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Procès

Une médium sème la zizanie au procès Fiona

La cour d’assises de Riom devait consacrer la journée à l’interrogatoire de Cécile Bourgeon et Berkane Makhlouf sur la mort de Fiona.
par Julie Brafman
publié le 16 novembre 2016 à 20h40

La phrase a été prononcée vers midi et demi au moment de la pause déjeuner, alors que tout le monde s'apprêtait à quitter la cour d'assises : «Monsieur, le Président, si vous le permettez, j'aimerais montrer des documents à la cour.» Me Marie Grimaud, l'avocate de l'association Innocence en danger, partie civile au procès, se lève et précise : «J'ai reçu dans la nuit plusieurs photos représentant le lieu où pourrait être enterré le corps de Fiona. Elles viennent d'un témoin qui n'est pas cité dans le dossier et j'aimerais qu'elles soient présentées aux accusés.» Le président, Dominique Brault, acquiesce, tandis qu'un mouvement de stupeur parcourt le public. Est-ce enfin le moment tant attendu, le dénouement de trois ans de suspens ? Réponse après la suspension.

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Le lieu d'enfouissement du corps de Fiona, 5 ans, reste l'énigme centrale du dossier, le sujet favori de discussions et de pronostics de la foule qui se presse chaque matin, dès l'aube, devant les portes du palais de justice. Si Cécile Bourgeon et Berkane Makhlouf, la mère et le beau-père de Fiona, jugés pour «violence ayant entraîné la mort sans intention de la donner», nient chacun avoir porté des coups à la fillette, ils s'accordent en revanche sur un point: son décès serait «un accident». Tous deux l'auraient découverte, le 12 mai 2013, dans son lit, gisant dans du rejet gastrique. Selon leurs récits lors de l'instruction, Cécile Bourgeon et Berkane Makhlouf ont ensuite déposé l'enfant dans un sac et sont partis en voiture en direction du lac d'Aydat, à 20 kilomètres au sud-ouest de leur domicile de Clermont-Ferrand, pour un enterrement à la sauvette. Sur place, ils ont creusé une tombe et récité une courte prière. Avant de tourner les talons. A trois reprises et malgré les indications de Cécile Bourgeon, les fouilles autour du lac se sont révélées infructueuses.

«J’essaie de me rappeler mais c’est un trou noir»

Ce mercredi matin, la jeune femme de 29 ans a expliqué être incapable de se souvenir de l'endroit exact de la tombe. Se décrivant volontiers comme une «mère indigne» qui «n'a pas su protéger sa fille», elle s'est dite désolée de ne pouvoir lui donner une sépulture décente. «En prison, à chaque fois que je suis dans mon lit, j'essaie de me rappeler, de me remémorer mais c'est un trou noir», a-t-elle souligné en usant de cette métaphore commune mais qui résonne de façon troublante au vu du dossier. La consommation massive de drogue a-t-elle altéré sa mémoire ? Est-ce plutôt une amnésie opportune ? La découverte du corps de l'enfant permettrait en effet de pratiquer une autopsie et peut-être d'en savoir davantage sur les circonstances de sa mort.

Lorsque l'audience reprend vers 15 heures – après une heure perdue en difficultés informatiques pour télécharger les fameuses photos –, tous les regards se tournent vers l'avocate au rouge à lèvres carmin et cheveux blonds, qui a introduit ce témoin mystère dans les débats. Me Grimaud raconte alors avoir reçu un message nocturne «d'une dame» sur son compte Facebook professionnel soutenant «qu'elle avait des informations pour la cour d'assises». Son informatrice lui a livré une description écrite précise du lieu où serait enterré le corps de Fiona, non loin d'une zone qui a déjà été explorée par les enquêteurs. Des photographies défilent sur les écrans de projection. On voit une forêt au bout d'un petit chemin de terre. «Une grosse pierre rectangulaire sur le sol», «des bâtons qui forment une croix plantée dans la terre», lit Me Marie Grimaud tandis que les regards oscillent de l'écran au box des accusés.

Le couple reste imperturbable. «Ça ne me dit pas grand-chose, la croix que j'ai faite avec les branchages était plus petite et je l'ai laissée posée pas plantée», réagit Cécile Bourgeon lorsque le président l'interroge. Berkane Makhlouf, qui s'exprime d'une voix à peine audible et semble assommé par les médicaments, n'est guère plus convaincu. Même si l'épisode ressemble à un faux coup de théâtre, le président décide d'entendre cette source si bien informée. Sa venue inopinée bouleverse complètement le calendrier de l'audience, initialement dédié à l'interrogatoire des accusés sur les faits qui leur sont reprochés. Une journée cruciale, donc.

«Histoire de drogue»

Vers 17 heures, après plusieurs heures de suspension, temps nécessaire pour aller la chercher, une femme s'avance enfin jusqu'à la barre. Veste en cuir marron et jean, elle se présente : Julietta, conseiller de vie, 47 ans. Elle enchaîne : «Je suis médium radiesthésiste et la petite Fiona m'a contactée dès le début de l'affaire. Elle m'a dit que c'était une histoire de drogue, qu'ils l'avaient enterré et m'a indiqué les lieux.» Silence affligé. La médium raconte qu'elle a fait des recherches et que, lors d'une promenade – avec mari, enfants et chien, en 2013 –, elle a enfin trouvé le lieu soufflé de l'au-delà. Le président garde sa contenance : «Vous aviez déjà communiqué ces informations au SRPJ, semble-t-il…» «Oui mais ils m'avaient insultée, ils ont dit que je commençais à les faire chier.» Et pour cause : la radiesthésiste en est apparemment à son deuxième signalement de tombe, le premier ayant suscité de vaines recherches (à cause d'une prédiction inversée, une sorte d'effet miroir, selon elle). «Si je le fais, c'est pour la petite Fiona», conclut-elle parachevant le ridicule de la scène.

La justice tente d'épousseter sa robe salie par ce témoignage aux frontières du réel. «Nous n'avons pas le loisir de perdre du temps. Il y a un père qui souffre mais aussi une institution judiciaire», rabroue l'avocat général. Me Marie Grimaud se dresse et sermonne vertement la médium : «Madame, je suis auxiliaire de justice et lorsque j'ai des informations, je dois les transmettre. Vous avez entravé la justice. Vous avez créé un faux espoir.» Blême, le témoin chancelle puis s'évanouit sous les yeux de la salle médusée. Lorsqu'elle revient sur un fauteuil roulant, quelques minutes après la mascarade, elle rappelle simplement aux oublieux : «Me Grimaud était au courant que j'étais médium et que je ne souhaitais pas venir.»

Si aucun sorcier ou diseur de bonne aventure ne s’invite au programme, l’audience de jeudi devrait reprendre par le témoignage des dernières personnes à avoir vu la fillette en vie.

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