ces provocations, alors qu'il y a matière à agir et possibilité de le faire ? Pourtant, il y a bien un objectif politique derrière cette mise en scène : fabriquer ce type d'image, c'est ancrer les représentations dans l'affect pour amplifier l'adhésion. Pour qui veut construire une société d'apartheid en investissant sur la radicalisation et en fondant sa politique de recrutement sur la haine et le ressentiment, rien de mieux que l'appel à défendre une religion et des fidèles, présentés comme humiliés dans leur foi par une société intolérante. C'est ainsi que la victimisation est souvent la première marche de la radicalisation.

Mais la victimisation n'est pas incompatible avec la démonstration de force. Elle l'appelle même. La rhétorique de l'humiliation fonctionne ici comme un appel à la domination, présenté comme une réparation au nom des offenses subies. La prière de rue devient alors un mode de conquête du territoire. Géraldine Smith, dans son livre, Rue Jean-Pierre-Timbaud, raconte le déploiement rituel des prières de rue dans son quartier alors même que la mosquée est à moitié vide. C'est que la visibilité de l'occupation de l'espace public permet le marquage du territoire. Voilà pourquoi ce qui se joue à Clichy n'est pas une lutte pour que les musulmans puissent pratiquer leur culte dans de bonnes conditions, ce qui serait tout à fait audible, mais un rapport de force où il convient de montrer que la puissance de la foi et le refus d'obéir à la loi font reculer toutes les autorités constituées. Il est d'autant plus incompréhensible de constater l'attentisme du préfet et le silence du ministre de l'Intérieur. A se demander à quoi servent les institutions si la virulence, la violence et le chantage suffisent pour contrôler des portions de territoire et faire un pied de nez aux autorités en investissant des lieux symboliques.

Fragiliser le contrat social

Voilà pourquoi l'affaire de Clichy n'est pas un phénomène annexe, elle illustre la tension entre logique tribale et Etat de droit qui est en en train de défaire notre société. Elle expose au grand jour l'impasse du clientélisme. Face à une communauté constituée où la différenciation d'avec le reste de la nation devient une injonction, le clientélisme accentue encore la clôture communautaire et la logique d'enfermement. Les leaders communautaristes, tirant leur pouvoir de l'asservissement de leurs coreligionnaires, ont tout intérêt à ce qu'ils ne trouvent pas leur place dans leur pays d'adoption et l'intégrisme sert bien ce but. Fermer les yeux sur ces réalités, ce n'est pas lutter contre les discriminations en évitant la stigmatisation, c'est refuser à certains, au nom de leurs origines, la possibilité d'accéder à l'émancipation, de choisir son propre chemin. C'est nier l'individualité, le caractère profondément original de chaque être qui vient au monde pour ne le considérer qu'en fonction de son sexe ou de son appartenance religieuse ou ethnique. C'est surtout fragiliser notre contrat social, car s'il existe un chemin pour faire passer ses dogmes religieux au-dessus de la norme républicaine, c'est celui de la force et de l'incivisme, en mode dit piétiste, et celui de l'attentat et de l'assassinat politique, en mode djihadiste. Il est donc urgent de rétablir l'ordre à Clichy. Car, là-bas comme ailleurs, le refus de la civilité est la première pierre de la remise en question de la République et de la démocratie.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne