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Gary Hamel : « La catégorie des "managers" va bientôt disparaître »

Ce conférencier international, qui enseigne à la London Business School, n’a de cesse de dénoncer les dérives de l’encadrement traditionnel. Auteur notamment de « La Conquête du futur » et de « La Fin du management », il est le fondateur du cabinet Strategos.

« Les managers se considèrent souvent comme pragmatiques, mais en fait, leurs actions sont gouvernées par une idéologie forte, celle du contrôle et des règles », affirme Gary Hamel.
« Les managers se considèrent souvent comme pragmatiques, mais en fait, leurs actions sont gouvernées par une idéologie forte, celle du contrôle et des règles », affirme Gary Hamel. (AFP)
Publié le 25 févr. 2017 à 10:01

Vous dites souvent, Gary Hamel, que la bureaucratie est le plus grand obstacle des entreprises pour grandir et pour ­innover. Qu’entendez-vous par là ?

La plupart des grandes entreprises ont des fondements bureaucratiques. Les individus sont divisés en équipes, séparées entre elles par des couches de management. Chacun a une fonction précise, des compétences et des responsabilités strictement définies. A petite dose, la bureaucratie peut être une bonne chose, car les entreprises ont besoin d’un certain niveau de contrôle et de continuité, mais quand elle conduit à entraver la capacité et l’envie des employés à se dépasser et à innover, les conséquences peuvent être désastreuses.

A mesure que les entreprises grandissent, un phénomène que j’appelle « bureau-sclérose » émerge. De nouvelles couches de management sont ajoutées, les cycles de décisions deviennent plus longs, les règles prolifèrent. Toute velléité d’innovation et toute prise d’initiatives sont étouffées. Si cela ne change pas, si nous ne nous attaquons pas à la bureaucratie, les entreprises n’arriveront plus à susciter l’enthousiasme de leurs membres. Déjà aujourd’hui, des études – dont un sondage Gallup – suggèrent que seuls 13 % des employés se disent motivés par ce qu’ils font, et engagés pleinement dans leur travail.

Que préconisez-vous alors pour endiguer ce phénomène ?

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De s’attaquer à deux caractéristiques de l’entreprise : son idéologie et son architecture. Demandez à quiconque, quelle que soit sa profession et/ou son pays d’origine, de vous dessiner un organigramme de son entreprise, et vous obtiendrez un dessin de pyramide. Cette pyramide, c’est l’exosquelette de la bureaucratie ! Les entreprises ne savent pas s’adapter aux changements, car les grandes décisions importantes sont le plus souvent prises en haut de la pyramide, par des personnes hostiles au changement. Je pense donc qu’il faut fondamentalement transformer l’architecture des entreprises pour donner plus de chances aux talents individuels de s’exprimer. Les managers se considèrent souvent comme pragmatiques, mais en fait, leurs actions sont gouvernées par une idéologie forte, celle du contrôle et des règles. Nous sommes arrivés à un moment clef dans l’histoire du management. Il ne nous faut plus simplement réinventer les pratiques, mais dépasser cette idéologie en développant de nouveaux paradigmes de management qui mettent l’accent sur le travail en réseau plutôt que sur le contrôle managérial et sur la hiérarchie.

A-t-on encore besoin des managers ?

Je me pose de plus en plus souvent la question. J’ai travaillé avec des entreprises innovantes qui réussissent, sans qu’il n’y ait de managers à proprement parler. Je pense notamment à Morning Star, la plus grande entreprise de transformation de tomates au monde, dans laquelle il n’y a pas de postes de managers fixes. En revanche, tous les employés ont des responsabilités managériales.

En France, je pense aussi à Michelin et à ses expérimentations avec de nouveaux modèles de management. Dans certaines usines que j’ai visitées, le groupe laisse vraiment la liberté aux employés de décider de leur propre organisation. A mesure que les entreprises se transformeront, il n’y aura bientôt plus une catégorie séparée d’employés appelés « managers ». Les tâches de management seront distribuées plus équitablement entre tous les employés.

Certains vantent les mérites de l’hola­cratie. Pensez-vous qu’il s’agisse d’une bonne alternative à nos modèles actuels ?

Il est dangereux de penser qu’il n’y a qu’une seule bonne méthode pour dépasser le système bureaucratique, car nous risquons de stopper net des expérimentations intéressantes qui pourraient avoir lieu. Il n’y a pas qu’un modèle unique qui puisse remplacer l’entreprise bureaucratique. Les entreprises qui ont essayé l’holacratie ont eu des résultats mitigés, et je crois que ceci est dû au fait que les changements sont impulsés par la hiérarchie et non pas par les employés pour les employés. Mon autre réserve, à propos de l’holacratie, c’est qu’il s’agit d’un modèle qui implique, d’un coup, beaucoup de changements déstabilisants pour l’entreprise. Pour se transformer en profondeur, les entreprises doivent plutôt y aller progressivement, en expérimentant avec tous les acteurs, pas à pas.

Comment les leaders des entreprises ­peuvent-ils se préparer à tous ces changements ?

Faire évoluer nos entreprises bureaucratiques et changer leur architecture et leur idéologie ne signifie pas qu’il n’y aura plus aucune hiérarchie. Simplement, les leaders de demain seront ceux qui seront reconnus par leurs pairs comme ayant une véritable valeur ajoutée pour l’entreprise. Ils devront travailler à conserver leur influence chaque jour, grâce à leurs contributions. Les leaders actuels doivent comprendre que leur autorité future ne sera plus liée à leur position hiérarchique, mais qu’elle sera plutôt l’exact corollaire de leur capacité à mobiliser et à faire consensus. Un grand défi à venir sera justement de former ces leaders à assumer ce rôle.

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