Santé

Contraception : les médecins ne sont pas à la page

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L’accès des femmes à une information sur l’ensemble des méthodes de contraception disponibles est loin d’être garanti en France. PHOTO : ©ISTOCK

 

Les données publiées le 25 septembre par Santé publique France ont révélé à la fois une évolution sensible des pratiques contraceptives des Françaises et la persistance d’un « modèle contraceptif français ». Ce dernier, marqué notamment par un recours élevé à la pilule (même s’il diminue depuis le début des années 2000), est de plus fréquemment remis en question. Mais jusqu’à présent, on en savait peu sur le rôle des médecins dans ce maintien, ou du moins sur leurs pratiques de recommandations et la logique qui les sous-tend.

Des recommandations très hétérogènes

Une enquête par questionnaire originale, menée en 2010 mais dont les résultats viennent de paraître, met en évidence la grande hétérogénéité qui règne en la matière. Selon Alexandra Roux, Cécile Ventola et Nathalie Bajos, « généralistes comme gynécologues adoptent des pratiques variables vis-à-vis des différentes méthodes, et proposent une palette plus ou moins large à leurs patientes ». Presque tous (plus de 90 %) avaient au cours de l’année 2010 recommandé la pilule, et 80 % d’entre eux le préservatif. Ils étaient également plus de sept sur dix à avoir déjà proposé le stérilet. En revanche, moins de 60 % des médecins interrogés avaient suggéré l’implant, le patch ou l’anneau vaginal.

Rares sont les médecins qui font état de l’ensemble des méthodes disponibles

Rares, donc, sont ceux qui font état de l’ensemble des méthodes disponibles. Et si les pratiques de recommandations distinguent nettement généralistes et gynécologues, une grande diversité existe également au sein de chaque corps. En ce qui concerne l’implant, par exemple, « presque la moitié (43 %) des gynécologues recommande souvent la méthode, un tiers la recommande parfois, et un quart rarement ou jamais. Moins d’un généraliste sur trois la recommande parfois, rarement ou jamais, et seulement 11 % la recommandent souvent ».

Une telle hétérogénéité n’est-elle cependant pas consubstantielle à la pratique médicale, par nature incertaine et singulière ? « C’est sans doute le cas quand il s’agit de soigner une maladie. Il peut toujours y avoir une incertitude sur l’efficacité du traitement et son adéquation à la situation du malade. Mais la contraception ne relève pas, sauf exception, de ce cadre thérapeutique : le médecin est là pour conseiller les femmes en fonction de leurs modes de vie et leurs préférences, et non pour les soigner en fonction du diagnostic qu’il aura posé », rappelle Alexandra Roux, l’une des coauteures de l’article. Selon elle, « le tri qu’opèrent les praticiens au sein des informations qu’ils délivrent à leur patiente, qui varient notamment selon son âge et sa catégorie sociale, révèle moins l’incertitude que la persistance d’un modèle paternaliste où le médecin prétend savoir mieux que l’intéressée ce qui est bon pour elle en matière de contraception ».

Des femmes inégalement informées

Résultat de cette cacophonie : l’accès des femmes à une information sur l’ensemble des méthodes de contraception disponibles est loin d’être garanti, ce en contradiction des préconisations des autorités nationales et internationales en la matière. Préconisations que les médecins ne connaissent d’ailleurs pas toujours : « 80 % d’entre eux pensent, par exemple, qu’il n’est pas recommandé de poser un DIU à une femme nullipare1 alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et la Haute Autorité de santé (HAS) énoncent l’absence de contre-indication liée au nombre de grossesses. »

Le système français accorde beaucoup d’autonomie à des praticiens peu supervisés et très inégalement formés

Cette absence de standardisation des pratiques s’explique, selon les auteures, par la grande autonomie prescriptive que le système libéral français accorde à des praticiens peu supervisés et très inégalement formés aux questions de contraception. Parmi les médecins généralistes qui ont répondu à l’enquête, ceux qui proposent régulièrement d’autres méthodes que la pilule « ont suivi plusieurs formations à la contraception sur les trois dernières années, signalent avoir reçu des visiteurs médicaux pour l’implant, la pilule de 3e génération, les DIU au cuivre et à la progestérone, et déclarent connaître les rapports des autorités de santé sur la contraception et lire régulièrement des revues médicales », ce qui n’est pas le cas de ceux dont les prescriptions tournent essentiellement autour de la pilule. Un même antagonisme se retrouve chez les gynécologues.

