C'est quoi Live Nation, l'organisateur de concerts géants ?

LE PARISIEN MAGAZINE. En faisant tourner 3 300 artistes dans le monde, la multinationale règne en maître sur l’organisation des concerts. Retour sur un succès planétaire, avant la première édition parisienne du Lollapalooza, un festival signé « Live Nation ».

    Les concerts géants se succèdent en ce début d'été. Coldplay joue au Stade de France ces 15, 16 et 18 juillet. Il y a quinze jours, Depeche Mode les y précédaient. Le 25, ce sera au tour des Irlandais de U2. Et le week-end suivant, l'hippodrome de Longchamp (Paris 16e) accueillera la première édition française du festival Lollapalooza, avec les Red Hot Chili Peppers et The Weeknd. Ces messes rock sont l'oeuvre de Live Nation, le plus grand organisateur de spectacles au monde. Une multinationale cotée en Bourse, avec ses 25 500 concerts par an (un toutes les vingt minutes), ses 71 millions de spectateurs, ses 3 300 artistes sous contrat, ses 40 bureaux dans le monde, ses 6 600 salariés et son chiffre d'affaires de 7,5 milliards d'euros en 2016. L'équivalent de ceux d'Universal Music et Sony Music, les deux plus grosses maisons de disques au monde, réunis ! Quant à ses profits (résultat net), ils s'élèvent à près de 18 millions d'euros, après plusieurs années de pertes dues à des investissements colossaux. Bref, la firme basée à Los Angeles, en Californie, règne sur le marché de la musique live. Mais comment en est-elle arrivée là ?

    Le public s'est tourné vers le live

    Rembobinons. Nous sommes en 2000. Clear Channel, multinationale américaine spécialisée dans l'audiovisuel et la publicité, rachète SFX Entertainment, le plus grand organisateur de concerts aux Etats- Unis. Elle s'offre ainsi des dizaines de salles et des exclusivités sur les tournées. En 2005, la société se scinde en trois : Clear Channel Outdoor pour la publicité, Clear Channel Communications, pour les médias, et Live Nation, pour les spectacles. A la tête de cette dernière, Michael Rapino. Toujours en poste, ce spécialiste du marketing né au Canada s'est classé cette année troisième de la liste des 100 figures les plus puissantes du monde de la musique, selon le magazine Billboard, la référence du show-biz. Pour étendre son empire, Michael Rapino a bénéficié d'un contexte favorable. Au milieu des années 2000, les maisons de disques sont victimes d'une crise sans précédent. Le téléchargement, légal et illégal, sur Internet et les plateformes de streaming (Spotify créé en 2006 et Deezer, en 2007) entraînent l'effondrement des ventes de disques physiques. « Le numérique ne rapportait alors pas grand-chose. Tout le métier se demandait comment gagner de l'argent », se souvient Matthias Leullier, directeur général adjoint de Live Nation France. « Le téléchargement, c'est bien. Mais on perd un peu de magie sans le disque en main. Le public s'est tourné vers le "live" pour retrouver quelque chose de concret, d'incarné », analyse Pascal Nègre, ancien patron d'Universal Music France aujourd'hui à la tête de #NP, société de management d'artistes qu'il a créée fin 2016 en s'associant à Live Nation. Les spectacles sont devenus un bon filon. Entre 2000 et 2013, leur chiffre d'affaires a progressé de 25 % rien qu'en France. Petit à petit, la scène est devenue la principale source de revenus des artistes – elle représente aujourd'hui de 50 % à 80 % de leurs recettes.

    De l'audace et des moyens

    « Nous produisons 22 artistes français, dont 75 % sont des jeunes pousses » : Angelo Gopee, à la tête de Live Nation France, ici dans les locaux à Paris 2e. (M. Benguigui)

    Les maisons de disques aussi ont senti le vent tourner et se sont jetées dans la course au rachat de salles. Ainsi, en 2001, Vivendi Universal (rebaptisé depuis Vivendi, toujours propriétaire d'Universal Music) a repris l'Olympia, mythique adresse parisienne. Même de grands industriels français s'y sont mis. Fimalac, par exemple, le groupe du milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière, s'est rué sur une vingtaine de Zénith. Mais Live Nation a de l'avance. Beaucoup d'avance. Le groupe possède aujourd'hui 255 salles et 75 festivals. Il est donc capable d'orchestrer plusieurs dizaines de dates en un claquement de doigts. Un argument qui a convaincu le chanteur Christophe Willem, un des premiers Français à avoir collaboré avec eux. Il justifie son choix : « Ils ont de l'audace, c'est pour ça que je leur ai confié mes tournées. C'est grâce à eux que j'ai pu jouer dans des lieux insolites comme au mont SaintMichel ou au pic du Midi. » Autre atout : son réseau international. Les groupes français La Femme ou IAM, dont les concerts sont gérés par Live Nation, ont pu se produire aux Etats-Unis sans souci.

