"Le CV, c’est kitsch", estime le DRH d’Airbus Group

Airbus Group s’attelle à la digitalisation de ses processus de production, mais aussi de ses ressources humaines.

Sans langue de bois, Thierry Baril, le DRH du groupe, explique vouloir dépasser les pratiques traditionnelles de l’aéronautique.

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L'Usine Nouvelle: Que modifie le numérique dans votre approche des ressources humaines ?

 

Thierry Baril : Pour une entreprise comme la nôtre, l’attractivité nous est acquise en France. Mais cela n’est pas suffisant. Ce que nous souhaitons, c’est être attractifs pour une population de jeunes qui ont envie de faire des choses différentes, qui proposent du changement, qui se sentent proches des technologies numériques.

 

On pourrait imaginer que c’est confortable pour nous de se reposer sur un turnover de 1,5% contre un niveau compris entre 15 et 20% dans la Silicon Valley. Je voudrais que le turnover augmente chez Airbus Group afin de générer spontanément davantage de dynamique interne et de mobilité sans pour autant atteindre les niveaux de la Silicon Valley.

 

Pour quelle raison souhaitez-vous voir augmenter le turnover ?

 

Cela voudrait dire que l’on a vraiment attiré des jeunes supers bons mais qu’on risque de les perdre. Ce que je veux c’est récupérer les meilleurs, des personnes différentes qui cassent nos canons habituels.

 

Cette recherche de profils décalés semble assez récente dans le secteur aéronautique.

 

Oui. Nous nous étions habitués à avoir un état d’esprit de grande entreprise. Aujourd’hui nos modèles fonctionnent mais le risque est de ne pas se remettre en cause et de ne plus y arriver. Pourquoi ? Parce qu’on aurait perdu cette agilité, cette capacité à innover.

 

Elon Musk et son entreprise SpaceX sont passés par là…

 

Il fait partie des personnages qui mettent un peu de pression dans le système. Notre avenir est lié à notre capacité d'intégrer l’esprit start-up. On fait du prototypage, on tente des expériences. La culture de l’échec, nous devons nous l’approprier alors que ce n’est ni français, ni accepté dans le monde aéronautique. On attend des avions qu’ils soient très sûrs. Mais nous devons pouvoir nous tromper en testant les choses, évidemment pas lorsqu’on livre un client. Le rôle du DRH aujourd’hui est de cultiver cet état esprit.

 

C’est la raison pour laquelle Airbus Group se rapproche de plus en plus du monde numérique ?

 

Nous implantons en effet un centre d’innovation en pleine Silicon Valley, avec à sa tête Paul Eremenko qui travaillait avant chez Google. Ne rêvons pas : Airbus Group ne fonctionnera jamais comme une start-up. Mais nous déployons des efforts considérables pour avoir accès à des technologies de rupture.

 

Au-delà des postes de travail, en quoi le numérique fait-il évoluer les ressources humaines ?

 

Nous avons lancé cet été un portail intégrant un réseau social interne au sein du Groupe qui permet à tout salarié d’avoir accès à de l’information et de communiquer avec les autres. On peut y trouver de l’information sur l’entreprise, les clients, les initiatives internes et surtout les salariés peuvent créer leur propre communauté afin de collaborer à des projets communs : un spécialiste dans un domaine peut entrer en contact avec d’autres experts, échanger, voire générer de nouvelles idées.

 

Cette nouvelle approche rappelle là encore ce qui se pratique dans la Silicon Valley…

 

Dans la Silicon Valley ils cultivent le principe de la coopétition?, mélange d'entraide et de compétition. Ils ont beaucoup moins de complexes que nous et leur mode de travail est beaucoup plus flexible que le nôtre. En France, le code du travail ne correspond plus au monde d’aujourd’hui. Les politiques doivent en prendre conscience. Une entreprise est tout de même là pour fixer des limites. Un salarié ne doit pas se mettre une alarme la nuit pour lire ses mails toutes les deux heures comme c’est le cas dans certaines sociétés anglo-saxonnes.