« Dans un pays comme la Grande-Bretagne, l’encadrement des pratiques par les autorités sanitaires est beaucoup plus fort, afin que les préconisations qu’elles établissent en matière d’accessibilité et de respect de l’autonomie des femmes soient appliquées. Les prescripteurs de contraception doivent également suivre régulièrement des formations pour mettre à jour leurs connaissances », rappelle Alexandra Roux.

Logiques profanes

L’expérience personnelle des médecins joue fortement sur leurs conseils

Cette insuffisance de la formation donne beaucoup de poids aux savoirs profanes des experts. A l’encontre des savoirs établis, les médecins peu formés « ont une représentation négative des méthodes au long cours » (stérilisations en particulier), et tendent à réduire les grossesses non prévues à un problème « psychologique » (insouciance, ambivalence du désir d’enfant) plutôt que technique. Les trois chercheuses montrent même que l’expérience personnelle des médecins joue fortement sur leurs conseils : autrement dit, « la probabilité de recommander une méthode plutôt que de ne pas le faire est en effet 2 à 5 fois plus grande lorsque le médecin (ou sa partenaire) a déjà expérimenté la méthode » !

Un dogme médical ébranlé mais pas coulé

Un tel constat peut-il néanmoins être reconduit à l’identique sept ans après alors que, comme le notent les trois sociologues, le « paysage contraceptif » a été significativement modifié ? Selon elles, le « dogme du savoir médical » a pu être ébranlé, les femmes hésitant moins à se tourner désormais vers des méthodes jusqu’alors moins fréquemment recommandées. Mais du côté des médecins, les choses ne semblent guère avoir évolué : le paradigme du « médecin seul détenteur du savoir » est toujours en place, et les pratiques restent peu encadrées.

Dans une tribune publiée le 26 septembre dernier, un collectif de chercheuses (dont les trois auteures de l’étude) rappelait que les pistes ne manquent pas pour améliorer la situation. La palette de professionnels de la santé autorisée à prescrire des méthodes de contraception, déjà élargie aux sages-femmes en 2009, pourrait par exemple être étendue aux pharmaciens et aux infirmières. De même, l’augmentation récente du tarif de la consultation de première contraception doit s’accompagner, selon les chercheuses, « d’un travail sur le contenu qualitatif de cette consultation qui devrait s’adresser autant aux filles qu’aux garçons, et d’un renforcement de la formation initiale et continue des professionnels ». La « perspective d’un choix éclairé des femmes » en matière de contraception reste en tout cas, en France, une utopie à réaliser.

  • 1. Une femme qui n’a pas eu d’enfant.

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Commentaires (3)
Alice 21/10/2017
suite du précédent commentaire À quand des programmes ambitieux pour permettre aux femmes de connaître leur propre fertilité, de reprendre possession de leur corps, sans être sommées de recourir à la technique ? Quand cesserons-nous d'asservir le corps des femmes à la technique (et comble) sous prétexte de liberté ? Ah certains objecteront que les méthodes d'observation ne marchent pas... mais de + en + de jeunes femmes s'y mettent... et se forment aux dernières avancées en la matière!
Alice 21/10/2017
Et encore un article qui veut promouvoir l'autonomie des femmes sans comprendre que tant que nous en resterons au tout technique / chimique, la prétendue liberté qui nous est vendue n'est que chimère! Ah oui contrôlons donc toujours plus par l'Etat les pratiques médicales pour toujours plus consommer et engraisser les labos pharmaceutiques, et continuer à corseter le corps des femmes sous couvert de liberté ! Mais de quelle liberté est-il question d'ailleurs ?
VIVIANE 19/10/2017
Article intéressant mais qui fait une cruelle omission ! Les sages-femmes ne font pas que prescrire la pilule, elles ont aussi le droit et la compétence de poser et retirer implants , DIU (stérilets ) et peuvent prescrire tout mode de contraception. Le délai plus raisonnable pour obtenir un rdv, le taux de formation récente important (car cette extension de compétences date de 2009) et les plus longues durées de temps de consultation , font de ces professionnel(le)S une alternative de qualité !
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