Vendredi 4 avril 2014, j'assiste, à l'invitation du Maire du 7ème arrondissement de Lyon et de l'association des fils et filles des déportés juifs de France, à la commémoration du 70ème anniversaire de la rafle des enfants d'Izieu sur le square des 44 enfants, situé à une encablure du centre d'histoire et de la résistance et de la déportation.
A cette commémoration, point d'officiels ni de grands discours, que des mots justes, prononcés par des écoliers, des collégiens et des lycéens d'établissements de l'arrondissement, représentatifs de la France d'aujourd'hui, multiculturelle, multi-religieuse et multiraciale.
Il faut avoir vu et entendu ces enfants, ces adolescents et ces jeunes adultes raconter avec sensibilité et émotion l'histoire des enfants d'Izieu, il faut avoir vu et entendu ces grands gaillards "black" évoquer l'arrivée des enfants à Auschwitz, la sélection, les chambres à gaz, la crémation, il faut avoir vu et entendu ces petits garçons et petites filles "issus-de-l'immigration-arabo-musulmane" égrener sans la moindre faute la liste des noms des 44 enfants, dont certains avaient leur âge.
Dans le climat délétère que nous connaissons aujourd'hui, cette cérémonie simple, ponctuée par le chant des partisans et la "Marseillaise" chantée à l'unisson, est signe d'espoir. Elle témoigne de l'utilité des actions conduites depuis des années par les militants de la Licra dans les établissements scolaires et rend hommage au travail réalisé par des enseignants dans des conditions parfois extrêmement difficiles. Elle nous encourage à ne pas désespérer de la France fraternelle à laquelle nous aspirons. Merci au Maire du 7ème arrondissement de Lyon pour celle belle initiative républicaine.
Dimanche 6 avril 2014, je suis comme chaque année à Izieu pour participer à la commémoration de la rafle. J'ai le plaisir d'y rencontrer une délégation de l'association Ibuka ("souviens-toi" en kinyarwanda) qui oeuvre pour la mémoire du génocide des Tutsi du Rwanda. Cette présence me fait chaud au coeur. Le 6 avril 1994, 50 ans jour pour jour après la rafle des enfants d'Izieu, commençait le génocide des Tutsi du Rwanda. En l'espace de trois mois, entre 800 000 et un million d'hommes, femmes, vieillards et enfants furent exterminés par le seul fait d'être nés Tutsi.
Quelle différence y a t'il entre un enfant juif exterminé en 1944 et un enfant tutsi exterminé en 1994? 50 ans, c'est tout. L'époque, le continent, les modes opératoires étaient différents, mais l'idéologie raciste et la folie meurtrière étaient les mêmes. En ce dimanche printanier, dans ce cadre majestueux où on a peine à imaginer que se soient produites de telles horreurs, je pense aux enfants tutsi pendant la minute de silence qui suit la lecture du nom des 44 enfants et de leurs 7 accompagnateurs. Merci à l'association Ibuka pour ce moment de fraternité dont je ne peux m'empêcher de penser qu'elle constitue la meilleure réponse aux délires antisémites du sinistre Dieudonné M'bala M'bala.
Lundi 7 avril 2014, je suis invité à participer au 20ème anniversaire du génocide des Tutsi sur le parvis de l'Hôtel de Ville de Paris. J'y retrouve le président et les membres de l'association Ibuka, mais aussi les présidents de l'UEJF, de SOS Racisme, du CRIF et les représentants de la Fondation pour la mémoire de la Shoah et du Mémorial de la Shoah. J'y rencontre aussi la présidente du collectif VAN qui lutte pour la reconnaissance du génocide arménien. Je suis en revanche déçu par le faible nombre de participants à cette commémoration et par l'absence de personnalités du monde politique, culturel et médiatique. Pourquoi nos concitoyens se sentent-ils si peu concernés par le génocide des Tutsi? S'agit-il d'un vieux fond de racisme post-colonial ou, triste bégaiement de l'histoire, du refus d'assumer notre part de responsabilité dans les atrocités commises au Rwanda en 1994? Faudra-t-il à nouveau attendre 50 ans pour que, comme l'a fait Jacques Chirac en 1995 s'agissant de la responsabilité de la France dans la déportation des juifs, la vérité soit inscrite dans le marbre de l'histoire et que justice soit rendue aux victimes tutsi et à leurs descendants?
Il s'agit là de l'honneur de la France, bien au-delà de son armée et de ses diplomates, pour qu'elle redevienne à la face des nations la patrie des droits de l'Homme et pas seulement la patrie des déclarations des droits de l'Homme.
La présence des associations et des institutions qui oeuvrent pour la mémoire des génocides des juifs et des Arméniens aux cotés des Tutsi lors de cette cérémonie à l'Hôtel de Ville de Paris, comme celle d'Ibuka à Izieu le 6 avril est en revanche réconfortante.
Les crimes contre l'humanité ne sont en effet pas des crimes qui visent telle ou telle communauté mais des crimes qui attentent à l'humanité tout entière. Toute appropriation communautaire conduit à la concurrence mémorielle et fait le jeu du négationnisme, ce cancer post mortem consubstantiel au crime contre l'humanité. Il est heureux que les associations l'aient compris.