Chronique

Gabrielle se marie

Un après-midi d’été 1994. Il fait beau. Toute la famille de mon frère Bertrand est chez moi, sur la terrasse. Quand la gang de mon frère débarque, c’est toujours un événement. Ils arrivent directement de Campbellton, Nouveau-Brunswick, où le frangin est allé pratiquer la médecine. Ils sont six : le frère, la belle-sœur et leurs quatre filles. Oui, quatre filles ! Âgées de 4 à 12 ans : Marjolaine, l’aînée, Valérie, Gabrielle et Geneviève, la benjamine. Elles sont belles comme des cœurs et allumées comme des feux de Bengale.

On boit, on mange, on jase. Du Canadien qui s’est fait éliminer en première ronde par Boston, des Expos qui devraient bien se rendre en Séries mondiales, du jeune Dumont, nouveau chef de l’ADQ et, bien sûr, de toutes les réussites des quatre princesses : l’école, le piano, le spectacle de danse…

Il y en a une qui est venue s’asseoir carré à côté de moi. Sa chaise de patio collée sur la mienne. Elle me regarde avec ses grands yeux ronds comme des ballons de basket. Elle rit à tout ce que je dis. Me donne des petits coups de coude. Me sourit. C’est la troisième, c’est Gabrielle. Elle a 8 ans. Et plus elle me trouve drôle, plus je le suis. Je lui raconte des histoires qui ne tiennent pas debout, un peu comme moi. On taquine son père. On fait fâcher sa mère. On a du gros fun. Les quatre filles s’amusent autant, mais quand Gabrielle rigole, c’est vers moi que s’envolent ses rires. Elle veut que je les entende.

C’est le pouvoir d’un enfant, te regarder avec des yeux tellement brillants que tu te sens important. Vraiment important. Comme si ses yeux voyaient ce que tu as en dedans, de plus beau. De plus toi.

Depuis cette journée ensoleillée, il y a quelque chose de spécial, entre Gabette et moi. Comprenez-moi bien, j’aime les quatre filles de mon frère de la même façon. Inconditionnellement. Je serai toujours là pour elles quoi qu’il arrive. C’est juste qu’avec Gabrielle, y a une connexion haute vitesse entre nous. On est sur la même fréquence. Sur le même wifi.

Il y a eu bien des jours d’été, des veilles du jour de l’An, des soirs de spectacle, des blagues et des textos depuis. Gabrielle est devenue médecin, comme son père et deux de ses sœurs. Et voilà qu’aujourd’hui, elle se marie. Avec un chirurgien, Philippe. Un gars qui me fait penser à mon frère. Heureux et bon.

Gabrielle m’a demandé d’écrire un petit mot sur l’amour pour la cérémonie. L’amour entre deux mariés. Demander ça à moi, qui ne me suis jamais marié, qui n’ai pas d’enfant et qui suis soudainement célibataire, depuis la fin de l’hiver. Beau défi pour une âme esseulée. Je m’essaie…

L’humain passe les neuf premiers mois de son existence au cœur de quelqu’un. Porté par cette personne. Puis, un jour, il doit aller jouer dehors. On naît. On coupe le cordon. On se retrouve seul. Entouré, protégé, couvé. Mais seul. Avec toute la vie devant. C’est un peu épeurant. 

Heureusement, l’humain a trouvé l’amour, le vrai, le grand, pour pouvoir retourner en quelqu’un. Mais cette fois, ce n’est pas juste nous qui prenons place dans le cœur de l’autre, c’est l’autre qui prend place dans le nôtre, aussi. Ce n’est pas juste nous qui sommes porté par l’autre, c’est nous qui portons l’autre, aussi.

Ça prend de la vulnérabilité et de la force. Faut être capable de s’abandonner et de prendre en charge. De suivre et d’ouvrir le chemin. Plusieurs changent de partenaire de voyage, au gré des escales, parce qu’ils le veulent ou parce que l’autre ne veut plus d’eux. Les amoureux qui se marient se font la promesse de faire tout le trajet, ensemble. C’est ambitieux. Mais c’est pas fou. Parce que si ça prend toute une vie pour se connaître soi-même, vraiment, ça prend tout ce qu’il reste d’une vie pour connaître quelqu’un d’autre, vraiment.

C’est ça, le mariage, connaître quelqu’un jusqu’au bout. On rencontre des zones de joie et des zones d’ombre, des passions et des impatiences, du beau et du moins beau. Et chacune des découvertes que l’on fait chez l’autre permet de découvrir en soi des choses qu’on ne savait pas qu’on avait. Il n’y a pas de voyage plus extraordinaire que celui que l’on fait au cœur de quelqu’un. Encore faut-il pouvoir s’y rendre. Le mariage est l’avion et l’amour est le ciel.

Vive les mariés !

Vive Gabrielle et Philippe, bien sûr, mais vive aussi tous ceux qui, cet été, font le pari d’unir leurs vies. Vous avez raison. L’amour, c’est tout.

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