Etats-Unis: dans l'enfer urbain de Camden, une lueur d'espoir

Temps de lecture : 3 min

A Camden, petite ville du New Jersey (est) parmi les plus pauvres et les plus violentes aux Etats-Unis, un ex-dealer reconverti en artiste et entrepreneur veut redonner vie à sa communauté.

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"Je n'étais pas sensé me trouver de ce côté des statistiques, être vivant, libre, élever mes enfants", raconte Anthony Dillard depuis le bureau de "Made In Camden". Cette marque de vêtements, créée l'an dernier avec sa partenaire AJ Riggs, veut "rendre la fierté aux gens d'ici", explique ce barbu au large sourire et à la voix posée.

Lorsqu'il est né il y a 40 ans, Camden, voisine de Philadelphie, était florissante, avec ses chantiers navals, sa maison de disques RCA et son usine de soupes Campbell. "Dans les années 50-60, on venait y faire ses courses ou se promener, on y trouvait tout", se souvient Karl Walko, un leader syndical qui a lui aussi grandi ici.

Anthony a été élevé par sa grand-mère dans un quartier qui était alors majoritairement polonais: "nous étions pauvres, mais nous avions à manger et des vêtements propres".

Adolescent, alors que sa grand-mère "ne pouvait pas lui acheter de nouvelles baskets", il se laisse tenter par l'argent facile et commence à vendre de la drogue. "J'avais 15 ans et 1.000 dollars dans ma poche".

Il quitte l'école, finit par se faire arrêter et passe dix ans en prison.

- Ville en ruines -

A sa sortie en 2009, Camden est en ruines. Aujourd'hui, une grande partie des maisons sont inoccupées, leurs fenêtres placardées. Beaucoup menacent de s'effondrer. Des pâtés de maisons entiers sont réduits à des amas de bois et briques.

Dans ces rues où la drogue est devenue "le produit national brut", comme le décrit Anthony Dillard, de petits groupes d'hommes attendent le client, dévisageant les inconnus d'un regard peu amène. On croise des jeunes femmes pâles aux yeux hagards qui tiennent à peine sur leurs jambes.

Qu'est-il arrivé à Camden? D'abord, la désindustrialisation. Les chantiers navals, l'usine Campbell ont fermé, remplacés par une cimenterie et une station d'épuration qui emploient peu mais polluent beaucoup.

La ville a aussi été victime d'une gestion calamiteuse. Trois maires ont été incarcérés pour corruption. Des dizaines de millions de dollars d'aides publiques ont été injectés dans une poignée de projets (l'hôpital Cooper, la rénovation de quelques quartiers, l'aquarium) sans améliorer le chômage ou l'insécurité. "Il suffirait de 800 emplois correctement payés pour relancer l'économie locale", déplore l'avocat Justin Loughry.

En attendant, 42% de la population, noire ou hispanique à 95%, vit sous le seuil de pauvreté. La violence fait des ravages. Elle a emporté le frère aîné d'Anthony. "Il a servi dans l'armée américaine en Irak mais c'est en revenant ici qu'il a pris une balle". Rien qu'en 2012, 67 personnes ont été assassinées à Camden, pour 77.000 habitants environ, un taux d'homicides dix fois supérieur à celui de New York.

- 'Made in Camden' -

L'ex-gangster a décidé de changer de vie, de devenir un exemple.

Il s'est mis à peindre des maisons abandonnées. L'une des fresques est dédiée à son frère défunt. D'autres, aux couleurs acidulées, portent des messages pacifistes ("aimons nos enfants", "la foi déplace les montagnes", "arrêtez les tueries").

L'une des peintures salue la maire de Camden Dana Redd. Cette dernière voit ses pouvoirs fondre alors que l'Etat du New Jersey et le comté mettent progressivement sous tutelle la ville, en faillite virtuelle. La police municipale a été limogée l'an dernier, remplacée par celle du comté.

Les dernières statistiques officielles affichent une chute de la criminalité mais de nombreux militants comme Gary Frazier contestent ces chiffres: "tous les meurtres ne sont pas comptabilisés. Les gens ne voient qu'une bande de flics Blancs qui ne voient pas la différence entre ceux qui respectent la loi et les autres".

Anthony, lui, loue l'action policière: "les gens osent à nouveau sortir", assure-t-il.

Beaucoup d'habitants dénoncent par ailleurs le siphonnage des ressources du système scolaire public local, aux résultats désastreux, par de nouvelles écoles privées sous contrat, dont l'une, la Kipp School, porte la marque du richissime et puissant leader démocrate du New Jersey, George Norcross.

Là aussi, Dillard ne veut "pas faire de politique". Il n'attend toutefois plus grand chose des autorités. "L'objectif de Made in Camden, c'est aussi de montrer comment devenir auto-suffisants", conclut-il.