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« L’ubérisation de la pharmacie est en marche ! »

Les officines ne pourront survivre que si elles passent d’une fonction de distribution à celle de prestataire d’un service de santé à forte valeur ajoutée, estime Xavier Pavie, professeur d’innovation dans les services à l’ESSEC

Publié le 30 novembre 2015 à 20h24, modifié le 01 décembre 2015 à 10h45 Temps de Lecture 4 min.

On s’aperçoit toujours de l’ubérisation d’un secteur quand il est trop tard pour les acteurs historiques et lorsqu’ils commencent déjà à disparaitre. L’économiste Joseph Schumpeter n’avait-il pas expliqué cela dès 1942 quand, dans Capitalisme, socialisme, démocratie, il expliquait que « le nouveau ne sort pas de l’ancien, mais apparaît à côté de l’ancien, lui fait concurrence jusqu’à le ruiner ». En France, une pharmacie ferme définitivement ses portes tous les deux jours, et cela n’est pas prêt de s’arrêter.

On reconnaît facilement qu’un secteur est « ubérisable » quand l’activité principale se situe ailleurs que sur la réelle valeur ajoutée. C’est d’ailleurs pourquoi l’activité principale d’un taxi, qui est la mobilité, a été facilement remplacée par Uber, mais aussi par Blablacar et autres transports de type Vélib’, Autolib’ ; l’activité principale proposée par un hôtel, qui est de dormir dans un lieu plutôt propre, confortable et sécurisé, a pu être facilement remplacée par Airbnb ; c’est bien entendu encore le cas pour la location de véhicule avec Ouicar, l’éducation avec les MOOC, les services à la personnes, etc.

En ce qui concerne le pharmacien, nous pourrions avoir plus de doute sur le caractère « ubérisable » du secteur. Les barrières semblent en effet solides : la réglementation, les compétences du pharmacien, le maillage géographique notamment. Néanmoins, quel est le réel métier du pharmacien ? Quel est son quotidien ? Non pas celui qu’il est capable de faire, mais celui qu’il réalise vraiment ? Il distribue. En très grande partie, le pharmacien n’est ni plus ni moins qu’un distributeur de boites. En cela, son activité est donc non seulement « ubérisable », mais beaucoup d’autres acteurs sont capables de faire mieux que lui, à commencer par Amazon. La distribution est une affaire de spécialiste de la logistique, ce que le pharmacien n’est pas. Amazon pense à toute distribution possible, de manière aussi large que précise et pertinente. Son modèle Flex en est une démonstration : en effet, il s’agit alors pour chacun d’entre nous de nous convertir en livreur de colis quand bon nous semble en contrepartie d’une rémunération par le géant américain.

Aujourd’hui, rien n’empêche techniquement qu’un médecin envoie une prescription médicale à un entrepôt sécurisé d’Amazon, et que soit livrée en une heure n’importe quelle boite de médicament chez le patient – le service Amazon Fresh, qui réussit cette prouesse avec un produit frais, n’aura aucun mal à le faire avec une boite de paracétamol !

Le vrai risque pour le pharmacien est que le livreur soit également docteur en pharmacie, qu’il jette un œil dans l’armoire à pharmacie pour éviter les interactions, qu’il envoie un sms aux proches pour les rassurer. Les économies réalisées sur le stock, sur l’officine (rappelons que le coût de la distribution des médicaments avoisine en France les 5 milliards d’euros par an) permettra d’offrir à ce jeune docteur un revenu très confortable tout en lui permettant d’exercer pleinement son métier...au domicile de ses patients.

Il n’y a qu’une voie pour éviter la disparition d’un des derniers commerces traditionnels : la réelle valeur ajoutée. Or celle-ci n’est rien d’autre que service. Certes, toutes les officines offrent aujourd’hui des services dits « gratuits ». De la livraison à domicile au suivi de la glycémie ou de l’asthme, du contrôle du poids et de la tension artérielle à la dépendance au tabac, etc. pas une pharmacie ne possède une vitrine recouverte de ces propositions. Pour autant, ces listes à la Prévert ne disent rien de la valeur ajoutée. Comment par exemple la dépendance au tabac est-elle traitée ? Est-ce un conseil donné entre deux patients pour vendre quelques patchs, ou est-ce qu’il y a un réel service proche du coaching en appelant le patient/client après le café du midi, en faisant un point quotidien pendant les premiers jours, en recommandant parfois des patchs, parfois des bonbons, parfois d’aller faire du sport pour penser à autre chose ?

Combattre la dépendance au tabac est une réelle valeur ajoutée que seul le pharmacien (crédible, expérimenté, proche) peut vraiment apporter. Et ce service dépasse bien entendu le prix d’une boite de patch : la facturation doit se faire au temps passé, aux résultats, aux nombres de rendez-vous effectués ; parfois il y aura un médicament, parfois non. Le pharmacien doit comprendre que le produit est au service de la prestation rendue, et l’objectif final le résultat. Cet exemple est largement multipliable, et cette valeur ajoutée là sera à l’évidence impossible à copier, ni par un supermarché ni par Amazon.

La pharmacie ne disparaitra pas, ne sera pas « ubérisée » si et seulement si elle mise sur sa valeur ajoutée. Les laboratoires pharmaceutiques, les répartiteurs, les groupements, tous lorgnent sur le pharmacien et ses clients, et cherchent tous à réinventer son métier à sa place. Or lui seul connaît son métier, lui seul est capable de fournir une valeur ajoutée « inubérisable ».

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