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Sénégal : cachez ce corps de Déesse Major que je ne saurais voir !

La rappeuse sexy a été arrêtée après la plainte d’un Collectif pour la défense des valeurs morales. Pour notre chroniqueur, c’est un nouveau coup de canif contre la République.

Publié le 20 juin 2016 à 12h42, modifié le 02 septembre 2016 à 15h25 Temps de Lecture 3 min.

Capture d’écran du clip « Mu Nice » de la rappeuse sénégalaise Déesse Major.

Au Sénégal, la jeune rappeuse Ramatoulaye Diallo, alias Déesse Major, a été placée en garde à vue, vendredi 17 juin, pour « attentat à la pudeur » et « atteinte aux bonnes mœurs ». L’interpellation intervient après la plainte d’un obscur Collectif pour la défense des valeurs morales contre la publication par l’intéressée d’une vidéo sexy sur le réseau social Snapchat. Le collectif des bigots avait déjà fustigé l’accoutrement de la jeune femme en octobre 2014 –accusée de s’être présentée en slip à un concert – et n’a fait que réactiver sa plainte.

Cette affaire rappelle les mots de l’écrivain Kamel Daoud sur le rapport pathologique de l’islamisme au corps de la femme : « Le corps de la femme est le lieu où elle perd sa possession et son identité. Dans son corps, la femme erre en invitée, soumise à la loi qui la possède et la dépossède d’elle-même, gardienne des valeurs des autres que les autres ne veulent pas endosser [pour] leurs corps à eux. »

Si Déesse Major a été arrêtée, indexée et humiliée, c’est d’abord et surtout parce qu’elle est une femme. Son corps appartiendrait à une cohorte de mâles qui ne sauraient accepter qu’elle assume et exerce sa liberté dans un espace public encore fortement conservateur. Ces islamistes ont la télé chez eux, vont sur Internet, matent des vidéos de corps dénudés, mais refusent qu’une femme, leur compatriote, puisse être souveraine sur son mode de vie.

Cette bigoterie est le symptôme de sociétés malades et schizophrènes, partagées entre volonté de s’ouvrir à l’autre et l’exigence de préserver une « pureté » identitaire ou religieuse. Au-delà de la personne de la rappeuse incriminée, ces extrémistes musulmans veulent déshumaniser la femme en général. Et comme ils manquent de tout ce qui ressemble à du courage, ils expriment leurs pulsions machistes contre une jeune femme sans défense. Car, oui, qui défendra une jeune artiste, inconnue, venue de la province pour tenter sa chance dans le rap ?

En dépit du peu de talent musical et du peu de goût vestimentaire que je reconnais à la chanteuse, nous devons tous être Déesse Major. Il en va de l’intégrité des droits des femmes, qu’une société infestée d’hypocrites veut détruire.

Nouvelle victoire des censeurs

Néanmoins, l’affaire Déesse Major ne doit évidemment pas être vue comme une victoire isolée de ses censeurs. Elle s’inscrit dans une volonté de faire sauter petit à petit la digue qui préserve la République de la soumission à un quelconque culte religieux. Les épisodes se déroulent sous nos yeux. Retrait d’une caricature de Serigne Touba, figure tutélaire des mourides, en janvier ; interdiction du livre de Héla Ouardi sur la fin du prophète Mahomet fin mars ; arrestation d’une rappeuse en juin : le courant islamo-conservateur, ennemi jusque-là insidieux de la République, vient de faire une nouvelle victime, justifiant ainsi l’inquiétude croissante des forces progressistes.

En soi, que des individus aux idées rétrogrades, prétextant défendre une morale religieuse, pourfendent Déesse Major me choque peu. C’est l’empressement du gouvernement, garant de la laïcité, à exécuter le désir de ceux qui ne sont bénéficiaires d’aucun mandat public, qui fait peur.

En reculant, le 28 mars, devant la fatwa sur le livre de Mme Ouardi, Les Derniers Jours de Muhammad (Ed. Albin Michel), interdit dorénavant dans le pays, l’Etat sénégalais a donné aux extrémistes des gages pour persévérer. La question, dorénavant, est : « Qui sera le prochain sur leur funeste liste ? » Nous vivons ainsi ce que le philosophe et ancien ministre Vincent Peillon appelle un « moment d’abaissement national ». Cette période qu’inaugure la carence au sein des élites politiques et intellectuelles d’un pays de vrais républicains soucieux de la préservation des libertés individuelles.

Au Sénégal, ceux qui gouvernent, ainsi que l’écrasante majorité de la classe politique, à force de renoncements sur les principes, ne rassurent guère en ces temps d’offensive mondiale de l’extrémisme religieux.

Hamidou Anne est membre du cercle de réflexion L’Afrique des idées.

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