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Management

Le groupe Florette brise le tabou de la gestion des conflits en entreprise

Fait rare, le groupe agroalimentaire de préparation et vente de fruits et légumes Florette a accepté de briser un tabou sur la délicate question des conflits d’équipe en entreprise. Suite à plusieurs alertes, le groupe mène depuis 2012 des actions en matière de qualité de vie au travail en misant en particulier sur la médiation professionnelle.

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Sachet de laitue Florette

Ces dernières années, le groupe agroalimentaire a décidé de mettre les bouchées double en s'emparant de la médiation professionnelle comme pilier de sa politique RH.

MYCHELE DANIAU / AFP

En 2012, Joëlle Therin a vécu ce que tout dirigeant ou chef d’équipe redoute d’affronter un jour: résoudre un conflit entre plusieurs collaborateurs d’un même service. «C’était collectif. Au total, une douzaine de personnes, impliquant des conducteurs de ligne et des chefs d'équipe, faisaient preuve de mésententes manifestes. Il y avait des clans, un manque d’efficacité. Dans leur service, les projets n’avançaient pas. Cela avait des répercussions délétères pour tout le monde. Les salariés de l’usine ne parlaient que de ça», se souvient l’ancienne directrice du site de L’Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse) du groupe agroalimentaire Florette France GMS.

Dans l’impasse, et en accord avec la direction des ressources humaines du groupe, la responsable sollicite un cabinet de consultants pour réaliser un diagnostic. «L’une de leurs premières recommandations était de recourir à la médiation professionnelle pour accompagner la résolution du conflit.» En un mois, un médiateur extérieur enchaine les entretiens individuels avec chacun. Le processus s’achève sur une réunion collective durant laquelle les membres du service signent un accord avec des engagements réciproques. Concrètement, pour chacun d’entre eux, trois issues étaient envisageables: la reprise des relations, le réaménagement de certains postes et/ou la rupture consentie avec l’équipe. «Nous n’en sommes heureusement pas arrivés au stade de la rupture. Pour autant, tous les échanges sont restés confidentiels, tout comme le contenu de l’accord. Ni moi, ni la direction des ressources humaines n’avons su ce qui s’était dit et décidé entre eux. En revanche, j'ai eu connaissance que l’un des collaborateurs avait été désigné comme garant de l’accord et avait pour mission d’alerter en cas de nouvelle dégradation des relations», décrit Joëlle Therin.

Baisse de l'absentéisme, réduction des accidents...

La directrice du site de L’Isle-sur-la-Sorgue a tout de même été informée à cette occasion de la nécessité de former et et d’accompagner les chefs d’équipes de ce service. «Ils avaient besoin de retrouver leur territoire, d’avancer sur la façon dont ils manageaient leurs équipes. On a aussi procédé à des ré-agencements de bureaux. Mais nous ne sommes pas intervenus davantage.» Un an plus tard, le médiateur est revenu pour un premier bilan de l’opération. «Il en est ressorti que la situation avait évoluée positivement. Le phénomène de clans s’était disloqué, les alliances étaient plus professionnelles. Chacun semblait avoir repris un nouveau souffle dans ses relations de travail dans un climat apaisé et plus vertueux.» D’autres indicateurs confirment cette évolution comme la baisse de l’absentéisme, la réduction des accidents du travail, le renforcement de l’implication de ces salariés dans les projets du site…

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Cette expérience n’a pas seulement transformé le fonctionnement d’un service. Elle est le déclencheur d’une batterie d’actions RH à l’échelle de l'usine, et plus largement du groupe. Dès 2013-2014, la direction, les délégués du personnel et les équipes du site du L’Isle-sur-la-Sorgue lancent ainsi «Florette attitude», un projet pilote sur la qualité relationnelle qui débouche sur la co-écriture d’une charte, le lancement d’une enquête auprès des salariés, l’organisation d’opérations de «vis ma vie», et même la création d’un journal interne sur la qualité relationnelle. En parallèle, des médiateurs interviennent sur d’autres sites du groupe qui emploie en France 1.500 salariés à travers cinq sites de production et son siège basé à Lessay dans la Manche.

