Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Jean-Louis Bianco : « Ceux qui dénaturent la laïcité sont ceux qui en font un outil antireligieux »

Le président de l’Observatoire de la laïcité réagit, dans un entretien au « Monde », aux propos du premier ministre, Manuel Valls, qui l’a accusé de « dénaturer la réalité de la laïcité ».

Propos recueillis par 

Publié le 19 janvier 2016 à 19h39, modifié le 20 janvier 2016 à 11h30

Temps de Lecture 5 min.

Le terme

Ce sont deux conceptions de la laïcité qui s’opposent. D’un côté, le premier ministre, Manuel Valls. De l’autre, Jean-Louis Bianco, le président de l’Observatoire de la laïcité. Et cette opposition est en train de virer à l’affrontement. Lundi 18 janvier, au cours d’une conférence-débat des Amis du Conseil représentatif des institutions juives de France, à Paris, M. Valls a déclaré que « l’Observatoire de la laïcité, qui est placé sous [sa] responsabilité […] ne peut pas être quelque chose qui dénature la réalité de cette laïcité ».

Le chef du gouvernement reproche notamment à M. Bianco d’avoir signé une tribune intitulée « Nous sommes unis », parue dans Libération le 15 novembre 2015, « pour condamner le terrorisme », après les attentats du 13 novembre à Paris et Saint-Denis. « On ne peut pas signer des appels, y compris pour condamner le terrorisme », aux côtés d’organisations qui participent à un « climat nauséabond », a fait valoir M. Valls. Cet appel avait été signé avec 80 personnalités de divers horizons, dont des militants réputés proches des Frères musulmans et du controversé Collectif contre l’islamophobie en France.

M. Valls est également revenu sur les propos tenus par le rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, Nicolas Cadène. Celui-ci avait réagi à une déclaration d’Elisabeth Badinter sur France Inter le 6 janvier, selon qui « il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe ». M. Cadène avait tweeté : « Quand un travail de pédagogie de 3 ans sur la #laïcité est détruit par une interview… »

« Un collaborateur d’un observatoire de la République ne peut pas s’en prendre à une philosophe comme Elisabeth Badinter – pas parce qu’elle est philosophe ni parce qu’elle s’appelle Elisabeth Badinter, mais à partir de ses propos : c’est une défense intransigeante, que je partage d’ailleurs, de la laïcité dans bien des domaines. Et ça, ça doit être rappelé à chacun », a martelé M. Valls.

Jean-Louis Bianco, le 8 avril 2013.

Dans un entretien au Monde, Jean-Louis Bianco estime que « ce genre d’attitude ne peut qu’alimenter le radicalisme et le discours victimaire ».

Manuel Valls a accusé l’Observatoire de la laïcité de « dénaturer » la laïcité. Comment recevez-vous cette critique ?

Jean-Louis Bianco : Je rappelle que l’Observatoire a adopté une note d’orientation sur ce qu’est la laïcité à l’unanimité. Nous, nous défendons la laïcité en en faisant la promotion sur le terrain où nous sommes deux à trois fois par semaine. Nous sommes sollicités partout pour dire ce qu’est la laïcité, son histoire, son droit, son application. Ce n’est pas un choix intuitif ou idéologique. Ceux qui dénaturent la laïcité, ce sont ceux qui en font un outil antireligieux, antimusulman, qui prétendent, ce qui est une monumentale erreur sur le principe même de laïcité, que l’espace public est totalement neutre, comme si nous n’avions plus le droit d’avoir des opinions. Nous, nous souhaitons être efficaces en apportant des solutions aux problèmes qui se posent sur le terrain.

Est-ce l’opposition de deux conceptions de la laïcité qui s’exprime dans cet incident ?

En partie. Il est vrai qu’une réaction laïciste intégriste se développe depuis quelques années en France. Je suis convaincu qu’elle est très minoritaire. Sur le terrain, quand j’explique ce qu’est la laïcité, il m’arrive d’être ovationné, y compris dans des quartiers difficiles. D’ailleurs, le débat avait été tranché en 1905. Aristide Briand, Ferdinand Buisson, Jean Jaurès et, finalement, Georges Clemenceau, avaient rappelé que la loi de séparation des Eglises et de l’Etat était d’abord une « loi de liberté ». Certains veulent remettre en cause ce principe de base car, pour eux, au fond, ce qui touche à l’islam serait par nature antirépublicain.

Ne vous arrive-t-il pas d’être confronté à des publics partisans d’une laïcité plus offensive ?

Très peu. La laïcité est une arme solide. Elle est profondément ancrée chez tous nos concitoyens, croyants ou non, musulmans ou pas. Il est vrai qu’il y a une crispation sur le foulard. Beaucoup sont choqués par le fait de voir plus de femmes portant un foulard. Il faut réfléchir sérieusement aux raisons de ce changement. Mais qu’on aime ou pas, la question est : est-ce que ça porte atteinte à la liberté des autres ? Y a-t-il des pressions ? Du prosélytisme ? Ce sont les comportements qui s’opposent au cadre républicain qu’il faut sanctionner, et non la simple apparence.

L’Observatoire s’est à chaque fois prononcé contre des modifications de la loi dans les universités, les crèches, etc. N’est-ce pas une des raisons de ces attaques ?

Nous pensons qu’avant de faire de nouvelles lois, il faut déjà appliquer celles existantes. Cela étant, s’il fallait modifier la loi, il faudrait que ce soit dans un large rassemblement républicain, ce qui n’est pas l’esprit du temps. Toutes les propositions de loi évoquées sont restrictives. Elles veulent multiplier les interdits. Pour nous, c’est extrêmement dangereux et contre-productif. C’est ce qui conduira à de graves divisions en France.

Le premier ministre a mis en cause l’appel « Nous sommes unis » publié après les attentats de novembre 2015, en vous faisant grief de vous trouver sur la liste avec des proches des frères musulmans. Que lui répondez-vous ?

Cet appel est une chance extraordinaire pour la République. C’est formidable qu’on ait pu le faire après les attentats de novembre. On n’aurait pas pu le faire après ceux de janvier. Parmi les signataires, on trouve une diversité que je n’attendais pas. Je trouve extrêmement dommage que le premier ministre ne regarde pas la réalité de ce texte. Quand il y a un appel de ce genre-là, on ne va pas trier les bons et les méchants à partir du moment où tout le monde est d’accord sur le contenu, à savoir l’unité dans la République. Nous y retrouvons le grand rabbin de France, des responsables syndicaux, notamment de la FSU et de la CFDT, le président du Conseil français du culte musulman, celui de la Ligue de l’enseignement, un ancien grand maître du Grand Orient, etc. Sinon, cela signifie qu’il faudrait se contenter d’un appel cosigné par trois laïcistes intégristes qui ne fera pas avancer le débat.

Vous dites qu’il y a une campagne contre vous. Pourquoi ?

Sur Twitter, elle s’appelle #BiancoDegage ! L’Observatoire, Nicolas Cadène et moi nous faisons attaquer à peu près toutes les semaines par Marianne et quelques autres. A propos du tweet de Nicolas Cadène sur son compte personnel, certains ont parlé d’une « attaque d’une rare violence contre Elisabeth Badinter ». Il n’a même pas cité son nom ! On a bien le droit de ne pas être d’accord avec elle !

L’approche de la présidentielle a-t-elle à voir avec l’attaque de Manuel Valls ?

Je ne sais pas, mais cela laisse le doute s’installer.

Qu’allez-vous faire ?

Continuer à travailler !

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.