“Le mouvement végan est devenu une véritable déferlante”

L’acceptation du végétarisme progresse dans la société de façon spectaculaire, assure le journaliste Théo Ribeton dans “V comme vegan”, un essai publié ce 12 avril. Il y voit le refus croissant d’une violence atavique, devenue inutile, envers les animaux.

Par Marc Belpois

Publié le 12 avril 2017 à 16h58

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 04h05

«Pourquoi le monde est-il en train de devenir végan ? » C’est la question posée sur la quatrième de couverture de V comme vegan, un essai rafraîchissant publié ce mercredi 12 avril aux éditions Nova. Certes son jeune auteur, le journaliste Théo Ribeton, joue la carte de la provocation, l’humanité tout entière n’a évidemment pas brusquement décidé de se passer de viande et de poisson, encore moins de produits laitiers, d’œufs ou de miel. N’empêche, un mouvement de fond est en cours, assure-t-il. En l’espace de quelques années, le regard porté par la société occidentale sur l’élevage en général et le végétarisme en particulier a profondément changé. Les restaurateurs adaptent leur carte et les enseignes de la grande distribution s’engagent les unes après les autres à ne plus vendre d’œufs de poules en cage. Faut-il y voir l’émergence massive d’un nouveau rapport au monde ? Entretien.

A vous croire, le monde serait sur le point de se convertir au végétarisme…

L’acceptation du végétarisme progresse dans la société de façon spectaculaire. Certes, le débat d’idées qui l’accompagne n’est pas neuf, il existait déjà dans l’Antiquité, il a constamment resurgi au cours de l’Histoire. Depuis une demi-douzaine d’années, on observe en Occident une montée en puissance de l’offre de produits végétariens et végans. Mais depuis deux ans à peine, il se passe autre chose : une démocratisation très intense de l’intérêt pour le sujet. Tout à coup, il est partout, à la télé et dans la presse, traité d’une façon nouvelle. Fini le temps où l’on en parlait comme d’une mode éphémère adoptée par quelques militants sectaires. Aujourd’hui le mouvement est largement perçu de façon positive. Et c’est une véritable déferlante qui ne touche pas uniquement les milieux urbains : une large part de la société est travaillée par le sujet.

“Notre attachement à une alimentation carnée s’explique par un instinct primaire lié à la dévoration, au plaisir de tuer.”

Sur quoi vous appuyez-vous pour affirmer cela ?

D’abord sur un ressenti. Dans les restaurants, par exemple, les végétariens ne sont plus que rarement pris pour des lapins tout juste bons à grignoter le fond du bac à légumes. Nous sommes désormais couramment considérés comme des clients à part entière. Les restaurateurs ont d’ailleurs bien compris qu’ils avaient intérêt à ajouter à leur carte un choix végétarien, y compris pour une clientèle omnivore qui ne souhaite plus manger de la viande ou du poisson à tous les repas.

Et il y a les faits. Prenez les œufs : pressées par des associations de protection animale, comme L214, de puissantes enseignes de la distribution, comme Monoprix, Super U, Carrefour et Intermarché, ainsi que le poids lourd de la restauration collective Sodexo, ont décidé les uns après les autres de ne plus s’approvisionner dans les élevages en batterie. Ainsi, il y a un seuil au-delà duquel se déclenche une sorte d’effet papillon. Il devient impensable aujourd’hui pour une grande marque de faire autrement. Je pense que beaucoup d’autres secteurs de l’élevage vont suivre la même dynamique.

N’êtes-vous pas exagérément optimiste ?

Si, et je le revendique ! Je pense que mon optimisme apporte quelque chose au débat, tout comme le pessimisme de la philosophe Florence Burgat, qui dans L’Humanité carnivore affirme que notre attachement à une alimentation carnée s’explique par un instinct primaire lié à la dévoration, au plaisir de tuer. Je trouve l’idée très convaincante. Voyez comme la publicité pour la viande véhicule quelque chose de belliqueux – le cri « Charal ! », par exemple. Je suis sans doute devenu végétarien en partie parce que, de façon inconsciente, j’ai voulu supprimer toute cette violence de ma vie.

“Mais le mouvement végan se décrédibilise lorsqu’il surjoue l’enthousiasme à propos de tout et n’importe quoi.”

Vous n’êtes pas végan ?

Non, du moins pas encore… Ce livre me met la pression ! Je me passe sans difficulté de viande et de poisson, mais le fromage et les œufs, c’est une autre histoire. Les substituts ne me satisfont pas. Juré, je franchirai bientôt le pas…

Vous ne craignez d’ailleurs pas d’écrire que la nourriture végane n’est pas toujours appétissante, chose rare dans la littérature consacrée à ce sujet…

Je connais d’excellents restos végans et des établissements où je n’emmènerais pas un ami omnivore. Le mouvement se décrédibilise lorsqu’il surjoue l’enthousiasme à propos de tout et n’importe quoi. Trop de militants assurent par exemple que le véganisme offre le meilleur régime alimentaire au monde. D’accord, il vaut mieux être végan que de s’empiffrer de bidoche. Mais les populations qui vivent le plus longtemps se trouvent notamment sur les rives de la Méditerranée, où l’on mange quand même un peu de poisson…

Vous écrivez que, depuis belle lurette, le débat sur la légitimité du véganisme n’est plus intéressant d’un point de vue philosophique. « Les digues ne sont plus argumentaires, mais psychologiques et culturelles. »

C’est une phrase que m’a lancée un jour Martin Gibert, l’auteur de Voir son steak comme un animal mort. Et, de fait, qui peut encore chercher à prouver qu’il y aurait une légitimité à tuer, alors que notre survie ne le réclame pas ? Certains le font, vous me direz, et ils redoublent d’efforts ces temps-ci. L’historien des idée Renan Larue a montré qu’à chaque moment de l’histoire où un mouvement végétarien prend de l’ampleur, il est accompagné d’un contre-mouvement : des intellectuels se sentent soudain investis de la mission de défendre la viande, comme dernièrement Raphaël Enthoven, Francis Wolff ou encore Dominique Lestel, auteur d’une Apologie du carnivore. Ce sont pour moi des combats d’arrière-garde, le signe que la cause végétarienne progresse dans le bon sens.

A lire
V comme vegan, éditions Nova, 182 pages, 18 €.

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