    Partenaire stratégique, le géant américain s'est mis à proposer aux artistes toujours plus de services, jusqu'à empiéter sur le terrain des maisons de disques. En plus de la production et de l'organisation de concerts, Live Nation peut aussi gérer le management, le marketing, les partenariats avec les marques, l'enregistrement des albums... C'est la naissance des contrats « 360° ». En 2007, Madonna en signe un à 120 millions de dollars sur dix ans. Elle sera suivie par Jay Z en 2008, pour 152 millions de dollars – contrat renouvelé il y a quelques semaines pour... 200 millions ! « En 2017, les 3 300 artistes sous contrat avec Live Nation ont le choix entre nos services. C'est à la carte. Sauf l'enregistrement d'albums, qu'on ne fait plus », explique Matthias Leullier. Coldplay et U2 se sont laissé séduire par la formule tout compris. L'avantage ? Tout est centralisé. De la production au choix des salles, des affiches du concert aux partenaires médias. Les maisons de disques, reléguées au second plan, se contentent d'enregistrer l'album, de le mettre en vente... « Et encore, de plus en plus d'artistes, comme le DJ Petit Biscuit ou le duo de rap PNL, s'autoproduisent », souligne Pascal Nègre.

    Des artistes en location

    Le festival Lollapalooza à Berlin, en septembre 2016. L'événement s'installe à Paris les 22 et 23 juillet prochains. (S. Kembowski/Maxppp)

    Si Live Nation chouchoute ses artistes, c'est aussi parce qu'elle peut se le permettre. Bien aidée par des fonds d'investissement, la firme s'est offert en 2010 Ticketmaster, numéro un mondial de la vente de billets de spectacle en ligne – près de 465 millions de tickets vendus l'an dernier. Cette activité représente une source importante de ses revenus (près de 21,5 % en 2016). Ce n'est pas le seul avantage. En prenant son billet, le consommateur donne prénom, nom, adresse, numéro de carte bancaire... « Une précieuse base de données, explique Dominique Sagot-Duvauroux, économiste et professeur à l'université d'Angers. Elle permet de savoir quel artiste vend le plus, à qui, dans quelle région. Ces données, que Live Nation vend à d'autres boîtes, sont aussi une source de revenus. »

    Pendant les concerts, l'argent continue de couler comme les litres de bière. « Le groupe possède tous les stands de boissons, de nourriture, de produits dérivés et les places de parking », poursuit Dominique Sagot-Duvauroux. Live Nation possède tout, sait tout. Le roi de la musique ? « Certes, nous nous occupons des concerts de U2 et Coldplay. Mais nous produisons surtout 22 artistes français, dont 75 % sont des jeunes pousses ! » s'insurge Angelo Gopee, patron de Live Nation France. Il n'empêche, certains s'agacent. Il y a quelques jours, Luc Barruet, directeur du festival solidaire et parisien Solidays, dénonçait entre autres la concurrence de Lollapalooza pour expliquer la baisse de fréquentation de son événement (- 20 % par rapport à l'an passé). « Ce qu'il ne dit pas, c'est qu'on leur a loué une douzaine d'artistes pour l'édition 2017 (L.E.J, Vald, La Femme...) », rétorque Angelo Gopee. Le géant Live Nation pourrait-il ne plus « louer » ses vedettes aux autres salles et festivals ? Dominique Sagot-Duvauroux prévient : « Ils n'ont pas encore utilisé cette arme, mais ils en ont largement les moyens. » D'autant plus que leurs liens avec les artistes se resserrent. Difficile de le leur faire avouer, mais si ces derniers privilégient Live Nation, c'est aussi parce que l'entreprise leur offre un contact privilégié avec plus de 900 annonceurs. Kungs, un DJ français, a par exemple participé à une des dernières campagnes Orange grâce à la multinationale. La pub, nouvelle source de revenus pour ses poulains : jusqu'où ira Live Nation ?

    Ils oeuvrent de concert

    Producteur, promoteur, billetterie... Autrefois, plusieurs acteurs spécialisés se répartissaient l'organisation des concerts d'envergure. Aujourd'hui, tout peut être géré par la même entreprise. C'est le modèle Live Nation. Certains artistes préfèrent garder une certaine autonomie et n'optent pas pour la formule « tout compris ». Ainsi, le rappeur Drake ou le trio Depeche Mode produisent leurs spectacles eux-mêmes, et comptent seulement sur Live Nation pour organiser leurs tournées. (Lartigue/Clap, Visual, V. Will/Sipa, Abaca, SP, KCS)