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Nous sommes la jeunesse du 13 novembre

Ils ont entre 20 et 40 ans et après les attentats, ils ont écrit au « Monde » leur tristesse, leur colère ou leurs espérances.

Le Monde

Publié le 25 novembre 2015 à 22h40, modifié le 26 novembre 2015 à 16h05

Temps de Lecture 7 min.

Devant le Bataclan, le 17 novembre 2015.

Ils s’appellent Camille, Kamel, Paul, Charlotte, Jérémy, Jasmine… Ils ont entre 20 et 40 ans. Emus par les attentats du vendredi 13 novembre, ils ont écrit au Monde leur tristesse, leur colère ou leurs espoirs. Voici quelques-uns de leurs textes.

L’espoir, la meilleure arme

Par Camille Frouin

Je suis une grande fêtarde de 22 ans, indignée et pleine d’espoir. Je suis donc la plus grande arme qui existe en ce triste jour. Mon plus grand soulagement après Charlie avait été ce rassemblement silencieux durant lequel chacun marchait, pas toujours dans la même direction, contre le même crime. C’était curatif. Je ne sais pas si quoi que ce soit aujourd’hui peut être curatif. Peut-être une bière et Led Zeppelin.

Depuis longtemps je veux, comme la plupart de mes proches, connaître les conflits et pouvoir les analyser mais je les pense lointains. Si je sais qu’ils existent dans notre société, je les sens tellement éparses, tellement ciblés, qu’ils paraissent presque inoffensifs. Quelque chose a cédé. Tout ce que je redoutais est là. La guerre est là, même si dans le fond j’en avais conscience. Mais je ne voulais pas me l’avouer. A-t-elle un jour seulement disparu ? Nous avons une guerre à mener et elle est quotidienne. Son arme est la plus forte et la plus dangereuse aux yeux de nos ennemis. Cette arme est l’unité autour de nos trois valeurs : liberté, égalité, fraternité. Il est étonnant de voir la vitesse à laquelle notre devise s’est propagée comme un slogan sur les réseaux sociaux. Notre devise ne doit pas être une utopie. Tout comme chanter l’amour et la paix ne devrait jamais paraître puéril.

Il faut que nous reprenions possession de ces valeurs qui toujours ont émané d’en bas. Cela ne passe pas simplement par l’indignation face à un crime. La pitié et l’indignation peuvent être un moteur du changement mais sont certainement trop éphémères car inconstantes. Nous devons réapprendre le vivre-ensemble au-delà de nos bulles cloisonnées, de notre sécurité rapprochée.

Notre erreur a été de forcer des peuples à adopter un système, nos valeurs demeurant déjà en chacun. La « mission civilisatrice » qu’a menée l’Occident pendant plusieurs siècles n’était en rien justifiable. Il faut déconstruire cette vision exclusive et impérialiste autour de notre devise. Notre devise appartient à chacun.

Je vais m’empresser d’écouter du rock, Bowie ou les Stooges, je ne sais pas, en buvant quelques bières en terrasse pour mieux vivre le monde. Je suis la plus grande arme, car j’ai de l’espoir.

Camille Frouin a 22 ans et vit à Lyon. Elle suit des études de sciences politiques et d’histoire et travaille actuellement sur la valorisation des territoires ruraux.

Eux, ce n’est pas nous !

Collectif

Nous sommes unis, mais nous sommes surtout français. Nous avons un dieu, il s’appelle Allah. Nous ne savons pas encore tous les secrets de notre religion, mais nos parents nous ont transmis le respect d’autrui et l’amour de la vie. Certains d’entre nous se disent musulmans par tradition, d’autres sont plus respectueux de nos fêtes. Certaines sont voilées, d’autres ont les boucles brunes au vent. Nés aux quatre coins de la France, nous refusons qu’un groupe de fondamentalistes aux idoles armées blasphème notre identité, et la lacère d’un mot « djihad » que nous ne connaissons pas.

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Non, nous n’avons jamais visité la Syrie ou l’Irak. Non, le mot « califat » ne fait pas partie de notre dictionnaire, mais de l’histoire. Non, les salafistes, djihadistes et barbus n’ont rien de commun avec nous. Faire couler le sang de nos frères n’est pas un acte de bravoure au nom d’Allah, c’est l’affaire d’égarés, d’infidèles, de mécréants surnommés Daech, et qui jalousent la réussite de notre Marianne.

Les infidèles sont parmi nous, musulmans  ! La tentation du radicalisme existe dans l’islam, comme dans d’autres religions, et dérive d’une lecture littéraliste ou d’une mauvaise interprétation des livres saints.

Notre collectif de jeunes Français musulmans élève la voix pour reconstruire notre France. Les cadres religieux et éducatifs de la communauté musulmane de notre pays doivent réagir. La majorité des musulmans de France, qui rejette l’idéologie radicale et l’appel à la violence, est aussi assujettie à ce prosélytisme d’un groupe d’infidèles. Nous n’avons plus d’autre choix que de nous tourner vers les autorités religieuses, et d’employer au mieux notre liberté d’expression.

