Alors que les Saoudiennes se battent toujours pour obtenir le droit de conduire, l'Arabie saoudite a été élue, le 21 avril dernier, nouveau membre de la Commission de la condition de la femme (CSW) au sein des Nations unies pour la période allant de 2018 jusqu'en 2022. Ce sont les membres du Conseil économique et social de l'ONU (Ecosoc) qui étaient appelés à voter à bulletin secret. Avec 47 votes en faveur de l'entrée du poids lourd pétrolier au sein de la commission sur 54, le résultat du scrutin a suscité une vague d'indignation, notamment sur les réseaux sociaux. Les Saoudiennes elles-mêmes ont vivement réagi, dénonçant la contradiction entre la politique discriminatoire menée par le royaume à l'égard des femmes et les principes prônés par l'ONU.
Et pour cause, l'Arabie saoudite est l'un des pays où les droits des femmes sont les plus restreints. Selon le Forum économique mondial, l'Arabie saoudite se situe à la 141e place sur 144 pays dans le classement des inégalités entre les sexes de 2016. Faire entrer le royaume au sein d'une commission dont le but est de « promouvoir les droits des femmes », « c'est comme désigner un pyromane chef des pompiers de la ville », s'est indigné Hillel Neuer, directeur exécutif de l'organisation UN Watch basée à Genève.
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« Pas de pouvoirs réels »
Le CSW, organe fonctionnel de l'ONU rattaché à l'Ecosoc, est décrit par ONU-Femmes comme étant « le principal organe intergouvernemental mondial dédié exclusivement à la promotion de l'égalité des sexes et de l'autonomisation des femmes ». Le groupe rassemble 45 États membres équitablement répartis géographiquement et élus par l'Ecosoc pour un mandat de quatre ans.
Basé sur des programmes pluriannuels, le travail de l'entité se traduit par la publication de recommandations présentées à l'Ecosoc, qui « prennent la forme de conclusions négociées et concertées sur un thème prioritaire » en rapport avec les droits de la femme. Les recommandations sont des outils juridiques qui n'ont pas de valeur obligatoire, c'est-à-dire que les États membres ne se doivent pas de suivre à la lettre les conclusions du CSW.
Si l'adhésion de l'Arabie saoudite peut surprendre, « le royaume aura seulement la possibilité de formuler des opinions sur différents sujets puisque le CSW n'est pas un organe de décision, souligne Olivier Corten, docteur en droit et directeur du Centre de droit international et de sociologie appliquée au droit international de l'Université libre de Bruxelles. L'enjeu est limité, l'Arabie saoudite pourra peut-être freiner certaines mesures, mais elle n'aura pas de pouvoirs réels ». Le CSW tient plutôt du forum de discussion et il n'existe pas de critères précis pour y entrer.
Pour le juriste, il est nécessaire d'assimiler le fonctionnement des Nations unies pour comprendre comment un pays tel que l'Arabie saoudite a pu adhérer au CSW. « L'ONU se base sur l'idée du multilatéralisme, ce qui suppose de prendre l'avis de chacun, insiste M. Corten. Ce n'est pas un hit-parade de ceux qui respectent le plus les droits de l'homme. » Intégrer cette branche de l'ONU ne signifie pas nécessairement recevoir un « brevet de respectabilité en droits de l'homme », précise le juriste. Il en va de même pour d'autres États membres de l'organisation. « La Russie et les États-Unis sont au Conseil de sécurité bien qu'ils violent la Charte internationale des Nations unies. »
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Tollé médiatique
Si la question de l'entrée de l'Arabie saoudite au CSW peut se justifier juridiquement, de nombreux sourcils se sont levés quant à la dimension morale et politique de cette adhésion. « On peut en effet se demander si l'Arabie est bien placée pour parler des droits de la femme », reconnaît Olivier Corten. Sur les 54 membres votants, douze d'entre eux sont européens. Logiquement, au moins cinq membres du Vieux Continent se seraient donc prononcés en faveur de l'adhésion de l'Arabie saoudite au CSW parmi les 47 votes « pour ». Suite au tollé médiatique, seule la Belgique a admis avoir voté en faveur du royaume, se confondant en excuses pour justifier cette action.
Le Premier ministre belge, Charles Michel, est monté au créneau, expliquant que la procédure d'élection avait été « provoquée par les États-Unis » et avait laissé trop peu de temps aux diplomates pour y répondre « en urgence ». « Si c'était à refaire, le gouvernement aurait plaidé pour qu'il n'y ait pas de soutien (à l'Arabie saoudite), il n'y a aucune ambiguïté là-dessus », a-t-il déclaré face à la Chambre des représentants. Mais le silence du côté du reste des pays européens est assourdissant. Paris, entre autres, n'a pas désiré communiquer son vote, mais « la France vote toujours en fonction de ses principes », a tout de même précisé le ministère des Affaires étrangères, ajoutant que « la nature de ce vote ne sera jamais dévoilée puisqu'il s'est déroulé à bulletins secrets ». De nombreux soupçons s'élèvent quant aux négociations dans les coulisses diplomatiques ayant permis l'accession du royaume wahhabite au CSW. Récemment, le site WikiLeaks, de Julian Assange, a annoncé qu'il offrait une récompense de 10 000 dollars à quiconque révélerait le vote de son pays d'origine, la Suède.
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commentaires (6)
quelle honte, quelle déshonneur pour l'ONU et surtout pour les pays qui ont voté pour les saudis c'est un vote secret nous ne pouvons pas savoir qui a voté pour
Talaat Dominique
19 h 06, le 12 mai 2017