Bart de Wever. © JIMMY KETS/IMAGEDESK

Bart De Wever, le mot qui tue

Pierre Jassogne
Pierre Jassogne Journaliste Le Vif/L’Express

Quel est l’ADN du langage de Bart De Wever ? Des linguistes ont analysé pour Le Vif L’Express ses polémiques nées sur un plateau télé ces dernières années.

Des Berbères à la wallonisation, de l’islam aux spaghettis, Bart De Wever aime diviser. Il ne s’en est jamais caché. « Sur un plateau, son langage comme les thèmes qu’il aborde sont populaires. Cela n’a pas toujours été le cas. Il est devenu de plus en plus concret et sait très bien ce qui préoccupe ceux qu’on regroupent sous le terme  »le Flamand moyen ». De Wever se présente comme l’homme qui peut défendre leurs intérêts dans un monde en crise », relève Martina Temmerman, professeur d’analyse du discours à la VUB. Ceci dit, tient-elle à préciser, le président de la N-VA n’est pas populiste. « Il essaie de rester raisonnable, mettant en avant sa compétence, essayant de se présenter comme l’homme du bon sens. Ce qui renforce sa crédibilité, c’est qu’il ne présente pas ses positions comme des expressions personnelles, mais comme des raisonnements rationnels. Ça ne l’empêche pas de jouer sur les angoisses de certains Flamands, mais il le fait avec des arguments, des chiffres, comme lorsqu’il évoque la criminalité à Anvers ou la politique de l’asile en Europe… »

Une des caractéristiques de son discours en télévision, c’est qu’il parle et pense au nom du groupe. « Un moyen efficace pour lui d’être toujours certain d’avoir raison, d’être dans le bon camp, en prétendant que les situations à problème sont toujours la faute des autres, que ce soit les francophones, les socialistes, les syndicats, les chômeurs ou les étrangers. De la sorte, il cherche à apparaître comme un homme d’Etat qui aborde les sujets difficiles, en prenant des décisions musclées dans un pays qui s’évapore ou dans une Europe où l’arrière porte n’est pas fermée vis-à-vis des migrants », rappelle Martina Temmerman. « Ça crée un sentiment d’appartenance, un esprit de groupe plus fort, qui dépasse le cadre de ses seuls électeurs et touche une partie importante de l’opinion publique, vu la caisse de résonance qu’ont ses propos. »

« En ce qui concerne les migrants ou les francophones, renchérit Philippe Hiligsmans professeur de langue et linguistique néerlandaises à l’UCL on pourrait remplacer, mot pour mot, les critiques de Bart De Wever, à l’encontre de ces deux groupes sociaux. C’est le même combat, qui lui permet de considérer comme un problème toute mesure de protection à l’égard de toute minorité. »

Dans cet emballage rhétorique, De Wever emploie des métaphores, des formules toutes faites qu’il lance et répète à l’envi, en accumulant des arguments d’évidence. « Quand il évoquait le gouvernement Di Rupo, il parlait de « belastingregering » – le gouvernement des impôts – ou quand on l’interrogeait sur le gouvernement à venir, il disait que Kris Peeters pourrait incarner un « herstelregering », un gouvernement de réparation tant la situation avait été grave, à ses yeux, avec Elio Di Rupo, et qu’il fallait réparer le tort fait aux Flamands », analyse

Pour évoquer le PS ou la Wallonie, il n’a cessé d’utiliser des expressions comme « blijven aanmodderen », littéralement « être enlisés dans la boue ». C’est sur la VRT qu’il utilisa, d’ailleurs, au moment de la fermeture de Ford Genk la métaphore de « wallonisation », en voulant en finir avec « des dépenses publiques sans cesse plus importantes, des actions syndicales de plus en plus dures, une atmosphère négative vis-à-vis des entrepreneurs et un nombre toujours plus grand de personnes dépendant d’allocations de remplacement ». Selon Julien Perrez, « à travers ce terme, c’était surtout l’occasion de rappeler que voter pour la N-VA, c’était empêcher que le PS ne soit représenté en Flandre avec toute une série de conséquences, comme le fait que ce soit un gouvernement d’impôts qui ne fonctionne pas, qui est sous perfusion ».

Dans le même genre, il y a le « stilstand » pour évoquer la situation institutionnelle du pays, faisant du surplace, ou considérer la Belgique comme une belle-mère qui s’occupe de tout alors que la Flandre voudrait avancer. « Cette volonté d’avancement est très présente dans son discours, et pas seulement à la télé, poursuit Julien Perrez. De Wever veut continuer à avancer vers plus d’autonomie pour la Flandre. Pourtant, au niveau du confédéralisme, sa position n’est pas très claire : il en parle, il dit que les autres partis plaident pour la même chose mais il joue clairement sur l’imprécision de ce terme pour cacher le séparatisme de son parti. En néerlandais, on appelle ça le  »dubbeldenk ». Le double discours. »

Nos linguistes en sont convaincus : Bart De Wever n’a pas arrondi les angles depuis que la N-VA est au fédéral. Mais il n’a pas fallu attendre ça : « Rappelez-vous la polémique déclenchée après la présentation de sa politique de répression des drogues à Anvers où il en appelait sur la VRT au tout répressif. C’est comme s’il n’y avait pas de place pour la négociation », ajoute le spécialiste de l’ULg. « De Wever tenait un discours très musclé à l’égard des dealers et des consommateurs, mais comme pour d’autres sujets, à l’instar de la question du t-shirt homosexuel, c’est toujours présenté pour le bien commun ou pour une question de bon sens. »

« Tout ce qu’il dit est calculé, relève encore Julien Perrez. Il pense dire tout haut ce que beaucoup pense tout bas, mais en se distanciant du Vlaams Belang. Sous ce couvert pragmatique, il en appelle au sens des responsabilités et fait passer beaucoup de choses qui pourraient être qualifiées de borderline. C’est ainsi qu’il arrive à dire à la télé au sujet de la crise des migrants que c’est la boussole économique qui les oriente vers la Belgique. »

« Sans aucun doute, il est toujours prêt à choquer, rajoute Philippe Hiligsman. Il a des tendances populisantes… Pour marquer le coup, définir l’agenda politique. Mais c’est surtout une posture pour rassurer les électeurs de la N-VA, pour prouver qu’il est toujours à la tête d’un combat flamand, pour son indépendance, même s’il sait très bien que ces thèmes ont été mis entre parenthèses. »

Que ce soit lui ou la N-VA en général, on retrouve un emploi très standard du néerlandais alors que c’est la tussentaal qui domine en Flandre. Cette langue de compromis entre tous les dialectes est très répandue dans l’emploi quotidien d’une majorité de Flamands. Cela pourrait créer un fossé entre l’électeur N-VA moyen. Or, ce n’est pas le cas. « Ce n’est pas quelqu’un qui irait jusqu’à utiliser des formes patoisantes pour faire plaisir à son public« , ajoute Philippe Hiligsman. Preuve s’il en est que le président de la N-VA n’a pas fini de nous faire gloser, et ce, dans toutes les langues.

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