Afin d’identifier les remèdes de ce cancer qui nous ronge, la solution n’est pas de revenir aux sources de l’islam, mais bien de questionner les valeurs républicaines dans les cœurs des disciples de l’islam. Le temps n’est pas à la justification, mais à l’action et à la transformation. Méfions-nous aussi du cheval de Troie d’un islam tout aussi radical mais d’apparence républicaine.

Français, unissons-nous tous pour les empêcher de pourrir le fruit de la République. Oui, nous irons boire des verres de vin à Bastille et sur les quais du canal Saint-Martin. Oui, nous nous saoulerons au mauvais vin ou simplement au citron pressé. La résistance est en marche contre les infidèles à la République, voleurs de notre identité.

Jasmine Mansour, Reda El Maazi, Hamid Malek, Sabrina Medjeroub, Leila Zaoui, Zakaria Bekhti, Ajer Youssef, Kamel Mahfoud, Younes Khalifa, Rabia Schnaiif, Salima Elhajjaji, Samia Chalab, Yuna Ghani, Zahra Benaziza, Abdallah Boujaid, Soufiane Mahboub, Amine Benmalek, Aziz Benase, Ahmed Cherif, Dounia Hakim, Sahra Shoulik, Meriam Boubakar, Nabil Sifaoui et Mohamed Bouloud sont membres d’un collectif d’étudiants français musulmans créé après les attentats de Charlie Hebdo

Ma reconnaissance envers la France

Par Niagalé Bagayoko

On entend rarement les voix de ceux qui, d’origine étrangère, connaissent pourtant leur chance d’être nés français. Parfois par discrétion mais plus souvent encore parce que leur identité française est tout simplement une évidence n’appelant pas de démonstration particulière, ils ne se manifestent pas. Alors que notre pays est sauvagement attaqué non pas seulement par des forces étrangères mais aussi par des individus qui, de par leurs actes, entendent exprimer leur haine de la France tout en récusant leur citoyenneté française, la parole de ces nombreux Français, souvent anonymes, doit se faire entendre.

Il faut aujourd’hui que s’expriment des voix pour témoigner de notre reconnaissance envers la France et les Français, grâce auxquels plusieurs générations ont pu vivre en sécurité et accéder gratuitement à des soins, à une éducation de base ou à des logements décents. Quelles auraient été nos vies si nous avions grandi dans les pays que nos parents ont quittés car y sévissaient la mortalité infantile, la nécessité de travailler dès le plus jeune âge et l’indigence des conditions d’existence ?

En dépit de toutes ses imperfections, si volontiers mises en exergue, il faut saluer avec la dernière énergie le modèle français, qui peut s’enorgueillir d’avoir offert à des milliers de gens des conditions d’accueil que peu de pays peuvent se targuer d’avoir proposées. Nos parents n’ont pas seulement été admis en France à l’issue d’une procédure politico-administrative généreuse, ils ont aussi été intégrés par l’immense majorité de ces Français que l’on accuse si souvent et si injustement de racisme.

Il faut aussi oser clamer haut et fort l’émotion qui peut nous étreindre et nous faire vibrer face à la beauté du drapeau français flottant sous l’Arc de triomphe, du refrain de La Marseillaise entonné au détour d’un stade de province, de la vue des clochers ou des toits vernissés de Bourgogne, des coteaux vallonnés de l’Oise ou des restes majestueux de l’abbaye de Long-Pont, des chalets de bois des Alpes qui côtoient des lavoirs de pierre givrés, du théâtre de marionnettes de la maison de George Sand à Nohant, des bars à huîtres de la jetée de Trouville, du « ferry boîte » d’Escartefigue qui relie toujours les rives du port de Marseille, de la mélancolie des étangs de Giverny capturée par les Nymphéas, des écluses du canal Saint-Martin si proches de ces rues des 10e et 11e arrondissements dévastées par le sang et les larmes.

Il ne faut pas non plus oublier que c’est par les Français qu’a été rédigée la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dont les principes ont par la suite sous-tendu le combat ayant permis aux peuples soumis par la France ou par d’autres de s’émanciper. Dans ce climat de terreur, ceux qui aujourd’hui représentent la diversité de la France – cette diversité qui a aussi été visée sur les terrasses parisiennes – doivent désormais clamer aux yeux du monde et de leurs concitoyens ce qu’ils doivent à la France et apprendre à leurs enfants à rendre à leur pays tout ce que celui-ci a pu leur apporter.

Niagalé Bagayoko est née en 1974 d’une mère française et d’un père français d’origine malienne. Titulaire d’un doctorat en science politique obtenu à l’Institut d’études politiques de Paris, elle est chercheuse en relations internationales.

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