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Amnesty dénonce les atteintes au droit de manifester en France

Des participants à une manifestation contre la loi travail avancent sous des gaz lacrymogènes, à Nantes, le 19 mai 2016. Le conflit autour de ce projet de loi a engendré plusieurs centaines d'interdictions de manifester. JEAN-SEBASTIEN EVRARD/AFP

Dans un rapport publié mercredi, l'ONG dénonce l'«impact démesuré» de l'état d'urgence sur ce droit, alors que plus de 600 mesures d'interdictions de manifester ont été prises depuis novembre 2015. Elle demande cinq décisions rapides, notamment vis-à-vis des stratégies de maintien de l'ordre.

En un an et demi, 155 manifestations on été interdites et 639 mesures d'interdictions individuelles de manifester ont été prises contre des personnes par les autorités françaises. Ce bilan chiffré est celui d'Amnesty International. Dans un rapport publié mercredi (consultable en fin d'article), l'ONG s'intéresse à l'impact de l'état d'urgence sur le droit de manifester en France, en s'appuyant sur des observations de terrain ainsi que sur des entretiens avec des manifestants et des représentants de syndicats, dont un de policiers. Amnesty s'était déjà intéressée aux conséquences de cet état d'exception dans un précédent rapport. Cette fois, l'ONG se concentre sur la seule question des manifestations et de leur encadrement.

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• Des restrictions injustifiées

Pour Amnesty, le constat est clair: de trop nombreuses manifestations sont interdites, sur des motifs injustifiés. L'organisation rappelle que les pouvoirs du préfet sont accrus en état d'urgence, en ce qui concerne le droit de manifester. «Tous les trois jours environ, une manifestation est interdite en France sous ce prétexte», celui de l'état d'urgence, souligne l'ONG. Cette dernière met également en cause le bien-fondé des décisions individuelles -interdisant la participation à une personne identifiée-: elles sont prises pour la très grande majorité «sous l'argument de prévenir les violences lors des manifestations, alors que le plus souvent il n'existait que peu ou pas d'éléments démontrant que ces personnes auraient participé à des violences».

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639 mesures d'interdictions individuelles de manifester ont été prises, dont 574 dans le cadre du conflit autour de la loi Travail

Le conflit autour de la loi Travail a de loin suscité le plus grand nombre de décisions: 574 mesures d'interdiction qui y sont liées. «De nombreuses personnes interdites de manifester avaient simplement été présentes lors de manifestations ayant donné lieu à des actes de violences par des manifestants, mais rien ne permettait de leur reprocher la participation aux dites violences», précise Amnesty. Certaines mesures avaient d'ailleurs été levées par le tribunal administratif.

Ce constat montre, selon l'ONG, combien «l'existence de l'état d'urgence a déplacé de manière considérable le seuil à franchir pour imposer des restrictions aux droits à la liberté de réunion, s'éloignant ainsi de celui établi par le droit international relatif aux droits humains».

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• Des méthodes de maintien de l'ordre qui accentuent les tensions

Du gaz lacrymogène flotte au-dessus de manifestants qui font face aux forces de l'ordre, à Paris, le 14 juin 2016, dans le cadre du conflit autour de la loi Travail. Jacky Naegelen/REUTERS

Autre axe d'étude et de critique, pour l'ONG: les stratégies et techniques mises en place par les autorités pour encadrer les manifestations. Les observations et les récits de manifestants ont mis en lumière le caractère fréquent des fouilles et de la confiscation de matériel de premiers secours ou de protection, tel que des lunettes ou du sérum physiologique, utilisé par les manifestants contre les effets des gaz lacrymogènes. Des outils qui ne constituent pourtant pas des armes potentielles, rappelle le rapport.

Amnesty mentionne également certaines techniques mises en place et qui peuvent porter atteinte au droit de manifester, notamment la pratique des nasses : les forces de l'ordre se massent autour d'un groupe de manifestants pour le confiner dans une zone et contrôler ses déplacements. Des observateurs de l'ONG ont observé la mise en place de cette pratique en amont d'une manifestation, empêchant temporairement des manifestants non-violents de rejoindre le cortège.

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Des gendarmes se massent auprès de manifestants contre la loi Travail, le 14 juin 2016 à Paris. L'ONG Amnesty International insiste, dans son rapport, sur les conséquences néfastes que peuvent avoir certaines stratégies de maintien de l'ordre, en particulier la pratique des nasses. Philippe Wojazer/REUTERS

L'ONG rappelle que «certains individus impliqués dans ces rassemblements publics se sont parfois livrés à des actes de violence, visant aussi bien des bâtiments privés que publics, notamment des banques et des agences immobilières» et que plusieurs centaines de membres des forces de l'ordre ont été blessés. «Amnesty International déplore ces agissements violents», affirme le rapport.

