Billet

Sarkozix le Gaulois, Attila de l'Histoire

La dernière saillie de Nicolas Sarkozy est à la fois comique et accablante.
par Laurent Joffrin, Directeur de la publication de Libération
publié le 20 septembre 2016 à 14h19

La dernière saillie de Nicolas Sarkozy, qui exige désormais des «sang-mêlés» (comme lui) qu'ils se proclament descendants des Gaulois pour avoir droit à la qualité de citoyen français, est à la fois comique et accablante. Comique parce que tout historien un tant soit peu sérieux sait bien que les Gaulois ne sont pas «nos ancêtres» (1), mais seulement nos prédécesseurs lointains sur le territoire actuel de la France. De la civilisation gauloise, plus raffinée qu'on l'a longtemps cru, objet d'étude d'une école archéologique féconde depuis des décennies, nous n'avons pas conservé grand-chose, sinon quelques mots, moins nombreux que les mots arabes dans la langue française, et une série de toponymes au parfum désuet.

Ce sont les républicains qui ont voulu faire remonter l’origine de la France à l’antiquité gauloise pour faire pièce à la mythologie aristocratique qui voyait dans la noblesse française une héritière de la noblesse franque. L’idée consistait à donner au peuple des racines plus anciennes que celles des nobles dont on contestait la primauté. Mais cette idée ressortit de la politique bien plus que de l’histoire. A l’époque de Vercingétorix, la France n’existait pas. Les Gaulois étaient des Celtes, divisés en de nombreux peuples rivaux, qui occupaient un territoire bien plus grand que la France actuelle. Les prémisses de la nation française sont apparues au Moyen Age. La France s’est formée lentement à travers le combat opiniâtre de la dynastie capétienne et, surtout, en passant du royaume des sujets à la nation des citoyens, après la Révolution française.

Devenus gallo-romains, les Gaulois ont adopté la culture latine, avant d’être soumis à un immense brassage de population qui dure encore aujourd’hui. Il y a un creuset français et non une lignée. Si nos ancêtres sont gaulois, alors ils sont aussi romains, wisigoths, burgondes, francs, vikings, juifs, arabes et, plus récemment, espagnols, italiens, polonais, arméniens ou portugais. Nicolas Sarkozy fait souvent état de son origine hongroise, dont il est légitimement fier. Il sait fort bien que s’il remonte dans le temps, il constatera que l’actuelle Hongrie était jadis occupée par un peuple célèbre qu’on appelait les Huns. On ne suggère pas ici que Sarkozy a pour ancêtre Attila, sauf peut-être pour faire table rase du travail des historiens. Un Attila de l’Histoire…

La saillie est surtout accablante parce qu’elle veut imposer à tous les Français d’origine étrangère le modèle de l’assimilation, idée révolue qui entend annihiler chez les citoyens français toute espèce de personnalité particulière. Imposée naguère par un certain nationalisme, de droite et de gauche, l’assimilation est aujourd’hui un mirage, qui voudrait que les minorités se coupent totalement de leur culture d’origine. On ne l’exige ni des Portugais d’origine, ni des Arméniens, ni des Catalans, ni des Corses, ni des Bretons, ni des Chinois, ni des Alsaciens, ni de personne… sauf des Français de culture musulmane. Sous des dehors républicains, cette injonction, dès qu’on gratte un peu, apparaît pour ce qu’elle est : une discrimination dirigée contre une minorité particulière, qui tend à exclure de la communauté nationale des millions de personnes qui en sont partie intégrante et qui veulent le rester. Une discrimination totalement contraire à la véritable identité française, qui est celle du mélange.

(1) Voir le livre de François Reynaert, Nos Ancêtres les Gaulois et autres fadaises (Poche).

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