 

Mais pourquoi limiter à un espace-temps et physique l’accès à l’information ? Même le télétravail est en voie d’être dépassé. Nous pouvons travailler de n’importe où, à condition de remplir les objectifs et qu’ils soient atteignables, sans perdre contact avec l’entreprise. En France, nous sommes arc-boutés sur les 35 heures, les diplômes. J’adore mon pays mais je me bats pour le moderniser. Parfois il me désespère.

 

Au vu de tous ces changements, le CV a-t-il encore une utilité ?

 

Le CV, c’est kitsch. Pour un débutant, ça n’est que du remplissage. Mais qu’a-t-il appris vraiment ? De plus en plus les talents s’identifient eux-mêmes, se cooptent sur les réseaux sociaux. C’est de cette manière que chacun peut mettre en avant ses véritables compétences et ses grandes réalisations. Les sites de mise en relations professionnelles permettent d’avoir beaucoup plus d’informations sur une personne que la lecture d’un CV traditionnel.

 

La France est-elle bien positionnée en matière de compétences techniques et numériques ?

 

Nous avons la chance d’avoir des ingénieurs aéronautiques de grande qualité. Ils se trouvent en haut de l’échelle par rapport aux autres pays. Le risque serait de les enfermer dans un mode de fonctionnement. Je vais faire une digression. Avant 2008, au moment de la crise économique, une grande partie des jeunes ingénieurs partait vers la finance. Cette crise a fait que les métiers financiers ont chuté et les jeunes sont revenus vers l’industrie aéronautique. Mais on identifie aujourd’hui de plus en plus de jeunes qui partent de l’aéronautique pour aller dans l’entreprenariat, proche de l’aéronautique ou pas. C’est cet état d’esprit que nous recherchons. Nous devons savoir retenir et attirer vers nos métiers les plus entreprenants.

 

La digitalisation ne risque-t-elle pas de détruire des emplois ?

 

C’est en effet un risque. Mais cela peut aussi être une chance. D’abord, on n’est pas prêt de remplacer tous les métiers manuels de l’aéronautique. Ensuite, certains jobs disparaitront, c’est vrai, mais nous aurons aussi de nouveaux métiers. Pensez-vous qu’il était enrichissant de poinçonner des tickets de métro ? Le numérique créé davantage d’emplois qu’il n’en détruit. C’est très français de garder une posture conservatrice face au changement. Nos investissements, comme les "cobots", visent en particulier à réduire la pénibilité de certaines tâches. Nous pouvons rendre ainsi nos emplois plus intéressants.

 

Comment convaincre les salariés du bien-fondé des nouveaux outils numériques sur leurs postes de travail ?

 

Nous cassons les stéréotypes, nous organisons des réunions, des démonstrations. Nous expliquons beaucoup. Nous avons embauché des experts, de l’ergonomie en particulier, qui interviennent auprès de nos compagnons sur les lignes d’assemblage. Nous tenons à rendre ces derniers acteurs du changement. Il ne faut pas les sous-estimer. Allez voir nos compagnons, ils ont tous des smartphones, ils s’adaptent très vite à des technologies comme la réalité augmentée.

 

Ces technologies attractives peuvent-elles représenter un argument pour attirer les jeunes ?

 

Oui, tout à fait. Nous prenons très au sérieux les problèmes de recrutements que connaît aujourd’hui le secteur aéronautique. Ils touchent surtout les PME et les profils issus de formations courtes. Mais nous relayons ce message car il est de notre intérêt que l’ensemble de la chaine de sous-traitants subvienne à ses besoins en matière de ressources humaines. Cela fait vingt-sept ans que je suis DRH dans l’industrie et cela fait vingt-sept ans que je me bats pour ces métiers de la production qui souffrent de désaffection. Dans notre pays, pendant des années, partir dans l’industrie était perçu comme la voie de garage. On a dit que c’était pour les gens qui ne pouvaient rien faire d’autre, c’est terrible. Nous nous battons pour redonner leur lettre de noblesse à ces formations. Un chaudronnier aujourd’hui a un boulevard devant lui et peut prétendre à une rémunération très attractive.

 

Propos recueillis par Olivier James

 

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