Outil de prévention

Car ces dernières années, le groupe agroalimentaire a décidé de mettre les bouchées double en s'emparant de la médiation professionnelle comme pilier de sa politique RH. Une démarche qui vient d'être récompensée par le prix de l'Espoir de la Médiation, remis ce 19 octobre à Lille, à l’occasion du Symposium de la médiation professionnelle. «Lors de ma prise de poste en 2016, je me suis rendue compte de plusieurs tensions d’équipes sur différents sites, remontées notamment par les délégués du personnel. J’ai alors initié une vaste enquête sociale sur la qualité de vie au travail, doublée de l’animation de plusieurs groupes d’expression de salariés afin de mieux identifier les problématiques et agir», raconte Marie-Pierre Dereli, nouvelle DRH de Florette qui vient de signer avec les partenaires sociaux un accord QVT ce mercredi 18 octobre. Dans le cadre de cette accord, la priorité est notamment donnée à la mise en place d’un «dispositif de médiation professionnelle interne» (DMPI), qui balise le processus de saisine et d’intervention de médiateurs professionnels. Pour ce faire, Florette est assisté de Henri Sendros-Mila, président de la Chambre professionnelle de la médiation et de la négociation (CPMN) et de... Joëlle Therin.

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Toutes ces expérimentations à L’Isle-sur-la-Sorgue ont en effet joué le rôle de révélateur pour la responsable de Florette. Si bien que la directrice de site a, dès 2013, entamé une reconversion à 180°C en suivant une formation de médiateur professionnel, encouragée par la direction nationale. Désormais rattachée au siège, elle officie aujourd’hui sous la double casquette de directrice projets chargée de l’Ecole interne de formation Florette et première médiatrice interne de l’ETI qui fête cette année ses 30 ans. «En 2016-2017, elle est intervenue chez nous, sur le site de Cambray, se souvient Marc Maguet, délégué syndical centrale CFTC. Nous n'avions plus de directeur. Le climat social était très tendu. Les gens étaient renfermés sur eux, il n'y avait plus de communication. Elle a rencontré tout le monde, mis en place des petites actions comme organiser des petits-déjeuners à la pause ou féliciter les gens qui faisaient bien leur travail. Nous avions besoin d'étoffer les équipes et elles nous a soutenus. En quelques mois, elle a réussi à renouer le dialogue, les gens ont retrouvé l'envie d'aller travailler. Si bien que quand elle est partie, tout le monde l'a applaudie. En quinze ans de maison, je n'avais jamais vu ça», souligne-t-il.

«Outre Joëlle, qui a suivi une formation diplômante, tous les responsables RH du groupe et moi-même avons été formés et sensibilisés aux piliers de la qualité relationnelle. Les partenaires sociaux et les responsables sécurité sont les prochains sur la liste car la médiation est une manière de répondre à nos obligations de prévention des risques. L’objectif est ensuite de dispenser ce type de formations à des groupes pilote dans tous les sites, et si c’est concluant, peut-être à terme à l’ensemble des salariés», avance la DRH qui va allouer un budget de 15.000 euros par an à la formation dédiée à la qualité relationnelle.

«A l'échelle du groupe, c'est vrai que ça a évolué positivement ces dernières années, mais ça n'a rien révolutionné, nuance Marc Maguet, le délégué syndical centrale CFTC, qui salue tout de même les avancées du dernier accord QVT. A la base, même si le climat social n'était pas extraordinaire, il n'était pas morose. Pour ma part, je trouve que tout ce qui va dans le sens du dialogue est une bonne chose. Après, il y a toujours des difficultés car nous travaillons dans le froid, avec des cadences soutenues. Les gens sont usés par la répétition des mêmes gestes. Sur ce point, la direction est parfaitement au courant et agit en investissant dans la robotisation des sites. Ce qui est bénéfique, à condition de bien accompagner par la suite les salariés concernés, car cela peut être mal vécu psychologiquement», insiste le représentant du personnel qui travaille à nouveau avec Joëlle Therin sur un autre conflit qui a éclaté sur son site. Sur certains sites comme à Mâcon, où le climat était particulièrement tendu entre salariés et direction fin 2016, la situation n'est en effet par idyllique. Marc Maguet note tout de même une réduction globale de l'absentéisme, encouragée notamment par la mise en place d'une prime trimestrielle de 50 euros accordée aux salariés qui n'ont posé aucun jour d'arrêt de travail sur les derniers mois. «C'est pas grand chose mais ça récompense quand même ceux qui sont là.» 

«Il est assez rare que des entreprises entament ce type de démarche globale, salue Henri Sendros-Mila. En général, les employeurs ont comme premier réflexe de se tourner vers leur conseiller juridique plutôt que vers un tiers extérieur pour résoudre des conflits sociaux. Quand on est appelé, c’est en tant que pompier, alors que nous n’existons pas seulement pour éteindre les incendies mais aussi et surtout pour accompagner les projets d'entreprise et le dialogue social sur le long-terme.» Un chantier qui reste au final toujours en cours de construction et de consolidation.

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