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Mais pour l'ONG, «certaines des tactiques et des stratégies mises en œuvre dans le contexte des manifestations contre la Loi Travail ont avivé les tensions plutôt que de les faire redescendre». Le rapport pointe le manque d'information, d'explications ou de sommations dans plusieurs situations et évoque le «recours à une force non nécessaire ou excessive». Plusieurs stratégies ne semblent ainsi «pas avoir été nécessaires au maintien de l'ordre et elles ont, par conséquent, attenté de manière illégale au droit à la liberté de réunion pacifique».

Un manifestant s'attaque à la vitrine d'une banque en marge d'une manifestation contre la loi Travail à Nantes, le 17 mars 2016. LOIC VENANCE/AFP

Amnesty voit dans ces pratiques un lien avec l'idée qui sous-tend l'état d'urgence, à savoir «la neutralisation préventive de risques potentiels, plutôt que sur la lutte contre des menaces précises et concrètes». Or, fait valoir l'ONG, outre la protection de la population, l'État «a aussi pour responsabilité de veiller à ce que l'état d'urgence ne devienne pas la norme et que les pouvoirs extraordinaires conférés par la législation sur l'état d'urgence n'entraînent pas de restrictions disproportionnées aux droits humains». L'organisation indique, en conclusion, déplorer «le fait que les autorités n'aient pas respecté, protégé ou garanti le droit à la liberté de réunion pacifique». Elle formule plusieurs décisions qu'elle estime nécessaires pour garantir ce droit (voir ci-dessous) et invite à interpeller le président Emmanuel Macron sur le sujet.

Le porte-parole du gouvernement a réagi à ce rapport à l'issue du Conseil des ministres. «Il n'est pas question de détourner ce qui relève de l'état d'urgence dans la lutte contre le terrorisme ou la prévention du terrorisme d'une quelconque façon que ce soit», a répondu Christophe Castaner, rappelant qu'Emmanuel Macron avait marqué sa volonté, pendant la campagne présidentielle, de ne pas faire de l'état d'urgence «un état permanent».

La publication de ce document intervient par ailleurs au lendemain d'une audience sur le sujet au Conseil constitutionnel, saisi par un manifestant qui s'est vu interdire de défiler les 28 et 29 juin 2016. Pendant ces deux journées, il avait interdiction «de séjourner» dans certaines rues et arrondissements de Paris. La décision doit être rendue le 9 juin prochain.


Les 5 mesures recommandées par l'ONG:

L'ONG formule «cinq décisions à prendre dès maintenant» pour garantir et préserver le droit de manifester, au vu des observations détaillées dans son rapport:

Cesser d'utiliser l'état d'urgence pour restreindre le droit de manifester: lever l'état d'urgence, ou en tout cas ne pas l'utiliser dans un but de maintien de l'ordre et le réserver à la seule lutte contre de nouvelles attaques terroristes.

Garantir le droit de manifester: ne pas poursuivre pénalement des organisateurs pour le fait d'avoir organisé une manifestation sans la notifier, ce qui est contraire au droit international, et modifier en ce sens l'article 431-9 du Code pénal.

Protéger la liberté de la presse: lors des manifestations, les personnes qui couvrent ces événements ne doivent pas voir leurs activités entravées, ni leur matériel confisqué pu abîmé, ou être visés par des violences, qu'ils aient une carte de presse ou non.

Mettre un terme aux violences policières: opter pour des stratégies de maintien de l'ordre ayant pour but de faire baisser les tensions, ce qui implique l'abandon des nasses et de la confiscation de matériel comme le sérum physiologique et de premier secours ainsi que l'utilisation des grenades à main de désencerclement.

Lutter de manière effective contre le recours abusif ou arbitraire à la force: les autorités doivent collecter des données sur les violences commises par les forces de l'ordre lors des manifestations, elles doivent les partager de manière publique et être transparentes sur la suite donnée en termes d'enquêtes et de poursuites judiciaires; le matricule des forces de l'ordre doit toujours être visible.

Le rapport complet d'Amnesty:

Amnesty dénonce les atteintes au droit de manifester en France

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108 commentaires
  • Benny007

    le

    c'est le monde à l'envers ! combien nous leur donnons en subvention ?

  • quasilinear

    le

    A quelles sont belles les manifs en Corée du Nord ou au Venezuela !!

  • Zutdezut

    le

    Amnesty pourrait aussi s'occuper des victimes des manif

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